II - Le confessionnal de Toulonnais-l’Amitié-2

1156 Words
– Est-ce que ce serait ?… commença Cocotte. – La paix ! fit M. l’Amitié d’un ton péremptoire et note sur ton calepin le nom que je vais te dire : M. Chopin. C’est un pauvre diable de musicastre qui court le cachet. Si le concierge te laisse passer tu ne diras rien ; s’il t’arrête, tu lui jetteras ce nom de Chopin : il a une classe le soir. Est-ce fait ? – C’est fait. – À la bonne heure ! Te voilà donc entré au numéro 17… – En crochetant la porte ? – Oui, mais à l’œuf ! et sans laisser de traces. Au milieu de la cloison de gauche, en entrant et tout auprès du lit, il y a une porte condamnée qui communique avec la chambre numéro 18. Nous te payons cher, petit, parce que tu es un des plus habiles serruriers de Paris ; il faut que tu nous fasses ici quelque chose de soigné. Tu dévisseras d’abord les deux verrous, puis tu briseras la serrure. – Sans laisser de trace encore ? – Du tout ! au contraire ! Tu joues désormais le rôle d’un voleur novice ; tout doit être fait grossièrement et les preuves d’effraction doivent sauter aux yeux. Seulement, et voilà où tu montreras ton talent, les choses doivent rester en place et paraître en bon état jusqu’à ce que quelqu’un touche la porte condamnée, s’y appuie, la pousse… Tu m’entends ? – Oui, répondit Cocotte qui souriait, je vous entends… et après ? – Après, tu laisses un « monseigneur » sous une chaise, une pince dans la ruelle du lit ; tu refermes proprement la porte d’entrée et tu files en te disant : Voilà une soirée qui m’a apporté un billet de cinq cents francs… Roule ta bosse et fais monter le Marchef. Quand Coyatier entra, M. l’Amitié était debout. Il devint un peu pâle en voyant l’athlète refermer successivement les deux portes, et, certes, il y avait de quoi. Mme Samayoux n’avait point dans sa ménagerie de bête féroce comparable à celle-là. C’était un homme grand et gros dont les membres massifs semblaient posséder une puissance extraordinaire ; sa tête, écrasée, s’enfonçait entre deux épaules d’une largeur énorme. Il était laid, il était triste ; il faisait peur. Pourtant, à le bien regarder, il n’avait point ce qu’on appelle l’air méchant, et le brutal ensemble de ses traits dégageait je ne sais quelle expression de douleur résignée. Il avait été soldat, bon soldat, et même sous-officier, comme son sobriquet de Marchef l’indiquait. Il ne racontait son histoire à personne, mais on disait qu’il avait été trompé par une femme, et qu’il l’avait tuée dans un transport d’amour jaloux. Il s’était enfui après ce meurtre, et on avait trouvé son rival couché sur une grande route avec la tête broyée. Quand il eut refermé les portes, il resta immobile auprès du seuil. – Bonhomme, lui dit l’Amitié en essayant de prendre un ton léger, nous avons de la besogne : il va faire jour cette nuit. Coyatier ne répondit point. – Tu n’es pas plus bavard qu’à l’ordinaire, reprit l’Amitié, dont l’accent se raffermit, mais tu es un garçon de bon sens et tu sais bien que nous t’avons mis une corde au cou une fois pour toutes. Tant que nous serons contents de toi, la justice aura beau faire et beau dire, tu n’as rien à craindre ; mais le jour où tu désobéiras… – J’attends ! interrompit le Marchef avec rudesse. – À la bonne heure, nous sommes d’accord. C’est rue de l’Oratoire-du-Roule, N° 6. – Écrivez l’adresse sur un bout de papier, dit le Marchef, je vas perdant la mémoire. L’Amitié fit ce qu’on lui demandait et poursuivit : – Tu pars tout de suite, car la route est longue ; en entrant là-bas, tu diras au concierge : M. Chopin, pour la classe du soir. – Écrivez cela, dit encore le Marchef. – Soit ! Tu traverseras la cour ; M. Chopin demeure au troisième étage sur le derrière. Tu monteras au quatrième, où sont les greniers, et tu te cacheras dans le bûcher, à droite de l’escalier. – À droite de l’escalier, répéta le Marchef, c’est bien. – Là, tu attendras pas mal de temps, car la classe de M. Chopin finit à dix heures et il faut arriver avant la sortie de ses élèves ; d’un autre côté, la besogne n’est que pour deux heures du matin. – Deux heures du matin, répéta encore Coyatier, bon ! – Il y a une horloge à l’hôtel d’Ornans, tu l’entendras comme si elle sonnait dans ton bûcher. À deux heures juste, tu descendras deux étages et tu frapperas doucement à la porte, qui est à gauche, sur le carré du second. – Au second, dit le Marchef, porte à gauche, ça y est. – On te demandera : Qui est là ? tu répondras : Le bijoutier. – Ah ! fit Coyatier, le bijoutier… bon ! – On t’ouvrira, et tu te trouveras en face d’un homme armé. – Armé… bien ! – Pour entrer en matière, tu l’assommeras d’un coup de poing, car si tu montrais ton couteau il te brûlerait la cervelle. Coyatier fit un signe d’assentiment ! – Ensuite, poursuivit l’Amitié, tu l’achèveras comme tu voudras. – Bien ; et que faudra-t-il prendre ? – Rien, sinon une canne à pomme d’ivoire que tu trouveras quelque part dans la chambre. Cherche vite, car il y aura quelqu’un dans la pièce voisine. – Bien ! Et quand j’aurai la canne à pomme d’ivoire ? – Tu t’en iras. – Par la porte ? – Non, il y a une fenêtre qui donne sur le jardin de l’hôtel d’Ornans, et le mur est couvert d’un treillage du haut en bas ; tu pourras descendre comme par une échelle. Une fois dans le jardin, tu prendras la première charmille à droite, au bout de laquelle est une porte qui te mettra dans les terrains de Beaujon. – Il faudra la forcer ? – Voici de quoi l’ouvrir. Sans s’approcher du Marchef, l’Amitié lui jeta une clé enveloppée dans un billet de banque. L’athlète attrapa le tout à la volée. Il déplia le papier, regarda le chiffre du billet de banque et dit : – Qu’y aura-t-il une fois la chose faite, M. Lecoq ? – Le double, répondit l’Amitié. Le Marchef tourna le dos, rouvrit les deux portes et se retira sans ajouter une parole. L’Amitié respira fortement. – J’ai toujours l’idée, murmura-t-il, que ce sanglier-là, quelque jour, me plantera son boutoir dans le ventre, mais à part cet inconvénient-là, quel meuble ! on le ferait faire sur commande que jamais on n’en obtiendrait un pareil ! Il redescendit l’escalier en colimaçon et traversa de nouveau la salle basse de l’estaminet de l’Épi-Scié, où la poule était en pleine activité. – Bonsoir, amour, dit-il à la grosse limonadière, qu’est-ce que nous offririons bien à tous ces braves enfants-là ? Une goutte de punch ? Allons ! va pour un punch, puisque le vin chaud est bu. Il déposa un double louis sur le comptoir et s’éloigna au milieu d’une acclamation générale. À quelques pas de là, au coin de la Galiotte, le coupé aux stores baissés l’attendait fidèlement. Il y monta en disant au cocher : – Hôtel d’Ornans, Giovan, et brûlons le pavé ! Quand le coupé, après avoir traversé tout Paris au trot allongé de son cheval, eut franchi la porte-cochère élégante de l’hôtel, situé aux Champs-Élysées, à droite de la rue de l’Oratoire-du-Roule, ce ne fut point le juif à la houppelande sordide et aux vieilles bottes fourrées qui en sortit. L’homme qui sauta sur le perron, propre et rasé de frais, était chaussé de bottes vernies et portait un habit noir tout chamarré de décorations étrangères. Il passa dans l’antichambre, la mine haute, en habitué de la maison, et fut annoncé ainsi à la porte du salon : – M. le baron de la Perrière ! Le cocher ne parut nullement surpris du miracle qui s’était accompli dans sa voiture et alla prendre place parmi les équipages rangés en ligne le long des trottoirs de la grande allée de l’Étoile.
Free reading for new users
Scan code to download app
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Writer
  • chap_listContents
  • likeADD