V
Sa prudence… Quels exemples pourrais-je citer de sa prudence ! Elle dépassait tout ce qu’on nous a dit au sujet de celle de Salomon, de Solon et de Caton. Composer sa mine, son geste, sa contenance, c’étaient là jeux d’enfant pour la comtesse. Nul mieux qu’elle ne savait voir de quel côté soufflait le vent, ménager la chèvre et le chou, tâter le terrain, marcher sur des œufs, ne réveiller jamais le chat qui dort. Le beau serpent qui tenta Ève, notre grand-mère, et qui nous a coûté si cher à tous, ne se contournait pas avec plus de circonspection autour du pommier de l’Éden que ne le faisait la comtesse autour du mât de cocagne de l’existence. Elle ne se contentait pas de mordre sa langue sept fois avant de parler ; elle parlait le moins possible, presque toujours par monosyllabes. Enfin, elle retenait sa mouture en personne qui veut aller loin, et, même quand elle était seule, occupée à broder ou à lire d’un œil – dormant de l’autre – un numéro de la Quotidienne, elle se tenait toujours sur ses gardes.