Chapitre 4
Ça y est ! On est descendus à la cave, mémé et moi. Même que le lit de mémé, il a pas pu passer parce que la porte est trop petite. Juste le matelas. On va dormir tous les deux dessus. J’aime pas trop dormir avec ma mémé. Elle ronfle comme une cheminée et quand elle s’arrête, c’est encore plus pire ! L’air passe plus ; alors, elle bruite en tournant sa langue dans le fond de sa gorge pour que ça reparte. Je sais pas comment elle fait ! Moi, j’arrive pas ! Je lui ai demandé de me montrer mais elle m’a donné une tape pour de rire sur la tête. Elle a eu beaucoup de chagrin aujourd’hui, ma mémé. Elle a demandé à ma maman de lui apporter le sirop que sa maman à elle lui donne quand elle a mal au ventre. Ma maman à moi a soupiré mais l’homme de sa vie s’est encore énervé et a crié sur mémé : « Vieille folle, tu vas arrêter de bassiner ma femme avec ta mère ! Ça fait cinquante-trois ans qu’elle est morte, ta mère ! » « Ne te mets pas en colère contre elle, a supplié ma maman. Ce n’est pas de sa faute, mon chéri. C’est la maladie de sa mère qui fait ça ! » Et puis, ils ont poussé la porte de la cave pour mieux s’expliquer en haut dans la cuisine. Moi, j’ai pas tout bien compris qui était malade et avait besoin de sirop… Mais des grosses larmes ont coulé sur les joues en dentelle de ma mémé. Elle avait la tempête dans sa voix. « Quoi ! Ma maman est morte et on ne m’a rien dit ? C’est scandaleux ! Scandaleux ! » J’avais une boule dans la gorge. Pour calmer ma mémé, j’ai fait comme d’habitude : je l’ai peignée. Elle a un tout petit chignon riquiqui mais, quand on enlève les épingles… jamais on aurait cru que ses cheveux sont si longs ! Et si on les étale sur ses épaules, alors son crâne devient tout rose, comme les fesses de Naf-Naf, un des trois petits cochons, que j’ai vu à la télé il y a longtemps, quand j’avais droit avec maman d’allumer la télé. Il faut brosser fort mémé parce qu’elle a plein de poussière sur la tête. C’est comme ça qu’on sait qu’on devient vieux… La poussière vous tombe dessus et on arrive pas toujours à l’enlever. Ça a fait du bien à mémé. Elle s’est endormie sur la chaise. Alors, j’ai pensé très fort à lapin-doudou. Maman avait oublié de me le donner. J’ai monté l’escalier et fait toc toc à la porte de la cave. Personne a répondu. J’ai traversé la cuisine avec les chocottes, tellement que j’avais les trouilles de rencontrer l’homme de sa vie. Il était pas non plus dans la chambre de mémé. Mais là, sur la commode, j’ai trouvé lapin-doudou. J’ai sucé la bonne oreille, la sale, celle qui sent bon et qui gratte quand elle a été mouillée. Par la fenêtre, j’ai vu ma maman dans le petit jardin. Elle mettait du linge à sécher… On est sortis dehors avec lapin-doudou pour avoir un câlin.
Le drap sur le fil faisait de grands mouvements de fantôme avec le vent. Hou ! Hou ! J’ai plongé ma tête dans le drap. On aurait dit la voile d’un grand bateau en colère parce qu’il peut pas partir. Ma maman m’a grondé un peu. J’allais salir son travail. Elle regardait partout ma maman, tournait la tête, surtout vers la route. « Tu devrais rentrer à la maison, mon bonhomme ! Il est parti faire une course mais il va bientôt revenir. » « Pourquoi ? », je lui ai dit. « Parce que… », elle m’a répondu. Alors j’ai boudé un peu. Ma maman a lâché son linge. Elle s’est accroupie devant moi avec une voix bizarre, comme quand je courais beaucoup avant. « Ne me cherche pas d’histoires, mon bonhomme. Je suis très heureuse avec lui. Tu sais, il n’est pas méchant mais son nouveau travail lui cause beaucoup de soucis ! Tes cris d’enfant l’épuisent. Allons ! Si tu aimes ta maman, file vite ! Tu es bien dans ta nouvelle chambre ? » J’ai fait oui avec la tête pour que ma maman soit contente. Et pour rester avec elle quand même un tout petit peu plus, j’ai montré du doigt la grande cabane noire là-bas dans les herbes. C’est la seule chose que je voie de la cave, si je grimpe sur les casiers à bouteilles. « C’est quoi, ça maman ? » « Une salorge. » « C’est pour quoi ? » « Tu m’agaces, à la fin avec toutes tes questions ! Dépêche-toi de filer à la maison ! J’entends la voiture ! » Alors, avec lapin-doudou, on est rentrés en vitesse. J’ai été triste parce que ma maman a pas eu le temps de nous faire un b****r…