Madame de Risquenville
Hier, un homme en blouse fanée, coiffé d’une oque à visière, remontait la rue Laffitte. Il poussait devant lui une charrette à bras sur laquelle étaient entassées des poires de toutes dimensions, et, d’une voix avinée, il criait aux passants :
– Demandez des duchesses !
Je ne sais par quelle association d’idées ce crime transporta subitement du ruisseau de la rue Laffitte à l’avenue des Champs-Élysées, – et je sais encore moins pourquoi une image bien connue traversa ma pensée comme un gracieux fantôme…
Cette image était la photographie en couleur de madame de Risquenville.
La singulière personne que cette excentrique étrangère, et comme elle aurait bon air dans une cage dorée ! On lui offrirait des noisettes et des fleurs, elle rendrait une grimace et un sourire, sourire affable, charmante grimace.
Madame de Risquenville est une grande dame.
Elle ne l’ignore point et elle a***e quelquefois des bénéfices de l’exception et des privilèges de l’impunité.
Elle est élégante, bien faite, – et Worth vous le dira.
Elle est blonde, – et la Skittles, qui a essayé de toutes les teintures, peut vous affirmer que madame de Risquenville est d’un blond très réussi.
Elle est spirituelle, mauvaise langue, folâtre, étourdie, curieuse, plus Parisienne que la rue Richelieu et plus répandue que le Petit Journal.
Le Petit Journal va partout…
Elle aussi.
La curiosité la pousse. Elle ne se contente pas de savoir si Paris a une jolie bouche, elle veut aussi le regarder au talon.
On a vu, cette année, madame de Risquenville :
Au Château des Fleurs, au bal Mabille (deux fois) ;
Aux Folies-Marigny, en petite baignoire (trois fois) ;
À l’Alcazar d’été, dans la loge même de Thérésa (cinq fois) ;
Au bal Morel (une fois) ;
À la Reine-Blanche (deux fois) ;
À la Closerie-des-lilas (trois fois) ;
Au Casino-Cadet (six fois) ;
Au bal de l’Opéra (treize fois) ;
Sur le palier du café Anglais (dix-sept fois) :
À la messe (une fois).
Et cependant madame de Risquenville est une vertu.
Quand on l’aperçoit dans un des coins de Paris qui semblent n’être faits que pour elle, on se pousse le coude, on chuchote : – Madame de Risquenville est ici !
– Bah !
– Là, tenez ; suivez ma lorgnette.
– Et ce monsieur, derrière elle ?
– C’est son mari.
Elle l’aime ?
– On n’a pas le droit d’en douter.
– C’est donc une vertu ?
– Une vertu quand même.
Madame de Risquenville veut une galerie. Elle aime les assiduités, mais elle n’aimera jamais les assidus. Peu lui importent les commentaires, ils ne l’atteignent pas.
Elle chante la Gardeuse d’ours et la Fille au trombone, comme Thérésa et Lasseny.
Elle danse le cancan comme Rigolboche.
Elle joue la comédie comme Alphonsine.
Elle fume comme un bateau à vapeur.
Telle qu’elle est, madame de Risquenville fait des passions, – et ne les défait pas.
Ce dernier hiver, il y avait bal masqué à l’hôtel de la Résidence des cœurs législatifs.
Le baron de X…, capitaine de cavalerie, blessé d’un éclat d’obus à Sébastopol, parcourait les salons en costume d’apothicaire Louis XV. Le baron portait fièrement suspendu à son ceinturon l’instrument que Molière a légué au maréchal Lobau.
– Connais-tu cela ? beau masque ? demanda le baron à madame de Risquenville.
– Oui, répondit vivement celle-ci, c’est le canon qui a blessé ce pauvre baron de X… en Crimée !
Le mot y était.
Dernièrement encore, madame de Risquenville descendait de voiture sur le boulevard des Capucines. Une femme s’approche d’elle :
– Madame, dit-elle, ayez pitié de moi. Je suis enceinte et je n’ai pas d’argent.
Madame de Risquenville lui donna une pièce de quarante sous.
– Tout cela ? fit la femme avec dédain. Croyez-vous que cela suffise pour m’acheter une layette ?
– Dame ! s’écria madame de Risquenville, ce n’est pas moi qui vous ai mise en cet état !
Hier, un homme en blouse fanée, coiffé d’une loque à visière, remontait la rue Laffitte. Il poussait devant lui une charrette à bras sur laquelle étaient entassées des poires de toutes dimensions, et, d’une voix avinée, il criait aux passants :
– Demandez des duchesses !
*
Mademoiselle P… femme d’esprit s’il en fut, soupait au café Anglais avec le prince X…
Survient l’ancien cavalier de la dame : « Je ne vous dérange pas ? »
– Mais comment donc, pas du tout ! Soupons-nous tous les trois ?
– Trop flatté.
Ce n’est qu’au moment de l’addition qu’il y eut un réel embarras.
Aucun des deux gentlemen n’osait payer pour l’autre.
Messieurs, dit en riant mademoiselle P…, c’est moi que cela regarde…
Et elle paya.
*
M. Narischkine, à son arrivée à Paris, déjeunait volontiers, chez Bignon.
Un matin, il trouva sur sa note cette simple ligne :
*
Deux pêches… 15 fr.
– Les pêches sont donc bien rares ? demanda-t-il au patron.
– Non, monsieur, répondit Bignon avec le suave sourire qu’on lui connaît, ce ne sont pas les pêches qui sont rares, ce sont les Narischkine !
*
C’était dans le salon bleu d’une femme blonde.
Les princes russes abondaient.
L’un d’eux cita en riant le proverbe : « Grattez le Russe, vous y trouverez le Cosaque. »
– Et si on gratte le Cosaque ! demanda un voisin.
– On trouve l’ours ! dit la dame.
– Et si on gratte l’ours ?
– ON RETROUVE LE RUSSE !
*
– La marquise paraissait triste aujourd’hui !
– Dame ! le marquis est à la chasse… !
– Ce n’est pas cela !
– D… est en Angleterre.
– Heu !…
– Et M… est à Marseille.
– C’est vrai, la voilà veuve.
*
M. de Z…, qui a contracté l’habitude de se griser et de faire de la casse, a été surnommé par ces dames « le comte de Descendez-Cristaux. »
*
M. G…, après trois semaines de soupirs, avait obtenu un rendez-vous d’une dame qui passe pour imprenable, – à ce point qu’on l’a surnommée madame Kronstadt.
Si discret que soit un homme, il a toujours un confident.
– Eh bien ! demanda celui-ci, comment vous a-t-on reçu ?
– Les sourcils froncés, l’œil irrité.
– Mais enfin, on vous attendait.
– Sans doute !
– Dans quelle attitude ?
– Dans l’attitude de la Russie.