4 : premiers regards

1363 Words
Le Dragon sembla s'apercevoir de l'émotion qui traversait le regard d'Aspen. Il ne la connaissait que trop bien car il l'avait lui-même plusieurs fois expérimenté avec feu son épouse. "Je m'excuse" dit-il fermement et prit la main de la jeune femme dans la sienne. "J'étais perdu dans mes pensées, loin de moi l'idée de vous repousser, ma chère." expliqua-t-il mais conserva un visage impassible. Aspen fut surprise de l'entendre parler autant. Malheureusement, elle ne comprit que "excuse" parmi les mots qu'il avait prononcés. Elle hocha la tête, et répéta en lui montrant le pochon " odeur quoi être ?" Il fronça légèrement les sourcils en sentant les essences contenues dans le sachet. Aspen s’était à nouveau approchée de lui. Il s’était lui même incliné pour sentir l’odeur du pochon, posant quasiment son menton dans la paume de sa jeune épouse. Il commença "Je crois déceler du sental, de la fleur d'oranger et... du tilleul..." "Tilleul ?" Aspen regardait le pochon avec curiosité "Tilleul..." Elle croisa les bras et pencha la tête sur le côté gauche "Moi pas connaître quoi tilleul être" Seiryu la regarda un instant et se figea. C'était la première fois qu'il portait réellement attention à la créature qui allait lui servir de Dame de l’Est désormais. Il lui dit nonchalamment : "Tilleul...dans votre langue il me semble que vous appelez cela äk". « Äk... » avait murmuré Aspen en reprenant une profonde inspiration. **** Elle était fascinée par cet homme qui était désormais son mari, celui à qui elle devrait totale obéissance et qui aurait tous les droits sur elle. Elle commença par envier sa peau blanche qui ressemblait à l'ivoire dont étaient ornées les dagues de son père. Ses mères lui avaient toujours reprochée ses longues promenades sous le soleil ardent de la steppe. Aspen éprouva un léger sentiment de honte à cet instant précis et regretta de ne pas s'être couverte plus souvent lorsque nécessaire. Son attention se porta ensuite sur les lèvres fines de son époux et elle ne put s'empêcher de comparer sa lèvre supérieure à la forme de l'arc des hommes de sa tribu. Elle continua en observant son nez dont l'arrête était haute et droite. La plupart des hommes de sa tribu avaient le nez tordu ou bossu par endroit, à force d'avoir été cassés, à maintes reprises, dans différents affrontements. Elle songea que son mari ne devait pas être un combattant, après tout, il était un seigneur qui devait passer la plus grande partie de son temps à gérer son domaine plutôt qu'à faire la guerre pour l'étendre d'avantage. Enfin elle plongea à son tour son regard dans celui du seigneur de l'Est. Ce qu'elle y vit la tétanisa sur place. Un froid glacial y régnait. Un calme gelé comme si cet homme avait tué en lui toute émotion. Le noir profond de ses yeux reflétait la lumière des flambeaux accrochés aux murs de la salle. Elle savait qu'un cycle entier des douze animaux la séparait de son époux ce qui pouvait expliquer la maîtrise qu'il avait de lui-même. Mais elle savait aussi que trop de calme chez un homme pouvait aussi masquer une folie profonde. Elle ne savait pas encore à quel point la pensée qu'elle avait eu était cruellement correcte. **** Seiryu quant à lui était captivé. Il observait avec avidité la beauté aux yeux émeraudes qui se tenait à ses côtés. De toutes les femmes qui lui avait été présenté, elle était la seconde dont l'apparence avait été capable d'éveiller ses sens. Par curiosité, il posa une main sur la joue de sa jeune épouse et commença à s'approcher d'elle lentement. Il voulait observer davantage la couleur de ses yeux. Elle lui faisait penser aux grandes forêts de son domaine, au vert profond d'un jade impérial, à la brillance précieuse d'une émeraude qu'on aurait mis à contrejour pour en admirer l'éclat. A sa surprise, la couleur de peau basanée d'Aspen était ce qui l'intriguait le plus chez elle. Il avait grandi au milieu de femmes qui craignaient le soleil et dont la peau était d'une pâleur cadavérique. Aussi, ses mains désiraient ardemment parcourir le corps d'Aspen pour en découvrir toutes les couleurs du soleil qui s'y trouvaient. Tout chez elle l'émouvait au fur et à mesure qu'il la découvrait. Seiryu avait l'habitude des jeunes filles timides des bonnes familles qui rougissaient dès que son regard se posait sur elles par inadvertance. Cependant sa jeune épouse, elle, maintenait son regard et semblait le défier. Il se dit un instant « Encore une bête sauvage qu'est venu recueillir le Si Shòu... une bête que je façonnerais à ma convenance... » Il vit Aspen se passer la langue sur la lèvre du bas, sans doute à cause de la température élevée qui régnait dans la salle d'eau. Il songea un instant à l'effet que pourrait avoir les lèvres pulpeuses et à l'apparence si douce de sa jeune épouse sur les siennes. **** Elle se rendit compte que le dragon l'observait désormais avec insistance. Elle éprouva un léger malaise quand elle le sentit déplacer les cheveux mouillés qui couvraient son épaule. Elle entendit son époux prononcer un mot en un murmure mais elle n'en comprenait pas le sens. Elle voulut lui demander de répéter ses paroles mais se tut subitement lorsqu'elle s'aperçut de la proximité de leurs corps. Le dragon avait plongé son regard dans celui de la panthère et répéta ses paroles dont le sens échappait complètement à Aspen. Elle inclina la tête sur le côté où se tenait la main de son seigneur : « quoi vouloir dire ? » Elle fut surprise par le son de sa propre voix. Certes elle était une femme de peu de mots et ne prenait qu’en de rares occasions la parole. Cependant quand cela devait arriver, son père avait toujours été fier de la manière claire et limpide avec laquelle elle s'exprimait. Or à cet instant, les mots d'Aspen n'avaient été qu'un murmure venu troubler le silence. Le dragon rit un instant. Il fut déstabilisé par sa propre réaction. Depuis combien de temps déjà n'avait-il plus été capable de rire ? A quand remontait la dernière fois qu'un être était capable de créer tant d'émotions en lui ? Il prit à deux mains le visage d'Aspen et posa son front contre le sien. Il répéta ses paroles à sa jeune épouse de sorte qu'elle seule puisse entendre ses mots : « あなたは*しい » (Anata wa utsukushī) Aspen cligna plusieurs fois des yeux et tenta de répéter : « Anataaa oua outsoukshi ? » Le seigneur de l'Est s'écarta et sortit du bain, ses vêtements collés à sa peau. Il frappa deux fois dans ses mains. La panthère répéta avec plus de conviction : « Quoi vouloir dire ? » Des servantes entrèrent les bras chargés de serviettes et entreprirent de sécher leur maître. Seiryu se retourna et fixa d'un air mystérieux sa jeune épouse : « сен әдемісің » (sen ädemisiñ) Le cœur d'Aspen se mit à battre à tout rompre. Elle sentit le feu lui monter aux joues et elle plongea subitement sa tête sous l'eau. Le dragon ne s'était pas attendu à cette réaction de la part de cette bête de l'Est et ne put contenir un rire, ce qui surprit au plus haut point les servantes présentes. Le Dragon ne riait jamais. Le Dragon ne montrait jamais aucune émotion en présence de qui que ce soit. Le dragon était tel un dieu imperturbable qui avait pris possession du corps d'un des fils du trône. Par miracle, cette jeune fille sauvage avait rendu un semblant d'humanité à leur seigneur. Aspen sortit sa tête de l'eau et se tenait le visage à deux mains. « сен әдемісің » « Tu es belle ». ******* Pour éclaircir un peu la chose : Shijî : chinois Sì Shòu : japonais Terres sauvages : kazakh (langue majoritairement parlé par les peuples mongols qui m'ont inspiré le personnage d'Aspen. Au risque de vous décevoir, je ne parle couramment ni n'écris aucune de ces langues. Google translate est mon ami et des bouquins sur les citations et les poèmes sont mes références majeures.
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