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L'Arme invisible

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Extrait : "Un soir de vendredi, vers la fin de septembre, en 1838, à la tombée de la nuit, le garçon du marchand revendeur établi à l'angle de la rue Dupuis et de Vendôme était en train de fermer la boutique lorsqu'un élégant coupé s'arrêta devant la porte."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.

• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Avant-propos
Avant-proposLe présent récit est tout à fait indépendant des quatre séries qui ont été précédemment publiées : les Habits noirs, Cœur d’acier, l’Avaleur de sabres, la Rue de Jérusalem, et il n’est aucunement nécessaire de connaître l’un ou l’autre de ces ouvrages pour suivre l’action de notre drame. Néanmoins, nous jugeons utile de présenter ici en quelques mots la physionomie vraie de la redoutable association, défigurée aux yeux du public par le hasard d’une de ces rencontres judiciaires qu’on appelle des causes célèbres. La contrefaçon se glisse partout, même dans le sombre commerce qui brave le bagne et l’échafaud. Quelques vulgaires coquins vinrent un jour s’asseoir sur les bancs de la cour d’assises, où ils avouèrent, non sans un naïf orgueil, qu’ils étaient les Habits-Noirs. C’était là une vanterie : s’ils eussent été les Habits-Noirs, la cour d’assises ne les aurait pas jugés. En effet, la base même de l’association du FERA-T-IL-JOUR-DEMAIN était la sécurité presque merveilleuse dont jouissaient tous ses membres, au moyen du mécanisme savant qui, pour eux, « payait la loi. » Pendant les trois quarts d’un siècle, la justice et la police firent le siège de cette étrange forteresse sans jamais pouvoir y entrer ; une muraille magique semblait la ceindre, et n’eussent été les quelques filous à la tête desquels un vaudevilliste sans ouvrage vint jouer au palais la dernière scène de sa piteuse comédie, on pourrait affirmer qu’aucune trace de cette raison sociale, si tristement légendaire : LES HABITS-NOIRS, n’existe dans les différents greffes de l’Europe. Et pourtant, il est bien avéré que la confrérie promenait son quartier général tantôt à Paris, tantôt à Londres. Sous la monarchie de Juillet, les capitales allemandes, Vienne, Berlin, Dresde, Munich, lui fournirent d’abondantes récoltes. Du temps de la Restauration, Naples, qui était son berceau, l’avait vu refleurir avec le fameux Beldemonio, maître des Compagnons du Silence. Vingt ans auparavant, en Angleterre, un multiple et mystérieux personnage, Thomas Brown (Jean-Diable), avait ressuscité le Great-Family des voleurs de Londres en donnant aux Gentilshommes de la Nuit le nom nouveau de Black-Coats (Habits-Noirs). Pourquoi tous ces bandits, commandant à de nombreuses armées, étaient-ils restés invisibles et insaisissables ? Pourquoi l’égide qui semblait les protéger en face de la loi couvrait-elle aussi leurs lieutenants et jusqu’à leurs soldats ? c’est que, retournant la loi contre elle-même, un coquin de génie avait inventé pour eux l’Assurance en cas de crime. Lorsque je révélai pour la première fois ce très curieux mystère, on m’accusa de jouer avec le feu, mais je répondis la vérité même : le procédé était connu de tous les malfaiteurs, il ne restait plus déjà que les honnêtes gens à instruire. Nos temps modernes n’édictent plus de lois fondamentales. Ce sont les Romains qui ont bâti ces larges monuments dont les pierres, solidement cimentées, ont résisté à l’injure des siècles. Sauf de rares exceptions, nos législateurs se logent dans des maisons toutes bâties. Les vieux Romains, courts et carrés comme leurs glaives, parlaient par axiomes, coulant dans le même bronze l’erreur avec la vérité. Ce sont eux qui ont inventé le prodigieux apophtegme : « L’exception confirme la règle, » à l’aide duquel Tartufe dialecticien pourrait mettre la logique universelle dans sa poche. Ils pensaient ne tuer que l’exception, mais c’est la règle même qu’ils assassinaient par ce hardi mensonge. Dans leurs lois ils partent souvent ainsi de tel fait contestable érigé par eux en solennelle évidence. Ces considérations, abstraites en apparence, ne nous éloignent pas de notre sujet. L’association des Habits-Noirs était fondée sur un des plus célèbres parmi les dictons de la jurisprudence romaine : Non bis in idem, qu’il faut paraphraser ainsi pour le rendre intelligible : « Ne punissez pas deux hommes pour un seul crime. » Ce fut peut-être dans le principe une barrière opposée à la gourmandise proverbiale de dame Thémis, mais on peut dire que jamais règle ne se confirma par de plus lamentables exceptions. Elle a deux torts : elle suppose en premier lieu l’infaillibilité du juge (encore une règle que des exceptions terribles, les erreurs judiciaires, viennent trop souvent confirmer) ; ensuite elle compte sur la naïveté des bandits, ce qui dépasse les bornes de l’enfantillage. Le crime est prudent et instruit ; il va à l’école. Depuis que cette légende écrite sur la porte qui mène au supplice a, pour la première fois, crié aux docteurs-ès-scélératesses : « Fais passer un autre à ta place et tout sera dit, » combien d’innocents poussés par la force ou entraînés par la ruse, ont-ils franchi le seuil fatal ! Une fois le seuil franchi, la loi payée biffe le crime au doit et à l’avoir de son grand-livre. Alors, Thémis, sereine, ayant balancé ses écritures, dort appuyée sur le glaive qui jamais ne peut se tromper. Jamais ! la loi l’a dit, et les têtes coupées ne parlent pas. Il y a telles exceptions plus connues que le loup blanc, Lesurques, par exemple, qui dorment aussi côte à côte avec la loi et qui semblent destinées à confirmer la règle jusqu’à la consommation des siècles ! L’Italie fut toujours la terre classique du brigandage. Vers la fin du siècle dernier, le fameux Fra-Diavolo réunit sous sa carabine les Camorre deuxième et troisième, composées des b****s calabraises et siciliennes, auxquelles se joignirent les proscrits, réfugiés sur le versant de l’Apennin qui descend vers la Capitanate. La terreur publique fit bientôt une renommée à ces bandits qu’on appelait les Veste-Nere à cause de leur costume. Les gouvernements de Naples et de Rome mirent à prix la tête de leur chef, ce qui n’empêcha point le cardinal Ruffo de les enrôler militairement et de les lancer contre nos soldats en 1799. Les Veste-Nere combattirent et pillèrent autour de Naples de 1799 à 1806, époque où Michel Pozza (d’autres disent Pozzo ou Bozzo), surnommé Fra-Diavolo, périt sur l’échafaud. Les livres disent cela, mais dans l’Italie du Sud, on écrit autrement l’histoire. Dès le lendemain de l’exécution, Fra-Diavolo traversait les Abruzzes et gravissait les sentiers de la montagne. Il semble certain que plusieurs chefs, soit imposture, soit simple droit de succession, portèrent ce nom de Fra-Diavolo. Le dernier quitta le pays de Naples avant la chute du roi Murat et acquit dans l’île de Corse, à beaux deniers comptants, un domaine considérable, possédé jadis par les moines de la Merci. Les mille gorges qui sillonnent la montagne, d’Ascoli jusqu’à Cozenza, n’en devinrent pas beaucoup plus sûres, car les bandits, adonnés au tromblon et à la guitare, croissent là-bas en pleine terre avec une effrayante abondance, mais les Veste-Nere avaient disparu. En revanche, on commença à parler des Habits-Noirs en France et des Black-Coats en Angleterre. Habit-Noir comme Black-Coat est la traduction littérale de Vesta-Nera. Cedant arma togœ ! L’association mettait un terme à ses folies de jeunesse. Après Romulus, qui ne connaît que l’épée, vient toujours un pacifique Numa, dont le rôle est de remplacer la violence stérile par d’intelligents et profitables efforts. Parvenue à cette période de maturité, la confrérie des Habits-Noirs garda son but en changeant ses moyens. Le crime était toujours l’objet unique de son commerce, mais non plus le crime brutal, accompli aux risques et périls du malfaiteur. Le Maître, ou, pour parler la langue technique des Veste-Nere, le Père-à-Tous (il Padre d’ogni), homme impassible et rusé, noble de naissance, ruiné dès longtemps par le jeu, mais ayant toujours gardé de grands dehors, avait précisément ce qu’il fallait pour organiser la terrible cité du brigandage international. Les circonstances le favorisèrent ; la restauration des Bourbons mit l’Europe en trouble juste au début de son entreprise, et fit de Paris une foire cosmopolite où les romans les plus audacieux pouvaient se nouer impunément. Ce fut pendant cet âge d’or de la fraude où le comte Pontis de Sainte-Hélène, forçat évadé, commandait une légion de la garde nationale parisienne et passait la revue du roi dans la cour des Tuileries, que s’organisa aisément, au milieu du tohu-bohu politique, ce qu’on pourrait appeler la commandité générale du meurtre et du vol. L’histoire de cet étrange comptoir n’a point de pièces justificatives, parce que le principe même de sa formation élevait une barrière entre lui et les tribunaux. C’est presque toujours l’instruction criminelle qui rassemble ou qui crée les matériaux écrits dont l’ensemble donne un cachet historique aux prouesses des malfaiteurs, mais ici, néant. Les Habits-Noirs n’eurent jamais de procès, grâce à cette ingénieuse et redoutable combinaison qui, pour chacun de leurs méfaits, jetait un coupable en pâture à la loi. Ils tuaient deux fois : ils tuaient Pierre, par exemple, pour avoir sa bourse, et jetaient Paul entre les jambes de la justice qui courait après le voleur de la bourse de Pierre. Cela faisait un coup de hache qui raturait un coup de couteau. Cependant, si les documents officiels font défaut, les preuves légendaires abondent, et toute personne assez malheureuse pour avoir passé la cinquantaine se souvient des paniques qui firent trembler Paris sous les règnes de Charles X et de Louis-Philippe. Paris traduit à sa façon toute parole dont il ignore la véritable étymologie. Ces deux mots réunis, les Habits-Noirs, après avoir tenté sa curiosité, prirent pour lui une signification menaçante. L’habit noir est l’uniforme des gens du monde ; Paris supposa que la b***e fashionable s’était titrée ainsi pour bien établir la différence qui la séparait du commun des coquins, dont la toilette est généralement peu soignée. Son imagination s’échauffa et il fabriqua lui-même le type d’une société mystérieuse recrutant ses affiliés dans les classes les plus élevées de l’ordre social. Paris ne se trompait pas tout à fait. Il y avait dans le conseil des Habits-Noirs plusieurs gentilshommes déclassés, une vraie comtesse et un prétendant (Louis XVII) qui opérait des pêches miraculeuses dans le faubourg Saint-Germain. En outre, le Maître était un homme considérable dont l’influence allait haut et loin. Il dépensait noblement de larges revenus et le respect public entourait sa vieillesse. Le siège de la société n’était à proprement parler nulle part, et suivait le Scapulaire, signe de maîtrise choisi par le Père-à-tous en souvenir des Moines de la Merci. L’ancien couvent de ces derniers, situé dans l’île de Corse, au pays de Sartène, servait de place forte à l’association. Le Maître y avait fondé un hospice, et c’était là que les soldats blessés ou compromis de la ténébreuse armée trouvaient un asile. Cette page préliminaire résume les explications contenues dans les quatre romans qui ont pour sujet commun les Habits-Noirs ; le reste appartient à notre drame. Un mot encore : Mon ami et confrère Émile Gaboriau a rendu célèbre le nom d’un de nos personnages : M. Lecoq. Je ne prétends pas du tout qu’il m’ait pris ce nom, mais comme je ne veux point être accusé de le lui avoir emprunté moi-même, je constate ici que l’affaire Lerouge ou Gaboriau parle pour la première fois de son M. Lecoq, a paru plus de deux ans après les Habits-Noirs, où mon M. Lecoq remplissait déjà un rôle principal.

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