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Caitlin
Les poings au niveau des seins, les coudes en arrière, je mène ma classe de danse cardio pour leur faire bouger les fesses en rythme avec la chanson Sweet but Psycho1.
Oui, c’est à peu près mon hymne.
— Un pas en avant, baissez la main devant vous, chantai-je dans le casque-micro, exagérant les mouvements pour aider la classe à me suivre.
La danse cardio, voilà mon truc. Je l’enseignais quatre soirs par semaine à la salle de sport du campus et prenais d’autres cours de gymnastique lors de mes soirées libres. N’importe quoi pour continuer à me faire bouger, ce qui semblait probablement étrange pour une geek passionnée d’informatique.
Cela frisait l’obsession, mais ce n’était pas que je haïssais mon corps. Je ne faisais pas du sport pour atteindre un idéal corporel ni pour avoir une certaine apparence.
J’avais simplement besoin de bouger. Sinon, j’avais du mal à rester dans mon corps.
Trouble dissociatif, tel était le diagnostic officiel. Je déconnectais quand les choses devenaient trop intenses pour moi. Le mouvement m’aidait. La douleur et le sexe fonctionnaient encore mieux.
Consensus général… J’étais brisée.
Mais ça n’avait pas vraiment d’importance, parce que mon temps était compté.
Le siphon que j’avais placé sur les affaires du casino des Tacone – celui où je détournais un cinquième de cent sur chaque transaction – avait été désactivé deux semaines auparavant.
Et même si j’avais utilisé un compte off-shore pour déposer les fonds avant de payer les frais de scolarité avec pour mon frère et moi, il y avait un sacré risque que je finisse par flotter avec les poissons, comme on dit.
Mais je l’avais su en me lançant dans mon petit plan de vengeance.
— Seconde position tendue, inspirez profondément.
Je commençai le retour au calme. Cela se terminait toujours trop vite. Je menai la classe pour les étirements finaux et les remerciai tous d’être venus.
— Merci, Caitlin.
Mes élèves me faisaient signe de la main et souriaient alors qu’ils s’en allaient. Ici, j’étais presque normale. Je pouvais simplement être l’un d’entre eux. Une jolie étudiante de troisième cycle au grand sourire qui faisait de l’exercice.
C’était lorsque les gens apprenaient à me connaître un peu mieux qu’ils voyaient ma folie, qu’ils décidaient que j’étais le genre de fille à éviter. Ce qui me convenait très bien.
J’attrapai ma serviette et me dirigeai vers les douches, ramassant mon téléphone pour vérifier mes messages. Pas que j’en avais. C’était simplement une habitude anxieuse qui datait de l’époque où mon frère Trevor était encore en famille d’accueil, et où je flippais s’il ne me contactait pas tous les jours pour me faire savoir qu’il était encore vivant.
Qu’il allait toujours bien, qu’il ne vivait pas le cauchemar que j’avais vécu.
C’était une des nombreuses bizarreries pour lesquelles je devais remercier les Tacone. Les effets secondaires du fait d’avoir eu un père assassiné par la mafia.
Sauf que maintenant que j’avais obtenu ma vengeance, maintenant qu’ils étaient à mes trousses, je me disais que je n’aurais pas dû mettre un coup de pied dans la fourmilière.
J’étais probablement plus utile à Trevor vivante que morte. Même si j’avais généré assez de fonds pour payer nos frais de scolarité.
Mieux valait l’avertir. Je composai son numéro et il décrocha immédiatement.
— Hé, Caitie.
Il était la seule personne à qui je permettais de m’appeler comme ça.
— Hé, Trevor. Tout va bien ?
— Oui. Pourquoi ça ne serait pas le cas ?
C’était parfois étrange pour moi de voir à quel point il avait fini par être normal, comparé à moi. Mais il avait eu une famille d’accueil convenable, et il m’avait eu moi.
Moi, je n’avais eu que la laideur et moi-même sur qui me reposer.
— Hé, je dois te dire quelque chose, mais ça va aller, dis-je rapidement, juste pour cracher le morceau.
J’avais déjà essayé de lui dire à quatre reprises depuis que l’argent n’arrivait plus, mais je m’étais dégonflée chaque fois.
— Qu’y a-t-il ?
— Hum, il se peut que j’aie hacké une société que je n’aurais pas dû énerver.
— Oh mince. Que s’est-il passé ? Tu es en prison ?
— Non, pas en prison. Ça ne va probablement pas prendre cette tournure. Tu te souviens qui a tué papa ?
Trevor devint mortellement silencieux. Quand il reprit la parole, sa voix semblait effrayée.
— Dis-moi que tu n’as pas fait ça.
— Si. Enfin, ils ne vont probablement pas s’en rendre compte, mais si cela se produit, tu te souviens de l’endroit où nous disions que nous nous retrouverions si quoi que ce soit de mal arrivait en famille d’accueil ?
Je ne sais pas pourquoi je parlais par code. Ce n’était pas comme si la mafia avait été dans le vestiaire en cet instant. Ou avait mon téléphone sur écoute.
— Je m’en souviens.
— Si je dois fuir, c’est là que j’irai. D’accord ?
— Bon sang, Caitie. C’est grave. Tu es folle ?
— C’est ce qu’ils disent tous, lui rappelai-je d’une voix chantante. Normalement, il ne va rien se passer. J’ai pensé que je devais te prévenir juste au cas où.
— Peut-être que tu devrais aller t’y cacher maintenant.
— Non, je ne sais même pas s’ils remonteront jusqu’à moi. Mais si c’est le cas, je m’arrangerai. Je ne veux pas que tu t’inquiètes.
— Mouais, je suis très inquiet.
Cela me fit chaud au cœur. Trevor était la seule bonne chose dans ma vie.
— Eh bien, ne le sois pas. Tu me connais… Je peux prendre soin de moi. Je trouverai quelque chose. Sois simplement prudent avec des textos venant de ma part et ne dis pas où je suis si quelqu’un vient te questionner.
— Je ne dirai rien. Bon sang, Caitlin !
— Ça va. Je te promets. Je t’enverrai un texto demain.
— Très bien. Sois prudente.
— Je le serai.
Je raccrochai et fourrai mon téléphone dans mon sac avant de retirer mes vêtements pleins de sueur pour aller prendre une douche.
Si seulement j’avais pu croire que j’avais tout ça sous contrôle.
Je me rinçai avec la chanson Sweet but Psycho qui tournait en boucle dans ma tête.