I
Hier, j’ai rencontrée ma vieille camarade Héloïse. – Héloïse, qui ? – Héloïse, quoi ? Pas si bête que de vous le dire. Car vous la connaissez tous et nous n’avons causé que pour nous deux. Vous la connaissez sous les noms les plus fastueux qu’il lui a plu de se donner pour augmenter auprès des imbéciles le prix de sa conquête. Car, pour entrer aujourd’hui en galanterie, comme pour entrer autrefois en religion, les femmes ont grand soin de s’inventer de nouveaux patrons dans les calendriers. Les intimes seuls gardent le droit de leur souhaiter leur fête comme l’avait réglé leur baptême. Héloïse, par exemple, aurait grand-peine à me faire accroire qu’elle s’appelle Lélia ou Wilhelmine, aussi bien qu’à me prouver qu’elle a vingt-cinq ans. Elle ne le tente même pas. La vérité est que nous avons couché ensemble quand nous avions six ans à nous deux. J’aurais mieux fait d’attendre. Car c’est une belle personne dans sa maturité abondante comme je les aime, très aimablement bossuée aux bons endroits, ferme toutefois dans son expansion et, comme les navigateurs adroits, n’ayant pas perdu la ligne. – Eh bien, alors, comment n’ai-je pas récidivé ? – Héloïse n’est pas une vertu, que je sache. – Oh ! non ! Je ne puis pas me dissimuler qu’en demeurant platonique à son endroit, je me singularise, et qu’en n’en recevant que de bonnes paroles, je suis l’objet d’une exception qui n’a rien de flatteur. Nous nous sommes aimés tout enfants. Depuis nous avons suivi des carrières différentes. Ma famille me destinait à la magistrature et la sienne au blanchissage. Nous avons obéi, l’un et l’autre, à d’autres vocations. Je suis devenu poète lyrique et elle femme entretenue. Nous avons tous deux consciencieusement pioché notre art à distance.
Elle a fait plus vite fortune que moi, parce que la partie est meilleure et plus lucrative ; mais ne croyez pas cependant que ce soit une basse envie qui m’ait rendu dédaigneux de ses faveurs. Non, c’est elle qui ne l’a pas voulu. – Et pourquoi ? Je vous le donne à deviner en mille. – Parce que nous avons fait ensemble notre première communion.