III
Madame de Risquenroute
HISTOIRE DE CHEMIN DE FER
L’aventure est à l’ordre du jour. – Il y a d’abord un mot plein de grâce naïve attribué à mademoiselle P…, qui disait hier à son amoureux :
– Si cela ne te fait rien, je te tromperai pour le terme ?
*
Il y a ensuite l’histoire de madame de G… – en chemin de fer.
Madame de G… revenait d’Arcachon à Paris.
À la station de Libourne, la portière s’ouvre et un jeune homme prend place dans le coupé, à côté de madame de G…
Ce jeune homme, vous le connaissez, c’était Amaury, ancien attaché d’ambassade, – aujourd’hui journaliste.
Le train s’étant remis en marche, le tête-à-tête commença par deux a parte.
AMAURY seul, dans son coin. – Jolie femme… pas de mari, pas de femme de chambre ! Que signifie ?… Il y a du monde dans ses allures… Les yeux sont beaux, la peau blanche, la main petite… Oh ! le joli petit nez ! le joli petit nez !… Et les cheveux… Rien n’est singulier comme l’émotion que me cause la vue d’une jeune et riche chevelure… Heureux celui qui dénoue les tresses de ma voisine… C’est dans la chevelure des femmes que les baisers font leur nid !
LA DAME regardant le paysage. – Allons, il était dit que je ne voyagerais pas seule… J’ai eu tort de laisser Jenny à Arcachon… Il me semble que mon voisin me regarde beaucoup. Cette attention est gênante… Il est si facile de tout voir sans rien regarder. – Que pense-t-il de moi ? Si je lui montrais mon pied ?
Elle se penche à la portière, et son petit pied s’étale sur le tapis du coupé.
AMAURY seul. – Oh ! le joli pied.
LA DAME. – Il cherche à savoir quel est le livre que je tiens à la main. Beaucoup de gens jugent les femmes sur leurs lectures… Elle pose à côté d’elle le livre entrouvert.
AMAURY seul. – Mademoiselle de Maupin !… On pourra causer.
LA DAME prenant un flacon dans son nécessaire. – Bon ! le voilà qui tâche de lire mes initiales… Ce jeune homme est fort indiscret… Il n’est pas mal, du reste… l’air fatigué, c’est bon signe. Quelle est cette rosette à sa boutonnière ? Il y a dû vert, du blanc, du bleu, et un peu de rouge… le Christ, Charles III, Maurice et Lazare, c’est un intrigant… Il n’a donc pas fini de me contempler ? Ah ! la taille ? il veut voir la taille ? Tiens, la voilà…
Elle ôte son châle de dentelles.
AMAURY seul. – Quelle taille élégante !
LA DAME. – Il ne parlera pas ? Je ne comprends pas qu’on cherche si longtemps une phrase…
AMAURY se décidant. – Il fait bien chaud, madame, aujourd’hui.
– Monsieur, je m’en étais aperçue.
– Vous arrivez sans doute de Biarritz ?
– Non, monsieur, d’Arcachon.
– Y avait-il du monde ?
– Des personnes connues !
– Ferez-vous le tour du Rhin ?
– Ma femme de chambre est tombée malade.
– Les dunes sont vraiment admirables. Cette nature sauvage, etc.
– Et vous, monsieur ?
– Je viens de passer deux jours chez le duc D…
– Ah ! vous connaissez le duc ? qui donc était là…
– Monsieur de, monsieur F…, monsieur de…, et monsieur Amaury.
LA DAME avec mépris. – Ce monsieur Amaury était là ?
AMAURY glacé. – Oui, madame. Est-ce que vous le connaissez ?
LA DAME. – Pas du tout, et je m’en flatte !
AMAURY. – Avez-vous à vous plaindre de lui ?
LA DAME. – C’est un débauché, un courtisan, un garçon taré, criblé de dettes, comprometteur de femmes, sans foi, sans honneur… Une de mes amies m’a parlé de lui, c’est un misérable.
AMAURY. – Vous m’étonnez, madame. Je connais fort peu cet Amaury, mais il m’a semblé qu’on faisait de lui une toute autre estime.
LA DAME. – Oh ! plus un mot là-dessus, je vous en prie !
Amaury tourna la conversation. Il fut brillant, spirituel, poétique même.
À Châtellerault, il prit la main de la dame…
À Amboise, il baisa la main de la dame…
Aux Ormes, il lui prit la taille…
– Tours ! vingt minutes d’arrêt !
Les voyageurs pour la ligne de Nantes changent de voiture !
– Connaissez-vous la Touraine ?
– Non, et vous ?
– Balzac en fait de telles descriptions dans ce suave roman qui s’appelle le Lys dans la vallée…
– Que vous avez envie de vous y établir ?
– Jusqu’à demain.
– Eh bien ! restez !
– Deux chevaux, un char-à-bancs, un petit bateau à voile… et la liberté. Voyons, madame !
– Quoi donc !
– Restez à Tours jusqu’à demain ?
– Vous êtes fou ?
– Un tête-à-tête en pleine campagne est-il plus dangereux qu’un tête-à-tête dans un coupé ?
– C’est de la folie, vous dis-je.
– Je vous en supplie ! on ne vous attend que demain, vous me l’avez dit !…
– Je ne sais seulement pas votre nom ?…
– Je vous le dirai ce soir.
– Eh bien !… votre bras !
– Messieurs les voyageurs, en voiture !
Amaury conduisit madame de G… à l’hôtel du Faisan.
Après dîner, il envoya chercher une calèche et tous deux s’égarèrent sur les bords de la Loire…
– Me diras-tu ton nom, maintenant ?
– Madame, je m’appelle AMAURY.
*
On nous envoie la communication suivante :
Maisons-Laffite, 9 août.
Il y a environ deux mois, une cantatrice de l’Opéra vint s’établir à Maisons, dans un petit cottage très élégant qu’elle a loué pour l’été.
Tout le monde crut qu’elle y venait pleurer M. de…, parti pour des eaux lointaines afin de reposer sa raie.
Mais point ! – Elle y attendait une nouvelle passion.
Et l’on rencontre tous les jours avec elle un jeune étranger, qui l’adore et qu’elle adore.
M. de… se plaignait l’autre jour à un de ses amis de ce que, pendant son absence, on avait pris sa place…
L’ami qui le connaissait à fond… perdu, lui répondit, pour le consoler :
« Sois tranquille, il a pris ta place ; mais, en bon prince, il te la payera ! »
*
Une jolie danseuse de l’Opéra disait en montrant ses jambes :
– C’est avec ça que je nourris papa et maman… Aussi ils appellent mes mollets des pattes alimentaires.
*
Siraudin, voulant faire ses compliments à un nouveau décoré, courut à lui du plus loin qu’il l’aperçût, lui prit les deux mains et commença ainsi :
Voulez-vous permettre à UN INDIFFÉRENT de vous féliciter ?
*
Un personnage, très connu dans Paris, vient d’adresser une singulière demande au comité de la Société des artistes dramatiques.
Cet individu, qui a brillé pendant quelque temps aux Provençaux et au café Anglais (de minuit à six heures du matin), est tombé dans une profonde pénurie.
Tel est le sort de ces gandins d’occasion qui sèment en quelques mois leur patrimoine sur le pavé de Paris et finissent par une place de douze cents francs dans les chemins de fer.
Réduit à la dernière extrémité, ce monsieur s’est avisé de demander de l’argent au baron Taylor et à M. Samson.
« J’ai mangé, dit-il, quatre cent mille francs avec les actrices. J’ose donc espérer que la Société des artistes dramatiques voudra bien venir à mon secours ! »
*
Mademoiselle P…, encore inconnue comme artiste, mais déjà trop célèbre comme femme, nous a raconté elle-même l’anecdote suivante. Nous n’y changeons pas un traître mot…
On dit que le théâtre sert à poser les femmes…
Faut pas croire ça… Du reste, les hommes sont si bêtes !… Il y en avait un qui était amoureux de moi, mais fou. Sa famille voulait l’attacher. Il m’offrait 2 000 fr., rien que pour me reconduire. Bien souvent, une dame m’avait dit : Vous avez tort de ne pas écouter cette personne… Enfin, je me décide, et je dis à cette dame : Eh bien ! je joue lundi à la salle Lyrique… que ce monsieur vienne à la représentation, et, à la sortie, je prendrai son bras.
Voilà mon imbécile qui vient… Je joue la pièce ; ma femme de chambre me jette un bouquet… Enfin ça va très bien.
À la sortie, je cherche des yeux… pas un chat. Je demande à la dame : Eh bien ! où a-t-il passé ?
– Ah ! c’est qu’il vous a vue jouer, qu’elle me dit, – et il ne veut plus.
*
C’était à la dernière séance de l’Académie…
M. Guizot s’apprêtait à donner lecture d’un document quelconque.
Le dialogue suivant s’établit entre deux assistants :
– C’est celui-là, Guizot ?
– Oui.
– Pourquoi tient-il un papier à la main ?
– Ah ! il demande toujours à sortir.
*
Mademoiselle S… disait, en parlant d’un banquier galant :
– C’est lui qui m’a pris mon honneur…
– Ça lui en fera un ! répondit B…
*
Le baron G… a rompu depuis un mois avec la petite danseuse blonde – qu’il a tant aimée !
Cette demoiselle recevait des amis à elle dans l’appartement du baron. Celui-ci a trouvé la chose de mauvais goût, et, dans un accès de colère, il a poussé le petit ange dans l’escalier.
Le petit ange s’est relevé et s’est fait conduire aux courses.
De l’escalier à la Marche, – il n’y a qu’un pas.
– Est-ce que cette rupture est définitive ? demandait-on au baron.
– Certes ! répondit celui-ci.
– Vous ne voyez plus du tout la petite ?
– Du tout ?
– Eh bien ! le public continue de vous la donner…
– Le public ferait mieux de la garder.
*
C’était pendant un dîner chez madame de L…
– Quel est donc ce monsieur là-bas ? demanda un invité.
– C’est le docteur G… D… un homme charmant… Si vous saviez comme il prend gaiement la vie !
– La vie des autres ?
*
Ce mot rentre dans un ordre d’esprit facile à faire, et dont nous indiquerons prochainement la recette. Il y a bien eu, depuis le commencement du monde, dix ou douze bons mots – tout au plus, mais des mots-souches, des mots-maquettes. Ces mots changent selon qu’on les applique d’une façon différente dans la conversation, mais au fond, ce sont toujours les mêmes. Ainsi :
– Vous savez ?
– Quoi ?
– D… a fait fortune.
– Ce cuistre, ce goujat !
– Il roule carrosse !
– À la place du cheval ?
*
Ou bien encore :
– Qu’est-ce qu’il y a donc sur les cartes de Fanny ?
– Une couronne de comtesse.
– Allons donc ! une couronne de lit !
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Toujours le même ! toujours ! toujours !
– Êtes-vous allé chez madame de X… ?
– Une ou deux fois… Pourquoi reçoit-elle ses amis à des heures différentes ?
– C’est une femme d’esprit, qui veut juger son monde.
– Elle reçoit en robe de chambre et en pantoufles.
– Eh bien, mon ami, quand on lui plaît, ce sont des pantoufles de sept lieues.
*
– Tu sais, disait la petite L…, que je ne suis plus avec Ernest ?
– Bah ! tu l’aimais tant… tu étais toujours à l’embrasser !
– Oui, mais ce n’est plus comme autrefois.
– Tu ne pouvais pas rester une demi-heure sans le voir ?…
– Oui ! À présent, je l’ai dans le nez.
– Ah ! ce n’est plus comme autrefois !