Koryu était profondément endormi.
Toutefois, la voix gutturale de son dragon le tira de son sommeil. À peine eut-il ouvert les yeux qu’un cri strident résonna à ses côtés.
Il eut tout juste le temps de voir le poignard levé au-dessus de sa tête et la femme assise à califourchon sur lui.
Ses pupilles prirent aussitôt leurs apparences reptiliennes tandis que sa peau se couvrait d’écailles dorées.
La lame s’écrasa sur sa gorge, mais se brisa dès qu’elle entra au contact de sa peau.
Sans aucune hésitation et avec un geste précis, Koryu brisa la nuque d’une de ses épouses, chez qui il avait choisi de passer la nuit.
Il regarda sans la moindre émotion le corps sans vie étalé à ses côtés, puis il s’habilla et sortit du lit.
« Tu n’avais pas besoin de me réveiller pour cela », maugréa-t-il à son dragon.
_ Ce n’est pas la raison pour laquelle je t’ai réveillé. Nos fils ont besoin de nous, maintenant, gronda la voix venue d’un autre monde.
Comme guidé par une force inconnue, Koryu accéléra le pas et se dépêcha de rejoindre les quartiers de la mère de ses jumeaux.
Des éclairs dorés semblaient traverser ses yeux, éclairant la pénombre. Son dragon poussait des grognements de rage, car il pouvait entendre l’appel de détresse de ses fils.
À peine eut-il posé le pied sur la pierre glacée du jardin de son épouse qu’il se figea sur place.
Byakko et Genbu avaient été attachés comme des bêtes. De lourdes chaînes les maintenaient par le cou, les chevilles et les poignets tandis que leur mère se servait du manche d’un fouet pour les frapper.
La foudre frappa non loin de là, sous la présence du dragon jaune.
Un sourire triomphal se dessina lentement sur les lèvres de Bibigul tandis qu’elle cherchait de tous les côtés, le côté par lequel, son époux apparaîtrait enfin.
Un frisson de dégoût parcourut la colonne vertébrale de Koryu et il avança d’un pas autoritaire vers elle.
« Mon seigneur », dit-elle avec admiration et envie.
Cependant, Koryu ne lui adressa pas un regard et pas même une parole. Il se contenta de regarder les plaies ouvertes de ses fils avant de croiser les regards débordant de rancœur et de défi des jumeaux.
« Qu’on les détache sur le champ », ordonna-t-il froidement avant qu’une quantité d’eunuques apparut pour détacher leurs jeunes maîtres.
Bibigul courut presque à lui pour passer les bras autour de la taille de son époux, qui continuait à lui faire dos.
Les jumeaux s’effondrèrent dès que les chaînes leur furent ôtées. Cependant, leurs yeux ne quittaient plus ceux de leur père.
« Tu te fais vieille, femme », grogna Byakko à l’adresse de sa mère. « Tes coups sont moins douloureux… ». Il se tut dès qu’il la vit se pencher vers lui.
« Oh, mais mon fils chéri, ce n’est pas moi qui suis plus faible. C’est juste que grâce à moi, vous êtes en train de devenir plus forts… devrais-je utiliser ma voix sur vous désormais ? », elle n’eut pas le temps de terminer sa phrase qu’elle se tut aussitôt.
Koryu avait plaqué une main sur ses lèvres et la regardait avec mépris :
« Je ne veux plus rien entendre. »
Bibigul le contempla avec une adoration sans faille et hocha amoureusement la tête.
Genbu massait sa nuque et regardait Byakko. Il se mit subitement à rire et pointa du doigt vers son jumeau :
« Ooooow la tête que tu as, Koko ! »
« La ferme. Arrête de rire ! Je ne veux pas voir d'expressions aussi débiles alors que toi et moi avons la même tête ! », grogna Byakko.
Koryu, maintenant rassuré, commença à faire demi-tour. Mais, il dut s’arrêter lorsqu’il croisa le regard brillant de son épouse.
« Passez la nuit ici », lui demanda-t-elle sans aucune honte. « Après tout, vous n’avez personne de disponible avec qui réchauffer votre couche… »
« Ouais, tu vois Koko, c’est ce genre de choses que je veux et que je ne veux pas plus tard », murmura Genbu suffisamment fort de sorte que les personnes assez proches puissent entendre ses paroles.
Byakko se contenta de regarder son frère d’un air blasé.
Genbu sauta sur lui et passa un bras autour de ses épaules :
« Tu vois, moi, je voudrais pouvoir me taper des femmes comme bon me semble. Je couche avec une et quand j’ai fini ma petite affaire, je change de lit… »
« Tu es immoral », grogna Byakko en retirant d’un geste sec le bras de son jumeau.
« Ooooow mais écoute-moi jusqu’au bout au moins ! Et, ce que je ne veux pas, c’est d’une sale g***e qui s’en prend physiquement à mes enfants parce qu’elle fait des crises de jalousie quand je m’amuserai avec les autres ! », déclara-t-il en faisant un mouvement de tête vers leur mère.
Byakko prit une profonde inspiration avant de soupirer bruyamment :
« Tu as conscience que tout ça n’arrivera jamais, si dès le départ, tu n’épouses qu’une seule femme, non ? »
Genbu eut un sursaut de surprise. Puis, il fit un — o muet du bout des lèvres avant de répondre, d’un air perdu :
« Mais pourquoi je n’en voudrais qu’une alors que je pourrais en avoir autant que je veux ? »
« Et pourquoi pas ? »
« Je répète, je pourrais en avoir autant que je veux, Koko. »
« Tu risques de tomber sur des folles aussi tarées que toi. »
« Je pourrais en avoir autant que je veux, Koko. »
« Et tu risques de ne pas pouvoir t’en débarrasser… »
« Je pourrais en avoir autant que je veux, Koko. Toi aussi, d’ailleurs, tu pourrais avoir qui tu veux, mais tu continues à nous prendre la tête avec ta Baraaaaaaa», se moqua-t-il.
« Tu tournes en boucles. Et, ma Bara est la perfection à mes yeux. »
Genbu fit une grimace de dégoût et tira exagérément la langue :
« Perfection, perfection ! Ça doit faire un an que je suis en exil dans les Terres du Nord, et donc un an que tu ne parles que d’elle alors que ça fait un an que tu ne l’as plus jamais revue. Elle doit avoir quoi aujourd’hui, dix ans ? »
« Sept ans », répondit aussitôt Byakko.
Genbu poussa un cri silencieux avant de plaquer ses mains sur les joues de son jumeau :
« p****n et tu me traites d’immoral ? »
Byakko fronça les sourcils :
« Je compte demander sa main à Père lors de l’audience qu’il nous accorde spécialement grâce à ta présence dans le Centre. Il n’y aura jamais personne d'autre qu’elle. »
« Comment tu peux en être aussi sûr ? », grimaça Genbu.
« Le cœur ne parle jamais, mais il faut le comprendre. Toi aussi un jour, tes yeux se porteront sur l’unique et à ce moment-là… »
« Je n'en ai foutrement rien à foutre des dictons des vieux sages ! Je veux m’amuser d’abord ! Parce que vois-tu, j’écoute plus ma queue que mon cœur personnellement », coupa Genbu.
Byakko se contenta de regarder froidement son jumeau, en gardant une expression placide :
« Je crois que tu risques de beaucoup pleurer quand tu rencontreras celle capable de mouvoir ton cœur. Tu ne l’as pas encore vue, que tu la dénigres déjà. Les dieux t’entendent et te mettront à l’épreuve. Et, tu seras celui qui souffrira le plus si tu t’entêtes. »
Genbu poussa un cri suraigu et plaqua dramatiquement une main sur son cœur :
« Est-ce que tu viens de me lancer une malédiction, là ? Je crie à l’injustice, à l’infa… l’info… m***e, c’est quoi le mot déjà ? »
Koryu s’amusait intérieurement de la dynamique de ces deux frères. Ils étaient si semblables physiquement, cependant tellement différents. Toutefois, son dragon et lui se réjouissaient intérieurement. Ils se doutaient que la Bara, dont parlait avec tant de ferveur leur second fils, devait être sa moitié d’âme. Néanmoins, il souhaitait savoir à quelle famille de l’Empire du Shiji, elle pouvait bien appartenir. Au pire, il demanderait l’aide de Méigui. Elle serait incapable de lui refuser cette faveur. Oui. Il venait de trouver l’occasion toute trouvée de la contacter. Le prétexte était absolument recevable. L’ombre d’un sourire se dessina enfin sur ses lèvres à cette pensée.
« Mon seigneur ? », appela encore Bibigul.
Koryu ne la regarda pas un seul instant et tourna la tête vers un des eunuques de haut rang :
« Fait appeler leur nourrice. Qu’elle panse leurs blessures. Je passe la nuit ici. Réveillez Masahiro. Je vais écrire une lettre et je veux qu’elle soit envoyée dès que j’y aurai mis mon dernier coup de pinceau. Qu’ai-je d’important demain ? »
L’eunuque s’inclina respectueusement vers le sol et parla sans se redresser :
« Demain, votre cinquième fils, troisième né de votre union avec Dame Bibigul, fête ses trois ans. Une fête sera célébrée, car vous aviez annoncé que ce serait à cette occasion que vous lui donneriez un nom. »