II - Le confessionnal de Toulonnais-l’Amitié-1

3012 Words
II Le confessionnal de Toulonnais-l’AmitiéIl était environ huit heures du soir et le boulevard du Temple, ce rendez-vous des plaisirs populaires qui reste dans la mémoire de tous les Parisiens, malgré le square lugubre qu’on a mis à sa place, éclatait en mille bruits joyeux. La foule se pressait autour des théâtres dont l’enseigne promettait le rire ou les larmes, la foire des petits marchands allumait ses lanternes et ceux-là mêmes qui n’avaient pas trois sous pour entrer chez le regretté Lazari trouvaient à passer leur soirée gratis devant la baraque de quelque successeur de Bobèche. Quand le singulier personnage qu’on nommait M. l’Amitié déboucha par la rue Charlot en quittant le logis du papa Kœnig, le boulevard était à l’apogée de son allégresse quotidienne ; mais ces joies, paraîtrait-il, n’étaient pas l’affaire de notre homme à la houppelande juive, car il n’accorda pas même un regard aux fumeuses illuminations de la foire, et tourna court dans la direction de la colonne de Juillet. Le coupé aux stores fermés fit comme lui et longea lentement le trottoir. Le costume choisi par M. l’Amitié se rencontrait alors plus souvent qu’aujourd’hui dans le quartier du Temple. Les choses caractéristiques tendent à s’effacer de plus en plus et les vieux vautours de la petite semaine s’habillent maintenant comme des casse-noisettes ordinaires. Les jeunes ont parfois leur tailleur aux environs de l’Opéra. M. l’Amitié pouvait donc continuer sa promenade sans exciter autrement l’attention des passants. Il allait d’un pas doux comme la peau de mouton qui rembourrait ses bottes et chantait à demi-voix cet air qui n’eut jamais rien de factieux : Il pleut, il pleut, bergère,Ramenez vos moutons…Mais tout en fredonnant il songeait, et sa rêverie ne ressemblait point à sa chanson. – Le colonel, pensait-il, m’a tracé mon chemin pouce par pouce et je fais comme à l’ordinaire le métier de marionnette. Voilà longtemps que ça dure. Au commencement je m’amusais à deviner ses manigances qui sont cousues de fil blanc, mais j’en ai trop deviné et le bonhomme m’ennuie. Il serait temps à la fin que le vieux fit un peu de place aux jeunes, d’autant que les jeunes comme moi commencent à mûrir. Qu’est-ce que c’est que tout cet argent qui reste là-bas enterré dans un trou, au fond de la Corse ? et pourquoi continuer les affaires quand on pourrait rouler carrosse ? c’est joli les combinaisons du bonhomme ; ça a trois, six, neuf compartiments comme les baux de mon propriétaire, mais la liquidation ne vient pas et tant va la cruche à l’eau… Il s’interrompit et descendit jusqu’au bord du trottoir, cherchant une place propice pour traverser la chaussée. Un sergent de ville qui marchait derrière lui dit tout bas : – Bonsoir, M. Lecoq. L’Amitié regarda tout autour de lui avant de répondre : – Bonsoir, bonhomme. – On dit là-bas, à la préfecture, reprit le sergent, que vous chauffez une histoire pour cette nuit. – Fais ton ouvrage, répliqua brusquement l’Amitié, qui se lança sur le pavé boueux. – Ma parole, grommelait-il, il n’y a pas bavards comme ces hirondelles ! On risque à chaque pas de se compromettre avec eux. Le Père est bien tranquillement à faire son whist pendant qu’on s’éreinte. Il a juré ses grands dieux que l’affaire de M. Remy d’Arx, le juge d’instruction, serait sa dernière affaire, mais voilà dix ans qu’il radote cela. Moi, je patiente et j’obéis ; mais du diable si je comprends, cette fois, la mécanique du vieux, avec ses diamants et tout l’embrouillamini qu’il a imaginé à l’entour. Quand je l’ai interrogé, il m’a répondu comme moi au sergent de ville : Fais ton ouvrage. Il s’arrêta sur l’autre côté du boulevard, et conclut : – On fera l’ouvrage, papa, mais tout a une fin, et une fois l’ouvrage faite, je connais quelqu’un qui vous demandera son compte un peu bien ! Le bruit et le mouvement qui donnaient autrefois un aspect si particulier au vieux boulevard du Temple ne s’étendaient pas très loin. Chacun peut se souvenir que le Château-d’Eau d’un côté, les environs de la Galiotte de l’autre, étaient relativement des lieux déserts. On appelait la Galiotte la dernière maison formant angle entre la rue des Fossés-du-Temple et le boulevard, parce que l’entreprise des bateaux-poste du canal de l’Ourcq tenait là ses bureaux. Derrière la Galiotte et très près de l’endroit où la façade du Cirque éclaire maintenant ce quartier jadis si misérable, s’ouvrait, au milieu de maisons décrépites et de masures à physionomies campagnardes, une ruelle étroite qui s’en allait rejoindre, après un long et tortueux parcours, la rue du Faubourg-Saint-Martin à la hauteur de la mairie actuelle. Cette ruelle n’avait point de nom officiel, sinon au point où elle coupait le faubourg du Temple, derrière les chantiers de Malte. Là un écriteau l’intitulait rue du Haut-Moulin ; mais partout ailleurs on l’appelait familièrement le Chemin-des-Amoureux. La première maison du Chemin-des-Amoureux, en entrant par la rue des Fossés, était un café borgne qui portait pour enseigne ce hardi calembour : Estaminet de l’Epi-Scié. Cet établissement, entouré d’une détestable renommée et dans lequel la police faisait de fréquentes razzias, avait sa façade tournée vers le boulevard, à cause d’un coude brusque de la ruelle. Du lieu où M. l’Amitié s’était arrêté, il pouvait voir à travers les rideaux rouges de deux fenêtres les lueurs de la salle de billard. On y jouait la poule, selon la promesse d’un petit écriteau, fabriqué à la main et placé sous la lanterne rouge qui disait aux passants du boulevard les prix du gloria et de la demi-tasse : 10 et 20 centimes. Le billard, large comme une prairie, haut sur jambes et recouvert d’un tapis abondamment graisseux, était placé au milieu d’une salle assez spacieuse, mais basse d’étage. Tout à l’entour, des tables de bois, soutenues par deux pieds seulement, s’appuyaient de l’autre côté sur une tringle appliquée contre le mur. Vis-à-vis de la porte d’entrée il y avait un comptoir de marchand de vins, où trônait une grosse mère à la figure violette dont le bonnet, garni de vieux rubans rouges, laissait échapper des mèches de cheveux gris pommelés. Son nom était Mme Lampion ; elle avait ruiné des porteurs d’eau dans sa jeunesse. La poule, bien nourrie, comptait une douzaine de joueurs dont les costumes étaient sensiblement disparates. Quelques-uns portaient des blouses, d’autres des paletots plus ou moins déguenillés ; d’autres, enfin, des habits de bon drap, presque propres et assez cossus. La toilette semblait d’ailleurs être ici un élément de considération assez médiocre : il y avait des haillons qui parlaient haut et qui obtenaient le sourire des dames, tandis que certaine redingote tolérable gardait la timidité du simple soldat, admis à la table des fourriers. Le lion, car il y a partout un favori qui fait la mode, était un jeune gars de vingt à vingt-cinq ans, avec une toute petite casquette posée de travers sur une forêt de cheveux blonds frisés. Il jouait en bras de chemise. Il avait des bottes et son pantalon froncé sur les hanches le serrait à la ceinture comme une robe de femme. C’était lui qui « bloquait » le plus de billes et qui plaçait le plus de « mots. » Son succès était complet ; tous les hommes l’admiraient, toutes les dames le caressaient du regard. Cocotte, c’était le nom qu’on lui donnait, acceptait ces hommages comme une chose due et gagnait gaiement les sous de ses partners en guenilles. Deux personnes seulement, dans toute l’assemblée, paraissaient ne point s’occuper de lui. C’était d’abord Mme Lampion, qui, selon l’habitude, sommeillait majestueusement derrière son comptoir, et c’était ensuite un homme de taille herculéenne, dont la figure hâve et malheureuse se cachait à demi sous ses cheveux en désordre. Cet homme occupait la table la plus éloignée du centre, à droite de la porte, et un large vide existait autour de lui, à droite comme à gauche. Il s’était fait servir un petit verre qui restait intact. Depuis son entrée, il demeurait immobile, la tête enfoncée entre ses deux robustes mains. Les regards que les joueurs et la galerie jetaient à ce personnage étaient rares ; ils exprimaient à la fois de la répugnance et de la crainte. Cocotte seul lui avait dit lors de son entrée : – Bonjour, Marchef ; comment va ? Encore avait-il ajouté à voix basse : – Il y a du tabac, puisque voici le Coyatier ! Quand cet oiseau-là sort de son trou, méfiance ! Je parie que nous allons avoir du nouveau cette nuit. Aussi quand la porte s’ouvrit pour donner passage à la judaïque figure de M. l’Amitié, il y eut un effet produit, comme on dit au théâtre. Les conversations se turent autour des tables, les billes s’arrêtèrent sur le billard, et, de groupe en groupe, on aurait pu entendre ce nom prononcé à voix basse : Toulonnais-l’Amitié. – Qu’est-ce que je vous avais dit ? ajouta le jeune M. Cocotte en clignant de l’œil à la ronde. Tabac ! Le nouveau venu referma la porte et dit d’une bonne grosse voix toute ronde que nous n’aurions point reconnue, car il parlait sur un autre ton dans l’échoppe du père Kœnig : – Bonsoir, les petits vieux, ça va-t-il comme vous voulez ? Je passais ici en me promenant, j’ai eu l’idée d’entrer pour savoir un peu ce que vous pensez du cours de la Bourse et des affaires politiques. Il y eut un éclat de rire un peu contraint, et quelques dames allèrent jusqu’à dire : – Est-il farceur, ce M. l’Amitié ! L’homme à la taille d’athlète qui était tout seul dans son coin n’avait pas bougé, et Mme Lampion dormait toujours. L’Amitié, en changeant de voix, avait changé aussi de tournure et de visage. Son allure était brusque, son regard hardi et franc. – Vous apportez de l’ouvrage, patron ? demanda Cocotte d’un air soumis et presque caressant. – Savoir, bijou, savoir… Je ne vois pas ton ami Piquepuce, eh ? – Il n’est pas venu ce soir. – Il viendra… nous avons à causer… Holà ! amour, ajouta-t-il en secouant l’épaule massive de la limonadière, qui ouvrit en sursaut ses yeux frangés d’écarlate, je paye une tournée de vin chaud à tout ce joli monde-là pour boire à la santé du roi de Prusse et de son auguste famille. On rit encore, mais au milieu du rire une voix lugubre se fit entendre. C’était l’homme du bout de la salle qui avait relevé la tête et qui disait : – Monsieur Lecoq, moi, je ne suis pas ici pour m’amuser. On m’a ordonné de venir, et je suis venu. Dites-moi tout de suite ce qu’on veut de moi. – Je n’en sais rien, répondit sèchement l’Amitié ; chacun son tour, tu auras le tien. Bois un verre de vin chaud, Marchef, si tu veux, et prends patience. Ce soir, il y en a d’autres que toi qui ne sont pas ici pour s’amuser. L’athlète reprit son immobilité chagrine et repoussa un verre plein que le garçon lui tendait. – Amour, reprit l’Amitié, qui revint vers la grosse dame de comptoir, fais allumer le confessionnal. Et il ajouta en s’adressant à Cocotte. – Allons, petit, monte. – C’est que, objecta le plus élégant des joueurs de poule, ma bille vaut 1 fr. 75. – Je t’en donne 2 francs, répartit l’Amitié, et je l’offre à ce bon Coyatier. – Nous ne jouons pas avec le Marchef ! disent les autres d’une seule voix. Celui-ci ne répondit point, mais ses yeux s’ouvrirent tout grands et se fixèrent tour à tour sur chacun de ceux qui avaient parlé. Il n’y en eut pas un seul pour soutenir ce regard à la fois triste et terrible. L’Amitié ricanait. – Quand mons Piquepuce va revenir, ajouta-t-il en se dirigeant vers un petit escalier en colimaçon, situé derrière le comptoir, il faudra l’envoyer à confesse. Cocotte le suivit. Dès qu’ils furent éloignés, au lieu de continuer la partie, joueurs et buveurs se massèrent en un seul groupe où l’on se mit à parler tout bas. Le résumé de l’entretien aurait pu se traduire ainsi : – Cocotte, Piquepuce et le Marchef ! c’est une mécanique à grand spectacle ! L’endroit que ce bon M. l’Amitié appelait son confessionnal était tout bonnement un cabinet particulier, situé au premier étage. L’unique fenêtre de ce réduit, destiné à fêter l’amour en guenilles et Bacchus frelaté, donnait en face de la ruelle et avait vue sur le boulevard. Une double porte toute neuve et bien rembourrée faisait contraste avec l’indigence malpropre de l’ameublement. Ce luxe était dû à Toulonnais-l’Amitié, qui avait fait de ce lieu une succursale de ses divers cabinets d’affaires. Car c’était un homme considérablement occupé. Au moment où Cocotte passait le seuil, une voix cria du bas de l’escalier : – Ne fermez pas, j’arrive à l’ordre ! L’instant d’après, Toulonnais était assis sur le vieux divan entre ses deux acolytes. Mons Piquepuce avait une dizaine d’années de plus que le joli Cocotte, dont il était l’inséparable : Virgile, avant nous, avait mis cette différence d’âge entre Nisus et Euryale. L’apparence de mons Piquepuce était celle d’un rat de chicane prétentieux et romantique ; il portait de longs cheveux cachant le col d’un habit pelé. – Cause, lui dit l’Amitié, le petit n’est pas de trop ; il est bon qu’il sache un bout de l’histoire. – Eh bien ! commença Piquepuce d’un air important, notre jeune homme est à Paris. – Parbleu ! fit Toulonnais, qui haussa les épaules. Si tu veux, je vas te donner son adresse. – Si vous en savez plus long que moi… voulut dire Piquepuce. – Cela se pourrait bien, bonhomme, interrompit l’Amitié, mais tu es là pour répondre et non point pour te fâcher. As-tu vu la dompteuse ? – Je la quitte. Elle a sa baraque place Walhubert, devant le Jardin-des-Plantes, et doit emballer après-demain pour la fête des Loges. – Se souvient-elle de Fleurette ? – Je le crois bien ! quand ce ne serait que par jalousie ! – Ah ! ah ! fit l’Amitié avec une certaine vivacité, voyons ça… Ce vieux Père a décidément de la corde de pendu plein ses poches ! – J’ai donc payé le petit noir à la dompteuse, reprit Piquepuce, au café de la gare d’Orléans. C’est encore une femme agréable, quoiqu’un peu puissante. Il paraît qu’elle en tenait dans l’aile pour ce jeune Maurice et que ça lui est même resté malgré la suite des temps. Vous savez, les dompteuses d’animaux féroces, c’est presque toujours des femmes romanesques ; il n’y a pas plus langoureuse que Mme Samayoux, quoiqu’elle ait mis jadis son mari à l’hôpital d’un coup de boulet ramé, en jouant et sans malice, dont il est mort au bout de cinq semaines de souffrances ! Elle fait des vers comme père et mère, sauf l’orthographe, et pince la guitare à l’espagnole… L’Amitié frappa du pied. – Il ne s’agit pas de Mme Samayoux, dit-il, mais de Maurice et de Fleurette. – J’allais y arriver. Quand on vint chercher la petite à la baraque de la part de ses parents, pour la faire comtesse ou autre, et Mme Samayoux dit que c’est encore là une drôle d’histoire, car l’enfant n’avait ni marque, ni signe, ni croix de ma mère, à l’aide desquels il est facile d’effectuer une reconnaissance dans les règles : quand donc on vint la réclamer, le jeune Maurice faillit devenir fou. Vous savez ou vous ne savez pas qu’il était fils de parents comme il faut et qu’il s’était engagé chez la Samayoux pour le trapèze, la boule et la perche à cause de Fleurette, qu’il idolâtrait. La petite était en ce temps-là somnambule lucide et manigançait la seconde vue. Ça a dû être un drôle de rêve tout de même quand elle a vu le carrosse qui venait la chercher pour la mener dans un hôtel des Champs-Élysées, où elle a présentement des robes de soie et des cachemires… Ne vous impatientez pas… Le jeune Maurice fit donc un coup de sa tête ; malgré que Mme Samayoux lui proposait de l’épouser en lui laissant par contrat sa baraque, ses outils et ses bêtes, il s’engagea soldat et partit pour l’Afrique. Qui est-ce qui pleura ? ce fut la dompteuse. Elle se serait même périe par le charbon sans un musicien de son orchestre qui lui adoucit momentanément sa douleur. – Pour une chose racontée agréablement, murmura Cocotte, ça y est ! – Et la fillette ? demanda l’Amitié, non sans donner de nouveaux signes d’impatience. – J’allais y venir. Mme Samayoux fut cinq ou six mois sans entendre parler de la fillette ; elle ne savait pas même où elle était, car on lui avait compté une gentille somme pour avoir Mlle Fleurette, mais une fois partie, ni vu ni connu, tout s’était fait dans le plus grand mystère. Un beau matin, à la foire de Saint-Cloud, Mme Samayoux, après avoir pris sa chopine de blanc, allait porter le déjeuner à ses bêtes, lorsqu’elle vit entrer dans la baraque une brassée de taffetas, de jais, de fleurs et de dentelles : c’était Fleurette qui se jeta à son cou en lui disant : « Où est-il ? j’en mourrai si vous ne voulez pas m’apprendre où il est ! » – Je vous dis qu’il en a ! s’écria l’Amitié, qui claqua ses mains l’une contre l’autre, il en a tout un rouleau ! Piquepuce, interloqué, le regarda avec étonnement, mais Cocotte expliqua : – Le patron entend de la corde de pendu… va toujours. – Ça lui importe donc, au vieux dont vous avez fait mention, poursuivit Piquepuce, que Mlle Fleurette et le jeune M. Maurice s’entr’adorent ? Alors tout va pour lui comme sur des roulettes, car la petite demoiselle est revenue plus de dix fois, au risque de se compromettre et rien que pour parler de lui. Il n’y a pas comme les dompteuses pour avoir de la sensibilité ; ça fendait l’âme de maman Samayoux de voir l’inclination mutuelle des deux jeunes gens, mais elle s’intéressait à leurs amours comme si c’était une pièce de la Gaîté, et elle a même fait là-dessus une romance qu’elle voulait me chanter à toute force. C’est elle qui a écrit au jeune homme en Afrique en lui disant : « Revenez, on vous attend, » mais sans lui révéler les mystères de l’aventure, parce que Mlle Fleurette dit qu’il y a de grands dangers autour d’elle… et vous devez bien savoir si elle a tort ou raison, patron. Par quoi, il n’est pas toujours si facile de revenir d’Afrique que d’y aller ; mais le jeune homme a fini par trouver la clé des champs, et Mme Samayoux était tantôt dans tous ses états, car c’est aujourd’hui même que M. Maurice doit venir la trouver pour savoir enfin ce que parler veut dire. Mons Piquepuce se tut et l’Amitié resta un instant pensif. – Voilà ! murmura-t-il ; j’essaye des carambolages absurdes et les trois billes du bonhomme reviennent toujours dans le petit coin ! – À ton tour, Cocotte, ajouta-t-il brusquement, mons Piquepuce a fini et il peut aller voir en bas si nous y sommes. Ce dernier obéit aussitôt, et dès que la double porte fut refermée, l’Amitié reprit : – À nous deux, petit, ce n’est pas toi, qui vas parler, c’est moi, et tâche d’écouter comme il faut. Ta besogne n’est pas difficile, puisque tu as été dans la partie, mais il faut que la chose soit faite avec soin : c’est pour payer la loi. Rue de l’Oratoire-du-Roule, N° 6, tout auprès des Champs-Élysées, il y a un garni… – Je vois ça, interrompit Cocotte, deux corps de logis. J’ai connu une dame qui demeurait sur le derrière ; on montait une cour en pente pour arriver chez elle et sa fenêtre était à cinq pieds du carreau parce que Mme la marquise d’Ornans ne voulait pas qu’on regardât dans son jardin. – C’est parfait, petit ; tant mieux si tu connais les êtres. Il s’agit justement du second corps de logis où demeurait ta dame ; il y a là deux chambres au second qui se touchent. – Les numéros 17 et 18, dit encore Cocotte. – Précisément. Tu vas prendre avec toi ta trousse, et tu ouvriras la porte du numéro 17. – Minute ! objecta le jeune bandit, le concierge m’a vu vingt fois. – Tu arrangeras ta tête, ça te regarde. – Mais s’il y avait quelqu’un dans la chambre numéro 17 ? – Il n’y aura personne. Quand un amoureux revient d’Afrique et trouve quelqu’un à qui parler de sa belle…
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