Les préparations pour fêter le troisième anniversaire du dernier fils du vénéré roi Koryu menaient bon train.
À travers le royaume, les personnes se réjouissaient des cadeaux que le roi avait offerts à son peuple pour l’occasion. Cependant, tous remarquèrent que les présents du monarque étaient bien moindres que ceux qu’il offrait habituellement pour l’anniversaire de ses autres fils.
« N’est-ce donc pas trois fois moins que ce que notre maître a pour habitude d’offrir lors des anniversaires de ses fils ? », murmurèrent certains d’entre eux.
« Lorsqu’il s’agit des princes Seiryu, Byakko, Genbu et Suzaku, notre maître fait preuve de bien plus de générosité. »
« Oui. Lorsque ce dernier prince est né, notre vénéré roi ne nous a offert que deux jours de répit pour les récoltes. Alors que lorsqu’il avait s’agit des autres fils, il nous avait octroyé une semaine entière et un cochon pour chaque famille. »
« Peut-être ce prince est-il difforme et c’est la raison pour laquelle notre roi ne le favorise pas. »
« Peut-être est-il né avec une tare qui expliquerait le peu d’affection de notre roi pour lui ? »
"N'est-ce pas la fille chérie de Burkitt Khan qui l'a enfanté ? Cet enfant devrait avoir droit à plus d'honneur, non ?"
"Mais ne dit-on pas non plus qu'elle n'est pas la favorite de notre seigneur et maître ?"
"Elle n'est pas la favorite alors qu'elle lui a donné trois fils ?"
« Quelle importance, de toute façon, nous continuons de toucher les dons lors des anniversaires des fils de notre maître. Même si les cadeaux sont moindres, réjouissons-nous d’en recevoir quand même. »
« Vous avez raison. C’est mieux que rien. »
Koryu se tenait assis, vêtu dans sa tenue d’apparat de soie et d’or. Il avait fermement serré les mains sur le bout des accoudoirs de son trône et gardait un air impassible devant son second fil, Byakko.
Genbu se tenait, lui, les mains croisées derrière la tête, aux côtés de son jumeau et regardait son frère d’un air espiègle :
"Hé Koko, tu me promets de venir me rendre visite autant que possible quand tu auras ta fiancée, hein ? Venez me voir dans le Nord. Je vous promets de vous recevoir dignement."
Koryu se racla la gorge et prit appui contre le dossier de son trône :
« J’ai bien entendu ta demande, mon fils. Tu m’as bien servi, dans l’empire du Shiji, et je me dois de te récompenser. »
Byakko inclina respectueusement la tête avant de parler haut et clair :
« Moi, le prince Byakko, second fils du vénéré et vénérable roi Koryu, le remercie de me recevoir pour audience. »
Koryu eut une légère crispation de la mâchoire. Il savait qu’il décevrait son fils aujourd’hui. Mais, comment aurait-il pu refuser quoi que ce soit à Dame Méigui.
« Parle donc, mon fils, et formule de nouveau ton vœu devant moi. »
Byakko leva la tête et bomba le torse, heureux de pouvoir officiellement prononcer son vœu le plus cher devant la Cour de son père :
« Lorsque je me rendis dans l’empire du Shiji, j’ai séjourné sur les Terres du Clan Méigui. Ainsi, je formule souhait d’obtenir ma Bara (ma rose). »
Une sensation de froid vint glacer la colonne vertébrale du dragon jaune. Lorsque son second fils avait énoncé son souhait, une lueur dorée était brièvement apparue dans son regard.
Koryu savait désormais que son fils et sa créature formulaient leur souhait. Si ses yeux n’avaient pas pris, un court instant, leur teinte d’or, il aurait été aisé de lui présenter d’autres fiancées. Mais, là, il venait d’avoir la confirmation du lien de moitié d’âme qui unissait son fils à la fille du Clan Méigui.
_ Nous sommes déjà de piètres créatures, toi et moi, Koryu. Être de piètres pères ne nous dérange pas, car c’est le vœu formulé par celle qui fut créée pour nous, articula une voix venue du fond des âges, dans l’esprit du roi.
Koryu fit un sourire satisfait vers son fils et hocha la tête :
« Ainsi ton vœu est resté inchangé depuis ton retour ? »
« Oui, vénéré et vénérable père ! », déclara avec force et conviction Byakko.
Koryu frappa deux fois dans ses mains et six eunuques apparurent, portant entre les mains un pot contenant un rosier majestueux :
« J’accède à ta requête. Dès que tu fus rentré de l’empire du Shiji, j’ai demandé à Dame Méigui si elle acceptait de nous offrir un de ses rosiers. »
L’odeur délicate de roses avait rempli la salle d’audience. Et, même Koryu sentit une vague de nostalgie devant le parfum subtil du rosier.
Byakko était resté tétanisé sur place. Ses yeux fixaient la plante sans plus bouger et le choc était apparent sur son apparence.
Genbu avait lentement fait glisser ses bras de sa tête vers ses cuisses. Son air mutin habituel avait complètement disparu et il regardait avec inquiétude son jumeau :
« Euh… je sais que je suis le plus c*n de la fratrie, mais je ne suis pas c****n au point de ne pas savoir que Koko ne parlait pas d’un foutu rosier… »
Koryu bondit subitement sur ses pieds et hurla en direction de Genbu :
« Genbu, sort d’ici tout de suite et empêche qui que ce soit d’entrer ! Dépêche-toi ! »
Genbu fronça les sourcils, mais obéît sur le champ. Il eut à peine le temps de se faufiler à travers les lourdes portes de la salle d’audience que le rugissement sauvage d’un tigre se fit entendre. Il plaqua le dos contre la porte et écarquilla les yeux lorsqu’il sentit les portes vibrer avec force.
À l'intérieur, Koryu regardait avec émerveillement le réveil du gardien de son second fils. Les six eunuques, qui avaient les plus près de Byakko, avaient été réduits en charpie pour des lames de vent glacée. Il ne restait plus sur le sol que des morceaux de chair et de membres éclatés.