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L'oiseau noir de Plogonnec

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Une affaire bien sombre...

Plogonnec, un joli bourg près de Locronan dans le Sud-Finistère, tranquille comme tant d’autres.

Bien sûr, ses inévitables commères assaisonnent de fiel, çà et là, des vies trop monotones à leur goût…

Mais il est des cancans qui tuent, de façon tout aussi efficace qu’une lame de couteau, surtout lorsqu’un corbeau prend le relais des langues vipérines…

Michel Le Fur, secondé par Quentin Le Gwen, va devoir aider sa belle-mère, plogonniste, victime elle-même du noir corvidé.

Suicides, meurtres : un festin royal pour l’immonde volatile !

Lui briser les ailes demandera aux habitants une grande solidarité et aux policiers beaucoup d’énergie, d’autant plus que cette noire affaire n’est pas aussi simple qu’elle le paraissait au premier abord…

Françoise Le Mer plonge ses deux personnages fétiches dans sa ville natale de Plogonnec pour une enquête palpitante de bout en bout !

EXTRAIT

Afin de se mettre en bouche, Jeanne Leduc suçota la dernière gorgée de son café trop sucré puis, après un clappement qui annonçait toujours les prémices d’une confidence, pencha légèrement le buste vers sa visiteuse, dégaina sa langue et l’affûta.

— À propos, ma petite fille, vous ne savez pas la dernière ? Il paraîtrait que…

Garance Merlot écouta d’une oreille distraite la logorrhée qui s’ensuivit, songeant, avec un certain amusement, à ces débuts de phrases anodines mais assassines : « Vous n’avez pas su ? », « J’ai entendu dire que… », « Je ne voudrais pas faire ma commère mais… ».

La jeune femme parcourut des yeux la pièce étriquée livrée à la semi-pénombre crépusculaire. Un fatras de bibelots sans grande valeur encombrait les meubles, conférant à l’ensemble une impression de désordre, ce qui n’était pas le cas. Inutile de vouloir lire l’heure au cadran de l’horloge comtoise. Un peu sourde, la propriétaire des lieux arrêtait le mécanisme du balancier chaque fois qu’elle recevait. Ainsi, elle ne prenait pas le risque de rater quelques bribes d’une conversation passionnante à cause d’un tic-tac inopportun. Selon son aide ménagère - mais n’était-ce pas un vulgaire ragot ? - elle agissait de même le soir, lorsque, assise dans son fauteuil roulant, devant la fenêtre toujours entrouverte malgré les intempéries, elle profitait de son cinéma en plein air : le spectacle de la rue. Il faut dire, à sa décharge, que Jeanne Leduc habitait depuis plus de cinquante ans dans ce modeste appartement admirablement situé, il est vrai, au-dessus du bar-tabac du village. De cette façon, elle connaissait bien la vie trépidante des habitués, surtout quand ils avaient la gentillesse de poursuivre leurs longues causeries sur le trottoir.

À PROPOS DE L’AUTEUR

Avec seize titres déjà publiés, Françoise Le Mer a su s’imposer comme l’un des auteurs de romans policiers bretons les plus appréciés et les plus lus.

Sa qualité d’écriture et la finesse de ses intrigues, basées sur la psychologie des personnages, alternant descriptions poétiques, dialogues humoristiques, et suspense à couper le souffle, sont régulièrement saluées par la critique.

Née à Douarnenez en 1957, Françoise Le Mer enseigne le français dans le Sud-Finistère et vit à Pouldreuzic.

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Chapitre 1
Chapitre 1 Afin de se mettre en bouche, Jeanne Leduc suçota la dernière gorgée de son café trop sucré puis, après un clappement qui annonçait toujours les prémices d’une confidence, pencha légèrement le buste vers sa visiteuse, dégaina sa langue et l’affûta. — À propos, ma petite fille, vous ne savez pas la dernière ? Il paraîtrait que… Garance Merlot écouta d’une oreille distraite la logorrhée qui s’ensuivit, songeant, avec un certain amusement, à ces débuts de phrases anodines mais assassines : « Vous n’avez pas su ? », « J’ai entendu dire que… », « Je ne voudrais pas faire ma commère mais… ». La jeune femme parcourut des yeux la pièce étriquée livrée à la semi-pénombre crépusculaire. Un fatras de bibelots sans grande valeur encombrait les meubles, conférant à l’ensemble une impression de désordre, ce qui n’était pas le cas. Inutile de vouloir lire l’heure au cadran de l’horloge comtoise. Un peu sourde, la propriétaire des lieux arrêtait le mécanisme du balancier chaque fois qu’elle recevait. Ainsi, elle ne prenait pas le risque de rater quelques bribes d’une conversation passionnante à cause d’un tic-tac inopportun. Selon son aide ménagère - mais n’était-ce pas un vulgaire ragot ? - elle agissait de même le soir, lorsque, assise dans son fauteuil roulant, devant la fenêtre toujours entrouverte malgré les intempéries, elle profitait de son cinéma en plein air : le spectacle de la rue. Il faut dire, à sa décharge, que Jeanne Leduc habitait depuis plus de cinquante ans dans ce modeste appartement admirablement situé, il est vrai, au-dessus du bar-tabac du village. De cette façon, elle connaissait bien la vie trépidante des habitués, surtout quand ils avaient la gentillesse de poursuivre leurs longues causeries sur le trottoir. Garance Merlot ponctuait de temps à autre le soliloque de la vieille d’un « ah bon ? », qu’elle tentait de rendre significatif, lorsqu’une phrase fit mouche. — J’ai appris que vous étiez déprimée en ce moment. Ça ne va pas, ma petite Garance ? Le « ah bon ? » de rigueur fut prononcé avec plus d’entrain. — Oui, susurra Jeanne Leduc. Le fils du marchand de chaussures vous a croisée l’autre jour en voiture. Vous étiez à pied et reveniez de la boulangerie. Il vous a fait un signe de la main auquel vous n’avez pas répondu… Et vous étiez tout de noir vêtue. — En effet… Deux indices valent mieux qu’un, répondit Garance, réprimant une envie de rire. Satisfaite, Jeanne Leduc rengaina son arme et cala son torse maigrelet contre le dossier du fauteuil. Ses quatre-vingts ans étaient loin déjà. Pourtant en dépit de sa légère surdité et d’une paralysie des membres inférieurs, elle avait encore bonne roue, bon œil. Mue par plus d’un demi-siècle de pratique, sa machine à ragoter fonctionnait à merveille. Intelligente et cultivée, elle représentait la mémoire du pays. À cet effet, Garance était passée la voir. L’écrivain préparait une monographie sur les chapelles du village et Jeanne Leduc, nonobstant sa déviance naturelle, lui avait apporté une mine de renseignements à ce sujet. Pour la remercier, avant de prendre congé, Garance Merlot décida d’offrir à la vieille femme un bonbon, empoisonné bien sûr… fiel enrobé de miel, recette maison. Afin de stimuler l’appétence de son interlocutrice, la jolie Garance baissa la tête et la voix tout en jetant un furtif regard autour d’elle, comme pour s’assurer de la discrétion des propos à venir. La position « commérage » fut aussitôt imitée par l’adepte du Kâmasûtra des langues de p… — On m’a dit de source sûre, chuchota Garance… — Comment ? Parlez plus fort, ma petite fille ! l’interrompit la vieille, un peu énervée. — Jean-François Manac’h entretient une liaison avec la fille du photographe… — Quoi ? Et je n’ai pas su ! glapit Jeanne Leduc. Le bonbon était fort de café. Garance Merlot craignit un instant que l’institutrice en retraite, prise en délit d’ignorance, ne se sentît mal. — ...Et avec mademoiselle Jambon… Ça par exemple… Le naturel avec lequel la relique du village avait employé le sobriquet qui collait à la peau de Sophie Dorval, la fille du photographe, depuis son adolescence, fit frissonner Garance. Jeanne Leduc ne se rendait même pas compte de la cruauté de ses propos. Pour le coup, l’écrivain ne regretta pas son affreux mensonge ! Elle passerait dans la soirée prévenir son ami Jean-François Manac’h, homosexuel notoire, de la déferlante qui ne manquerait pas de s’abattre sur lui. La gironde et joviale Sophie l’accompagnerait. lls en riraient tous les trois, pariant sur la rapidité des retombées médiatiques. — Bien entendu, madame Leduc, ceci reste entre nous. — Pour qui me prenez-vous ! s’offusqua l’ambassadrice du clabaudage. * La nuit tombait lorsque Garance arpenta la rue du Centre pour se rendre chez elle. Après la chaleur de la journée, la soirée rafraîchissait le bourg en cette fin du mois d’août, prélude à la douceur automnale. La rue, reposée de sa circulation diurne, s’apprêtait à s’assoupir dans son rêve de pierres. Seul, un grincement suivi d’un claquement corrompit la qualité du silence. Madame Herblain fermait ses volets. Garance, qui aimait beaucoup cette ancienne factrice, décida de traverser la rue pour la saluer. — Bonsoir, Thérèse. Vos bégonias sont toujours aussi beaux. Vous avez vraiment la main verte. — Merci, Garance. Vous êtes gentille… La tristesse inhabituelle que l’écrivain lut dans les yeux de Thérèse Herblain troubla la jeune femme. — Tout va comme vous voulez, Thérèse ? s’inquiéta-t-elle d’une voix douce. En guise de réponse, Thérèse Herblain détourna le regard et s’affaira à fermer son second volet avec une méticulosité extrême, comme si sa vie eût dépendu de ce geste anodin. Un peu décontenancée, Garance laissa la septuagénaire reprendre ses esprits. Devait-elle rester ou partir sans dire un mot, par souci de discrétion ? Thérèse Herblain mit fin à son indécision. — Ma fille et mon gendre arrivent demain pour quelques jours. Venez prendre le café avec nous après déjeuner. Cela me ferait plaisir… Garance accepta l’offre et s’en alla, néanmoins perplexe. Un instant, madame Herblain eut envie de rappeler la silhouette longiligne qui continuait son chemin, mais son geste de la main resta en suspens et elle y renonça. De sa porte, ouverte à la rue, elle entendit sonner le téléphone. C’était sûrement lui… Son heure… Malgré son besoin de lui parler, elle savait qu’elle ne répondrait pas. Pas ce soir… Plus jamais d’ailleurs. Elle s’engouffra dans la cuisine, se faisant violence pour ignorer la sonnerie stridente, tant espérée les jours derniers. Du tiroir du buffet, elle sortit la lettre, dont elle connaissait pourtant par cœur la teneur, s’assit devant une tisane fumante et relut pour la énième fois la missive. Un mot, une expression particulière, une tournure de phrase avaient peut-être échappé à sa vigilance. Rien… Rien d’autre que ce cloaque de grossièretés. À bout de ressources, Thérèse Herblain dodelina de la tête et éclata en sanglots. * À la même heure, dans une ferme des environs, la famille Trévian commençait enfin à dîner. Autour de l’abat-jour de porcelaine qui surplombait la longue table, s’affairait une armée de papillons de nuit. Lourds et patauds tels des canadairs au ventre plein, ils puisaient la lumière à sa source, inconscients du danger de leur quête solaire. Tôt ou tard, se terminerait le rêve d’Icare, dans un léger crépitement. L’un deux, les ailes grillées, fit un dernier looping et amerrit dans l’assiette de soupe de Robert Trévian. D’une chiquenaude, le patron envoya l’intrus mourir ailleurs. — T’as appelé Jean-Yves ? C’est d’accord pour la moissonneuse après-demain ? Marie Trévian, occupée à avaler une cuillerée de soupe, répondit à son mari d’un signe de tête. Le son du poste de télévision palliait l’absence de conversation. Pourtant, personne ne la regardait vraiment. Robert Trévian songeait avec une certaine nostalgie aux moissons de sa jeunesse. Finies les longues tablées bruyantes, les bolées de cidre en plein champ, l’entraide des voisins. À présent, deux hommes suffisaient à la besogne. Le progrès. Robert lorgna sur son frère cadet à l’autre bout de la table. Jean-Luc venait de repousser son assiette à moitié pleine et se roulait une cigarette. Devait-il lui répéter encore que dans son état ce n’était pas bon ? Non, il n’en ferait rien… D’ailleurs, le toubib avait conseillé à Marie de le laisser agir à sa guise. De toute façon, la messe était dite… Robert soupira et versa une larme de vin dans le fond de son pot-au-feu. Déjà, écarter Jean-Luc de la moisson tout en ménageant sa susceptibilité n’avait pas été commode… Mais il n’aurait pas supporté autant de poussière. Le fils le remplacerait. À quinze ans, il pouvait bien rendre ce service et délaisser pour une journée sa mobylette et sa musique de sauvage. Une quinte de toux déchira le silence. Robert plongea un peu plus le nez dans son assiette, aussitôt imité par sa femme. Seule, la fille, la mine désolée, se mêla de ce qui ne la regardait pas. — Ça ne va pas, tonton ? Celle-là, avec sa manie de mettre les pieds dans le plat, n’en ratait pas une… Jean-Luc Trévian tentait de maîtriser sa respiration. Des gouttes de sueur perlaient à son front. Il s’épongea avec sa serviette de table avant de tapoter amicalement le bras de sa nièce. — Si, si, fifille… Ça roule. L’orage craint était passé. Marie Trévian releva la tête et hasarda une suggestion. — La soupe était peut-être trop poivrée pour toi, Jean-Luc. Ça te dirait, une crème à la vanille ? L’interpellé referma son couteau et le fit glisser dans la poche de son pantalon. Puis il se leva et enjamba le banc sur lequel il était assis. — La grand-mère a eu à manger ? fut sa réponse à sa belle-sœur. — Oui, je lui ai apporté son bol dans sa chambre avant la traite. — Alors, tout est bien… conclut Jean-Luc. Avant de quitter la cuisine, il récupéra sur la table son paquet de tabac et ses feuilles. Sur le pas de la porte, il huma la fraîcheur de la nuit. Un peu trop fort, sans doute car un accès de toux lui lacéra la poitrine. Les yeux embués par la violence de cette nouvelle quinte, Jean-Luc Trévian sonda la voûte étoilée. Il connaissait bien les constellations, aurait pu toutes les nommer. Comme personne à la ferme ne partageait sa passion, il leur causait directement, sans intermédiaire savant. Une étoile filante balaya le ciel. Faire un vœu lui parut dérisoire. Il en formula un, pourtant, et siffla son chien. Aussitôt, l’épagneul breton surgit de la nuit. Flanqué de la bête, l’homme traversa la cour en terre battue et pénétra dans l’étable. La chaleur âcre et piquante lui saisit la gorge. Malgré son habitude des remugles du lieu, il en fut un peu incommodé. Jean-Luc savait que le frère n’avait pas eu le temps de changer la litière des veaux avant même de patauger dans la paille saturée de pisse et de bouses. Il regarda sa montre et rit aussitôt de l’absurdité de ce réflexe. Son rendez-vous attendrait bien un quart d’heure de plus. Il cracha dans ses mains calleuses, saisit le manche lisse de la fourche et entama la besogne sous l’œil morne des ruminants. Il avait présumé de ses forces. En nage, il avait dû observer deux pauses. Mais il était, malgré tout, content du résultat. Du box des veaux s’exhalait à présent, la bonne odeur de paille fraîche. Alors Jean-Luc Trévian remit sa veste et s’assura que la lettre n’était pas tombée dans la litière. Son frère la trouverait demain et comprendrait. Toujours suivi de son chien, il détacha la corde de vêlage et balança l’un des bouts par-dessus la poutre maîtresse. La première tentative échoua. La corde retomba à ses pieds. — Ah, ça ! Quel maladroit je fais. Hein, Brutus ? Le chien jappa, comme pour encourager l’homme. Le troisième essai fut le bon. Après, avoir vérifié la solidité du nœud, le paysan s’assit auprès de son épagneul et lui caressa les flancs. — Mon gentil Brutus, je vais te confier un secret. Une fois, c’était il y a longtemps, j’ai aimé une fille… Catherine qu’elle s’appelait. Regimbe pas… T’as pas à être jaloux ! T’étais même pas né. Et puis, tu sais, sa peau sentait le chèvrefeuille et ses cheveux brillaient. Mais c’était pas dans son idée de vivre avec un gars de la campagne… Voilà, je t’ai tout dit… Ah, si ! Une chose encore. Promets-moi d’arrêter d’embêter Loustic. Marie n’est pas contente. T’as qu’à passer à côté de lui sans le regarder. C’est qu’un chat après tout… On est plus fier que ça, pas vrai ? Bon. Maintenant, il est temps de se quitter. Serrons-nous la patte en signe d’amitié. Brutus, excité par le jeu de son maître, aboya de plaisir. Mais quand, quelques secondes plus tard, le corps oscilla au bout de la corde, l’aboi se modula en chant de mort.

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