Chapitre 3

2848 Words
CHAPITRE 3 Vingt minutes plus tard, Samara se gara sur une place de stationnement près du palais de justice. Elle poussa un soupir de soulagement et remercia silencieusement le ciel — sans nuages — lorsqu’elle aperçut Annalisa Hollins sur le trottoir. Elle avait réparé ses freins la semaine précédente et celle-ci lui avait dit qu’elle ne devait pas hésiter à lui parler si elle avait besoin de quoi que ce soit. — Salut, Annalisa, lança Samara. L’interpellée se retourna, sourit et secoua la tête avec compassion. Les épaules de Samara s’affaissèrent et elle grimaça. Elle détestait devoir demander des faveurs ou être redevable à quelqu’un. — J’ai remarqué que tes frères avaient de nouveau passé la nuit ici, déclara Annalisa. — Ouais. Rob me l’a dit. Est-ce que tu penses que tu pourrais m’aider à les faire sortir ? s’enquit-elle avec une expression d’espoir. Ils doivent être au boulot dans une heure et je suis déjà en retard. Annalisa acquiesça d’un signe de tête. — Oui, mais ils devront quand même payer la caution. Samara leva la boîte qu’elle portait. — Je m’en doutais, dit-elle avec un soupir. — Je viens juste de voir Carl Biggie entrer. Il te fera peut-être une réduction étant donné qu’il est déjà là et qu’il en aura deux pour le prix d’une. Une lueur d’espoir fleurit de nouveau dans sa poitrine. — Carl ? Cool ! J’ai refait les cardans de la voiture de sa fille il y a quelques semaines. Il a dit qu’il me ferait une remise la prochaine fois qu’un de mes frères serait arrêté, répondit-elle, un sourire aux lèvres. — Eh bien, c’est peut-être ton jour de chance, rit Annalisa. Samara ne put s’empêcher de lever les yeux au ciel. — C’est aussi probable que de rencontrer un extraterrestre ou de découvrir que Bigfoot vit juste en dehors de la ville. Au point où j’en suis, je serais presque contente qu’une telle chose arrive si ça voulait dire que je n’ai plus à me farcir mes crétins de frères, avoua-t-elle à contrecœur. Annalisa rit de nouveau. — Tu sais ce qu’on dit, on ne choisit pas sa famille. — Ouais, mais on pourrait croire que rassembler tous les pires idiots du monde dans une seule et même famille serait contre la loi naturelle de l’évolution. Je suis complètement d’accord pour partager, rétorqua-t-elle sèchement. — Eh bien, voyons voir si on peut te faire entrer pour que tu puisses au moins les emmener au travail, répondit Annalisa en lui ouvrant la porte. Quarante minutes plus tard, elle avait repris la route, cette fois accompagnée de Jerry et Brit. Le premier somnolait la bouche ouverte et la tête contre la portière, le second était assis entre eux au milieu de la banquette. Du haut de ses vingt et un ans, Brit était de deux ans son aîné. — Merci d’avoir payé notre caution, Samara, marmonna-t-il. — Ne t’y habitue pas. Je ne serai pas toujours là pour vous sauver les miches. — Je verrai si je peux bosser plus pour te rembourser. Elle tourna vers le parking du garage, veillant à passer sur le nid-de-poule au bord de la route. Jerry fut réveillé en sursaut et il jura lorsque sa tête se cogna avec force contre la vitre. Elle appuya un peu trop fort sur le frein, envoyant les deux hommes dans le tableau de bord avec un bruit sourd satisfaisant. — T’es une vraie g***e, parfois, Samara, grommela Jerry. — Merci. Maintenant, descendez de mon pick-up, rétorqua-t-elle avec un sourire mielleux. — Merci encore, marmonna Brit avant de sortir du véhicule. Elle ne prit pas la peine de répondre. Dès qu’ils se furent éloignés, elle appuya sur l’accélérateur. Après avoir regardé des deux côtés, elle tourna à gauche sur la route. — Je vais vraiment demander à Mason pour cet appartement, jura-t-elle. * * * Adalard ouvrit et ferma la main lorsqu’il remarqua qu’un rouge sombre menaçant tourbillonnait au milieu des couleurs habituelles de son aura. Il força son esprit et son corps à se détendre. La dernière chose qu’il voulait, c’était de griller la moitié du réseau électrique de ce côté de la planète. Plutôt que de penser au dispositif de localisation et à la personne qui l’avait installé, il étudia le paysage en contrebas. Des forêts verdoyantes, des cours d’eau sinueux, et des montagnes aux sommets enneigés s’offraient à son regard. Il devinait des habitations, mais celles-ci semblaient éloignées les unes des autres. S’il suivait la route, il devrait arriver chez Paul Grove. Il jeta un coup d’œil aux données de l’ordinateur. Le dispositif d’occultation de Flèche masquait toujours la présence de son vaisseau aux forces militaires et à la population terriennes. Des pics d’énergie rouge le transpercèrent de nouveau, faisant scintiller sa navette. Une lumière d’avertissement s’alluma sur la console. Quelque chose drainait ses pouvoirs. S’il ne trouvait pas bientôt un endroit pour atterrir, il n’en serait plus capable. — Attention. Instabilité détectée au niveau du bouclier. Capacité des boucliers : vingt pour cent. Instabilité du dispositif d’occultation détectée, signala l’ordinateur d’une voix masculine calme. — Tilkmos ! jura Adalard. Il étudia la carte holographique détaillée du terrain. Plus loin devant, près d’une rivière, s’ouvrait une clairière à peine assez large pour qu’il s’y pose, mais il allait devoir s’en contenter. Elle se trouvait au fond d’un ravin et ne serait pas facilement accessible, ce qui était encore mieux. Si les informations qu’il lisait à l’écran étaient exactes, il survolait la propriété de Paul Grove. Il se concentra afin de tenter de réguler l’énergie qui se déversait de lui pour alimenter le vaisseau. Le temps qu’il plonge sous la cime des arbres, un film de sueur lui recouvrait le front tant l’effort nécessaire pour empêcher l’afflux qui le parcourait de griller le système électrique dans son intégralité était intense. Le temps qu’il atterrisse, il était livide. Une sensation de faiblesse inattendue le saisit et il fronça les sourcils devant ses mains tremblantes tandis qu’il coupait les moteurs. Mais qu’est-ce qui vient de se passer, bon sang ? se demanda-t-il, serrant le poing. Adalard rouvrit le poing et décida de ne plus utiliser la navette tant qu’il ne saurait pas ce qui provoquait un tel phénomène. Il prendrait un communicateur portable et contacterait le Rayon I depuis le ranch de Paul. Un soupir irrité lui échappa. — Adieu, mon moment de détente, marmonna-t-il. Il détacha les sangles de son siège et se mit debout. Quelques minutes plus tard, il avait fait un sac et descendait la plateforme à grandes enjambées. Il jura en voyant que le vaisseau était visible. Sans alimentation, le dispositif d’occultation ne fonctionnait pas. — On va faire ça à l’ancienne, alors, soupira-t-il. Il leva une main et se concentra sur l’énergie qui l’entourait. Après quelques secondes, un grand écran réflecteur apparut au-dessus de la navette. Il ferma le poing et l’écran s’abaissa jusqu’à couvrir entièrement le véhicule. Quand il eut fini, il était épuisé et pantelant. Pendant qu’il attendait que son corps cesse de trembler, il étudia sa création. Des airs, son vaisseau serait pratiquement invisible. Du sol, en revanche, c’était une autre histoire. Ce devait être l’œuvre d’un saboteur. Cette personne était probablement affiliée à Kejon, l’assassin curizan qui avait ciblé Ha’ven et enlevé Emma, plusieurs mois auparavant. Adalard et ses frères soupçonnaient Kejon de faire partie d’un groupe plus grand et plus dangereux. Il remerciait la déesse que ce s****d soit mort, mais d’autres attendaient encore leur heure dans l’ombre. Il ne pouvait s’arrêter tant que tous ne seraient pas capturés ou tués, avec une préférence pour la seconde option. Alors qu’il regardait autour de lui, Adalard trouva difficile de croire qu’avec autant d’énergie inexploitée dans l’air, l’espèce d’Emma ne savait pas la contrôler. La compagne de Ha’ven jurait que les Humains en étaient incapables, mais il savait qu’elle, elle le pouvait. C’était un spectacle remarquable de voir l’énergie d’Emma se mêler à celle de son frère. Stupéfié par ses pensées, il secoua la tête et se reconcentra pour sortir du ravin et rejoindre la route. Il replaça son sac dans son dos et observa attentivement les environs. Aucun signe d’activité humaine n’était visible. Il leva les yeux et expira. En temps normal, il aurait utilisé ses pouvoirs curizans pour grimper la pente abrupte. Malheureusement, après ce qui s’était passé dans sa navette, c’était un risque qu’il n’était pas prêt à courir. — On dirait que ça va de nouveau se faire à l’ancienne, soupira-t-il. Le haut de la falaise devait culminer à environ deux cent cinquante mètres. Il se sentait déjà étourdi. Il divisa la montée en trois parties, s’arrêtant pour reprendre son souffle et apaiser un peu la faiblesse qui lui donnait l’impression d’avoir de la gelée à la place des membres, mais celle-ci diminuait de plus en plus à mesure qu’il s’éloignait de son vaisseau. La paroi accidentée du ravin offrait de nombreuses prises pour les mains et les pieds, lui permettant de se ménager. L’ascension ne l’en laissa pas moins fourbu. — Nom d’un Tiliqua à deux têtes ! grogna-t-il, se hissant sur le bord et roulant sur le dos. Il contempla les gros nuages gris. Ses vacances semblaient aussi prometteuses que le ciel sombre. Il lâcha un nouveau juron, se releva et frotta ses mains l’une contre l’autre. Rester planté là n’allait pas le conduire au ranch de Paul Grove. Une demi-heure plus tard, il émergea des bois et se retrouva au bord la route. Il fit rouler ses épaules pour en apaiser la raideur. Sa randonnée avait été plus longue que prévu. Il marqua une pause et lança un regard autour de lui. Il regrettait de ne pas avoir apporté d’hoverboard. — Je commence vraiment à en avoir marre de faire les choses à l’ancienne, soupira-t-il. Il se tourna et partit le long de la ligne blanche au bord de la chaussée alors qu’un vent froid soufflait sur lui et que les premiers flocons de neige duveteux se mettaient à tomber. * * * Samara jeta un coup d’œil à l’heure sur son téléphone et grommela. Elle détestait être en retard. Un bref appel à Mason avant qu’il n’y ait plus de réseau l’aida à apaiser un peu la tension qui l’habitait. Néanmoins, ça l’énervait que ses problèmes familiaux aient interféré avec son travail. Ça lui faisait trop penser à ses frères et c’étaient les dernières personnes auxquelles elle voulait être comparée. Elle fronça les sourcils quand elle vit quelqu’un marcher au bord de la route. Ils étaient au milieu de nulle part, à presque dix kilomètres de la ville d’un côté et autant de la montagne Casper de l’autre. Elle ralentit et franchit la double ligne jaune alors qu’elle dépassait l’homme. Il n’avait pas l’allure d’un randonneur. Ses longs cheveux excluaient qu’il soit l’un des militaires de M. G. venu s’entraîner. — Il ressemble plus à un motard qui aurait perdu sa moto, dit-elle, secouant la tête en pensant au nombre de citadins qui ne comprenaient rien à la météo du Wyoming. De gros flocons blancs parsemèrent le pare-brise. Elle jeta un nouveau coup d’œil dans le rétroviseur. Ce type n’était pas habillé pour affronter le froid. À cette altitude et à cette période de l’année, le risque d’une soudaine tempête de neige était élevé. Elle maudit intérieurement son cœur tendre. — Il n’a pas intérêt à être un tueur en série, grogna-t-elle en se garant au bord de la route, attendant qu’il la rattrape. Elle garda les yeux rivés au rétroviseur et pianota impatiemment sur le volant. Le doute la gagna lorsqu’elle le vit de plus près et elle se mordit la lèvre inférieure, indécise. Elle dut forcer son pied à rester sur la pédale de frein alors même que son instinct de survie lui hurlait de partir. Ce serait malpoli de lui faire croire que je vais le prendre en stop avant de déguerpir comme un lièvre avec un coyote aux trousses, se réprimanda-t-elle silencieusement. Ouais, mais au moins, le lièvre est assez intelligent pour s’enfuir, espèce d’idiote ! — m***e ! jura-t-elle, appuyant sur le bouton pour abaisser la vitre côté passager au moment où il atteignait l’arrière de son pick-up. Hé, vous avez besoin qu’on vous dépose ? Il se rapprocha de la portière. Son doigt tressaillit sur le bouton ; elle aurait dû la descendre à moitié, pas entièrement. Il jeta un coup d’œil à l’intérieur de l’habitacle. Étonnée, elle contempla les yeux violets insolites de l’homme et la longue cicatrice qui lui barrait la joue. Il possédait le même teint foncé et les mêmes cheveux noirs soyeux que certains indigènes qui vivaient dans les parages, mais la ressemblance s’arrêtait là. Ce type avait tout d’un motard, d’un tueur en série, d’une star de cinéma, d’un bodybuilder et d’une dizaine d’autres termes qui lui venaient à l’esprit tels des chiens de prairies qui sortaient la tête pour voir ce qui se passait. Elle fronça les sourcils lorsqu’elle se rendit compte qu’il la dévisageait comme si c’était elle qui avait deux têtes, et elle frissonna, sans savoir si c’était dû à l’intensité de ses yeux violets ou à la rafale d’air glacial qui s’engouffrait à l’intérieur par la vitre ouverte. — Dites, je suis en train de perdre toute la chaleur. Est-ce que vous avez besoin que je vous dépose quelque part et si oui, où ? Je dois aller bosser et je suis en retard, alors je n’ai pas le temps d’attendre que vous vous décidiez à rester vous geler les miches dehors ou à monter, lança-t-elle, regrettant une nouvelle fois l’impulsion qui l’avait poussée à s’arrêter pour l’aider. — Paul Grove, dit-il. Surprise, elle cligna des yeux avant de secouer la tête et rit. — Eh bien, si ce n’est pas votre jour de chance. C’est précisément là que je vais. Vous devez venir pour son truc de survie. Ça explique tout. Montez, dit-elle en déverrouillant la voiture. Elle pinça les lèvres en voyant qu’il ne bougeait pas, mais il finit par acquiescer. Il recula et observa la portière pendant une seconde avant de l’ouvrir. Elle se pencha en avant et mit le chauffage à fond tandis qu’il se débarrassait de son sac à dos. Il le lança sur la banquette, s’y glissa à son tour et referma la portière. Sans plus attendre, elle remonta la vitre. — Ceinture, dit-elle par automatisme avant de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur afin de s’assurer que la voie était libre. Il regarda autour de lui avant de prendre la ceinture de sécurité et de la tirer. Elle s’engagea sur la route et accéléra. Du coin de l’œil, elle remarqua qu’il était assis comme s’il avait un balai dans le derrière. Ses traits donnaient l’impression d’avoir été taillés dans du granite. Les seules choses qui bougeaient étaient ses doigts, qu’il fléchissait, et cette petite veine qui battait à sa tempe. Elle tendit la main et orienta l’aération afin que l’air chaud souffle vers lui. — Alors, vous êtes quoi ? demanda-t-elle, l’air de rien. — Je suis un extraterrestre venu d’un autre monde. Elle cligna des yeux, son esprit bloquant un instant, avant de se mettre à rire. Ça commença doucement, mais plus elle repensait à sa réponse, plus ça lui paraissait amusant alors que sa conversation avec Annalisa lui revenait. Il se tourna et la regarda d’un air renfrogné. Son expression était impayable et accentua son hilarité. — Oh, bon sang, c’était drôle ! dit-elle en essuyant le coin de son œil avec la manche de son manteau. — Tu trouves ma réponse divertissante ? Elle lui jeta un coup d’œil et opina du chef. — Ouais. Je m’attendais à marine ou Navy Seal, ou peut-être même FBI ou CIA avec les cheveux longs et la veste, mais extraterrestre, ça me va, gloussa-t-elle. Alors, monsieur l’extraterrestre, vous avez un nom et un titre ? Il se renfrogna de plus belle. — Prince Adalard Ha’darra, Curizan, annonça-t-il. Amusée, elle se tourna vers lui. Elle eut toutes les peines du monde à réfréner son envie d’éclater de nouveau de rire. Son visage était si sérieux, comme s’il croyait honnêtement qu’il était un prince. Pas juste un prince, un prince extraterrestre d’un endroit qui s’appelle Curizan, pensa-t-elle, incapable de contenir son hilarité plus longtemps. — Eh bien, j’imagine que même une rock star princière doit savoir survivre dans la nature… surtout si sa bécane tombe en panne au milieu d’une tempête de neige d’août, répondit-elle, un grand sourire aux lèvres. — Une « rock star » ? répéta-t-il. Elle mit le clignotant. — Ouais, parce qu’aucun soldat sain d’esprit ne porterait autant de cuir noir dans les bois. Je vous donne une demi-journée avant que M. G. ne vous attrape, mais seulement parce qu’il vous laissera une bonne avance. Ce serait encore moins si c’était Trisha qui vous pistait… à moins qu’elle ne veuille jouer avec vous, ajouta-t-elle avec un sourire compatissant. — Qui es-tu ? — Samara Lee-Stephens, humaine, pas de sang royal, plaisanta-t-elle avant de désigner le pare-brise du menton. On est arrivé, monsieur le prince Adalard de Curizan.
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