Chapter 2

1456 Words
II Les suites d’une révolte – Fier et penaud – Rentrée triomphale – AngoissesUn beau jour, une révolte éclata dans le lycée où j’étais interne. Quel en fut le motif ? Aujourd’hui que l’évènement est si loin de moi, je ne saurais le dire. Peut-être voulait-on protester contre une apparition trop fréquente de haricots au réfectoire, contre l’outrecuidance d’un maître d’étude ou contre une punition infligée à tort ; encore une fois, je l’ai oublié. Toujours est-il que cette révolte amena des désordres graves ; il y eut des vitres cassées (que les parents payèrent) ; on se barricada dans une étude avec des bancs et des pupitres. Enfin, le censeur et le proviseur lui-même, ayant voulu parler d’une manière paternelle aux insurgés et les engager à rentrer dans le devoir, avaient été hués avec insolence. Or, moi, Félicien l’Indépendant, je me trouvais le chef et le héros de cette formidable insurrection. Non pas que j’eusse aucun grief particulier contre les chefs du lycée ou contre personne ; j’obéissais uniquement à cet instinct d’insubordination qui était en moi et que je ne songeais pas à surmonter. D’ailleurs, les camarades avaient déclaré que, par mon courage et ma capacité, j’étais seul digne de les commander, et ce rôle prééminent avait flatté mon orgueil. Je remplis en conscience mes hautes fonctions. Nul plus que moi ne brailla, ne cassa de carreaux, ne bouscula de tables. J’étais partout à la fois, tantôt haranguant « mes soldats », tantôt commandant une barricade de chaises. Je considérais comme un devoir de me montrer plus turbulent que les autres. Aussi tous les cancres du lycée m’accablaient-ils d’éloges et, après l’action, on ne parlait de rien moins que de me porter en triomphe. Comment finit cette aventure ? dira-t-on ; mon Dieu ! comme finissent toutes les aventures de ce genre. Force resta à la loi, c’est-à-dire au proviseur. L’armée insurrectionnelle fut défaite et dispersée. Parmi les vaincus, les uns furent privés de sortie pour un mois, les autres plus coupables furent mis au cachot. Quant aux généraux, ils furent ignominieusement chassés du lycée. J’étais au nombre des expulsés. Et voilà pourquoi, le lendemain de cette journée si glorieuse, je m’acheminais vers la demeure de ma famille, escorté d’un domestique à la livrée du collège. Il était chargé de mon bagage, et d’une lettre du proviseur qui signifiait ma sentence à mes parents. Peut-être, au fond du cœur, n’étais-je pas bien joyeux et bien fier de cette promenade à travers les rues, en pareille compagnie. On pouvait aisément deviner de quoi il s’agissait, et plus d’un passant se retournait pour me regarder d’une façon moqueuse. Mais je ne voulais paraître ni triste, ni humilié. Au contraire, j’affectais une mine conquérante. J’avais boutonné ma tunique, serré mon ceinturon de cuir verni, campé mon képi sur l’oreille, et je m’en allais, le nez au vent, en sifflotant un air d’opéra. J’arrivai ainsi chez mon père. Il était sorti pour ses visites ; mais ma mère et Caroline étaient au salon, où j’entrai brusquement, suivi de mon garde-du-corps. En m’apercevant, ma mère tressaillit et devint pâle, comme si elle pressentait un malheur. Elle se leva, sans oser faire une question. Ma petite sœur accourut au-devant de moi : – Ah ! Félicien, s’écria-t-elle, il y a donc congé aujourd’hui ? Que je suis contente de te voir ! Elle voulut m’embrasser, je la repoussai avec brutalité : – C’est bon, c’est bon, lui dis-je ; tu auras le temps de me voir désormais ! Je me jetai dans un fauteuil, laissant la pauvre enfant interloquée et près de pleurer. Cependant, ma mère avait pris connaissance de la lettre du proviseur et échangé quelques mots avec le domestique du lycée. Elle aussi pouvait à peine retenir ses larmes ; mais ce fut seulement quand cet homme fut parti qu’elle les laissa couler. – Malheureux enfant ! qu’as-tu fait ? s’écria-t-elle avec désespoir ; chassé !… Chassé du collège ! Quelle douleur et quelle honte !… Mon Dieu ! que va dire ton père ? – Eh ! maman, que voulez-vous qu’il dise ? répliquai-je d’un ton farouche ; il prendra, comme moi, son parti de cette affaire. Il n’y avait plus moyen d’y tenir là-bas et je suis enchanté que ce soit fini. Ma pauvre mère fut encore plus navrée de cette réponse que de l’évènement lui-même. – Quoi ! Félicien, s’écria-t-elle, est-ce ainsi que tu parles d’un acte déshonorant, qui nous plonge tous dans l’affliction ? Comprends-tu si mal ton intérêt, le respect de toi-même ? Songes-tu, pauvre enfant, que c’est là une flétrissure pour toute ta vie ?… Chassé du collège !… Mon Félicien que j’aimais tant !… Tu me brises le cœur. Elle éclata en sanglots, et Caroline, bien qu’elle ne comprit peut-être pas très clairement la gravité du cas, remplit la maison de ses cris. J’étais ému de mon côté, j’en conviens, et je fus sur le point de les imiter. J’éprouvai la tentation de me jeter à leur cou, de les embrasser, de leur demander pardon pour le chagrin que je leur causais ; mais un s*t orgueil m’arrêta. Détournant la tête, je demeurai sombre et silencieux dans mon fauteuil. Ma mère continuait ses lamentations, sans que je jugeasse à propos de prononcer un mot pour m’excuser ou pour la consoler. La petite Caroline, indignée, me disait d’un ton de douloureux reproche : – Oh ! méchant… méchant Félicien ! qui fait pleurer maman ! Ce qui semblait toujours préoccuper ma mère, c’était l’effet que cette catastrophe allait produire sur son mari. Mon père, quoique fort doux d’habitude, était sujet à de violents accès d’emportement, et il y avait lieu de craindre qu’en pareille circonstance, il ne sortît de son caractère. Mon attitude hautaine, presque provocante, pouvait surtout amener ce résultat. – Mon Dieu ! comment prendra-t-il cette nouvelle ? répétait la pauvre femme ; le chagrin et la colère lui tourneront le sang… Je t’en conjure, Félicien, ne lui parle pas comme tu me parles ; il serait capable… Montre-lui du repentir, de la soumission… Mon fils, mon enfant adoré, promets-moi que tu seras humble et repentant devant lui ! – Eh ! maman, que voulez-vous que je promette ? Papa est un homme, il comprend les choses, et il n’exagérera pas l’importance de cette bagatelle… – Une bagatelle ! ce qui peut compromettre ton avenir !… Mon Félicien, je t’en supplie, rentre en toi-même, humilie-toi… Parle avec modération à ton père ; il est si bon, qu’il finira par te pardonner. – Je n’ai pas besoin de m’humilier, répondis-je d’un ton arrogant ; je ne suis plus un bébé, que diable ! Papa entendra raison, je vous le répète… et quand je le verrai, je lui dirai nettement… Je m’interrompis tout à coup ; une voiture légère entrait dans la cour, et j’avais reconnu au bruit le petit coupé du docteur. Ma mère l’avait reconnu de même, et se leva terrifiée. – C’est mon mari ! s’écria-t-elle ; oh ! je t’en supplie, Félicien, qu’il ne te voie pas en ce moment !… Tu es encore trop animé… Laisse-moi le préparer à cette mauvaise nouvelle, lui annoncer avec précaution… Monte dans ta chambre, je t’en conjure ; j’irai te chercher quand il en sera temps. – À quoi bon ? répliquai-je en m’efforçant de conserver mon air farouche ; ne faut-il pas qu’on sache tôt ou tard… Pourquoi ne parlerais-je pas à mon père ? Croyez-vous que je n’oserais pas lui parler ? Au même instant, la voix forte et sonore du docteur, qui donnait un ordre au domestique, retentit dans le vestibule. En dépit de moi-même, je fis un soubresaut, et, après quelques secondes d’hésitation, je dis avec volubilité : – Je crois pourtant que vous avez raison, chère maman ; il vaut mieux que vous le voyiez d’abord. Je sortis, ou plutôt je me sauvai de toute ma vitesse, et je gagnai la petite chambre affectée à mon usage, quand j’étais à la maison. Assis dans un coin, j’essayai d’entendre ce qui se passait à l’autre bout de l’appartement. Quelques éclats de voix parvinrent jusqu’à moi, mais je ne pouvais distinguer aucune parole. Malgré mes rodomontades, le cœur me battait avec force. Qu’allait faire mon père et qu’allait-il dire ? Je m’attendais à le voir, d’une minute à l’autre, se précipiter dans ma chambre. Le moindre bruit de pas, le moindre craquement du plancher me donnait le frisson. Un temps assez long se passa dans cette anxiété et, à ma grande surprise, mon père ne paraissait pas. Bientôt j’eus d’autres sujets d’étonnement. Un cheval piaffait dans la cour ; je soulevai avec précaution le rideau de la fenêtre, et je vis que l’on attelait, comme si mon père allait ressortir. En effet, il ne tarda pas à paraître lui-même, monta dans la voiture d’un air préoccupé, et je supposai que, quelqu’un de ses malades étant en danger, il se trouvait dans l’obligation de se rendre auprès de lui sans retard, comme cela arrivait souvent. Je respirai donc ; mais, au lieu de profiter de ce moment de répit pour revenir à de meilleurs sentiments, je m’endurcis dans mes idées de rébellion. J’eus bien la pensée d’aller rejoindre ma mère pour m’enquérir de ce qui avait été dit à mon sujet ; mais il me sembla que cette démarche serait au-dessous de moi et qu’il valait mieux attendre que ma mère et ma sœur vinssent dans ma chambre, comme elles ne pouvaient, à mon avis, manquer de le faire. Cependant elles ne vinrent pas ; car, sans doute, elles avaient reçu des ordres formels à cet égard, et je demeurai dans ma solitude majestueuse. Près de deux heures s’écoulèrent encore. Enfin un roulement se fit dans la cour, et, écartant de nouveau la draperie de la fenêtre, je vis mon père descendre de voiture. Il avait le teint rouge, enflammé, et semblait être sous le coup d’une vive agitation. Il se rendit au salon, d’où s’élevèrent les éclats de voix que j’avais entendus déjà ; mais, cette fois, la conférence ne fut pas longue. Bientôt plusieurs portes claquèrent l’une après l’autre, des pas rapides résonnèrent à travers l’appartement, et mon père entra comme un ouragan dans ma chambre.
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