II
Exaspéré par l’obstination de sa femme à ne rien répondre, M. de la Roche-Pétière se mit en colère tout à fait.
– Puisque vous le prenez ainsi, conclut-il, je ne sortirai pas d’ici que vous n’ayez écrit à Philippe sous ma dictée. Je manquerai l’affût, mais sapristi, je n’en aurai pas le démenti. Asseyez-vous, Madame, et plume en main. Je ne sais, du reste, que lui dire, à ce vieil ami, à ce loyal compagnon. Vous y êtes ? Eh bien : « Mon cher Philippe, nous nous ennuyons beaucoup sans toi, moi surtout, parce que ta présence me donnait plus de liberté. Tâche donc de ne pas prolonger indéfiniment l’oncle dont tu es allé recueillir le dernier soupir. Quand ces choses-là traînent on ne sait plus où on va. Nous t’embrassons tous les deux… » Ah ! ça vous ennuie que je vous fasse embrasser Philippe ? Vous avez toujours avec lui des façons réservées ! Si vous le connaissiez comme moi ! Il me semble que j’avais encore quelque chose à lui mander… J’en suis même sûr… Ça ne vient pas… Tant pis. Signez Gaspard et donnez-moi.
– Ma femme de chambre descend au village dans un instant et vous épargnera le détour de passer par la poste, puisque vous êtes pressé.
– Soit ! Adieu, ma chère, et à ce soir. N’oubliez pas, au moins, de faire partir le mot tout à l’heure.
Et le comte, ayant passé son carnier sous son bras, sortit en sifflant ses chiens.
Sa petite musique de merle parvenait encore à l’oreille que la comtesse se mit à son buvard et, reprenant l’idiote épître que lui avait dictée son époux, griffonnait au-dessous un tas de choses, fiévreusement ; puis, fermant la lettre et la cachetant de cire, appelait Bertrade, sa camériste, en lui recommandant de ne pas perdre un instant, car les courriers sont rares à la campagne, et, beaucoup plus que Gaspard lui-même, elle tenait à ce que Philippe ne restât pas sans nouvelles.
Une fois Bertrade partie, elle se mit à son piano et, mélancolique, les cheveux dénoués sur les épaules, suivant, comme dans un rêve, le vol des notes qu’égrenaient ses doigts distraits sur le clavier, elle se prit à penser à l’absent. C’est qu’il y avait bien deux semaines, en effet, que Philippe était parti, et la comtesse, réduite au menu conjugal, soupirait déjà après les entremets illégitimes d’antan. Il lui arrivait souvent d’être encore sur sa faim en quittant la table, et c’était une personne à qui le jeûne ne convenait pas. Qu’est-ce qu’il avait, cet oncle, à tant hésiter au seuil de l’Éternité ? On ne dérange pas comme ça le bonheur des amoureux, pour déguster, en gourmet, ses derniers moments.