II
Ce souvenir lui semble exclusif de toute fantaisie amoureuse. Nous ne pouvons nous trouver ensemble sans qu’elle y revienne avec je ne sais quelle pieuse obstination. Je représente, pour elle, l’honnêteté de son enfance et la candeur de ses illusions d’antan. C’est bien embêtant pour un homme qui n’a rien de séraphique dans ses idées. En vain, je cherche à détourner ce fâcheux sujet d’entretien par d’audacieuses invasions dans le domaine de la réalité, en lui demandant, par exemple, des nouvelles de son petit commerce. – Généralement mauvaises depuis le krach, les nouvelles. – L’économie se porte même là. Pouah ! que c’est mesquin ! J’aurais voulu plus de grandeur à la polissonnerie de mes contemporains. On ne lésine pas en pareille matière. Au reste, il serait à souhaiter que toutes ces dames en prissent leur parti avec la même philosophie qu’Héloïse. Elle attend avec confiance des temps meilleurs, la pauvre ! comme nous disions en Ariège, et, à peine ma curiosité inconvenante satisfaite, sans y répondre jamais en me priant de lui réciter mes vers nouveaux, elle se reprend à la turlutaine des anciennes dévotions. Faut-il être franc ? Pourquoi pas ? Tout en regrettant, in petto, de ne pas employer autrement des minutes précieuses à tous les deux, – car nous ne sommes flâneurs ni l’un ni l’autre – je me laisse empoigner aussi quelquefois à la douceur lointaine de ces impressions si rarement évoquées. Nous devenons sérieux comme des augures sincères et nous aimons à tout nous rappeler du décor de notre prime jeunesse, l’avenue des tilleuls qui menait à l’église, la rivière qui coulait tout près et mêlait son murmure aux mugissements de l’orgue quand le portail s’ouvrait pour la sortie de la grand-messe, les vieux marguilliers somnolents à leur banc, l’odeur alléchante du pain bénit, les arabesques des fumées d’encens festonnant l’ombre entre les piliers, les ondes monotones qui descendaient de la chaire en paroles latines, l’ostensoir rayonnant comme un soleil au-dessus du tabernacle, que sais-je ? Tout ce qui nous semblait, en ce temps, former devant la vie un horizon de rêve, d’espérance et de devoir. Aussi hier, quand Héloïse m’a dit :
– Tu ne sais pas, monsieur Plantin est mort !
N’ai-je pu retenir un :
– Ah ! mon Dieu !