Chapter 6

2959 Words
– On me demande ? dit M. Winkle en sautant hors de son lit et en s’habillant rapidement. À cette distance de Londres, qui diable peut me demander ? – Un gentleman, en bas, au café, monsieur. Il dit qu’il ne vous dérangera qu’un instant, monsieur ; mais il ne veut accepter aucun délai. – Fort étrange ! répliqua M. Winkle. Dites que je descends. » Il s’enveloppa d’une robe de chambre ; mit un châle de voyage autour de son cou, et descendit. Une vieille femme et une couple de garçons balayaient la salle du café. Auprès de la fenêtre était un officier en petite tenue, qui se retourna en entendant entrer M. Winkle, le salua d’un air roide, fit retirer les domestiques, ferma soigneusement les portes, et dit : « M. Winkle, je présume. – Oui, monsieur, mon nom est Winkle. – Je viens, monsieur, de la part de mon ami, le docteur Slammer, du 97 e. Cela ne doit pas vous surprendre. – Le docteur Slammer ! répéta M. Winkle. – Le docteur Slammer. Il m’a chargé de vous dire de sa part que votre conduite d’hier au soir n’était pas celle d’un gentleman, et qu’un gentleman ne pouvait pas la supporter. » L’étonnement de M. Winkle était trop réel et trop évident pour n’être pas remarqué par le député du docteur Slammer, c’est pourquoi il poursuivit ainsi : « Mon ami, le docteur Slammer, m’a paru fermement convaincu que, pendant une partie de la soirée vous étiez gris, et peut-être hors d’état de sentir l’étendue de l’insulte dont vous vous êtes rendu coupable. Il m’a chargé de vous dire que si vous plaidiez cette raison comme une excuse de votre conduite, il consentirait à recevoir des excuses, écrites par vous sous ma dictée. – Des excuses écrites ! répéta de nouveau M. Winkle avec le ton de la plus grande surprise. – Autrement, reprit froidement l’officier, vous connaissez l’alternative. – Avez-vous été chargé de ce message pour moi nominativement ? demanda M. Winkle, dont l’intelligence était singulièrement désorganisée par cette conversation extraordinaire. – Je n’étais pas présent à la scène, et, en conséquence de votre refus obstiné de donner votre carte au docteur Slammer, j’ai été prié par lui de rechercher qui était porteur d’un habit très-remarquable : un habit bleu clair avec des boutons dorés, portant un buste, et les lettres P.C. » M. Winkle chancela d’étonnement, en entendant décrire si minutieusement son propre costume. L’ami du docteur Slammer continua : « J’ai appris dans la maison que le propriétaire de l’habit en question était arrivé ici hier avec trois messieurs. J’ai envoyé auprès de celui qui paraissait être le principal de la société, et c’est lui qui m’a adressé à vous. » Si la grosse tour du château de Rochester s’était soudainement détachée de ses fondations, et était venue se placer en face de la fenêtre, la surprise de M. Winkle aurait été peu de chose, comparée avec celle qu’il éprouva en écoutant ce discours. Sa première idée fut qu’on avait pu lui voler son habit, et il dit à l’officier : « Voulez-vous avoir la bonté de m’attendre un instant ? – Certainement ; » répondit son hôte malencontreux. M. Winkle monta rapidement les escaliers ; il ouvrit son sac de nuit d’une main tremblante, l’habit bleu s’y trouvait à sa place habituelle ; mais, en l’examinant avec soin, on voyait clairement qu’il avait été porté la nuit précédente. « C’est vrai, dit M. Winkle, en laissant tomber l’habit de ses mains. J’ai bu trop de vin hier, après dîner, et j’ai une vague idée d’avoir ensuite marché dans les rues, et d’avoir fumé un cigare. Le fait est que j’étais tout à fait dedans. J’aurai changé d’habit ; j’aurai été quelque part ; j’aurai insulté quelqu’un : je n’en doute plus, et ce message en est le terrible résultat. » Tourmenté par ces idées, il redescendit au café avec la sombre résolution d’accepter le cartel du vaillant docteur et d’en subir les conséquences les plus funestes. Il était poussé à cette détermination par des considérations diverses. La première de toutes était le soin de sa réputation auprès du club. Il y avait toujours été regardé comme une autorité imposante dans tous les exercices du corps, soit offensifs, soit défensifs, soit inoffensifs. S’il venait à reculer, dès la première épreuve, sous les yeux de son chef, sa position dans l’association était perdue pour toujours. En second lieu, il se souvenait d’avoir entendu dire (par ceux qui ne sont point initiés à ces mystères) que les témoins se concertent ordinairement pour ne point mettre de balles dans les pistolets. Enfin, il pensait qu’en choisissant M. Snodgrass pour second et en lui dépeignant avec force le danger, ce gentleman pourrait bien en faire part à M. Pickwick ; lequel, assurément, s’empresserait d’informer les autorités locales, dans la crainte de voir tuer ou détériorer son disciple. Ayant calculé toutes ces chances, il revint dans la salle du café et déclara qu’il acceptait le défi du docteur. – Voulez-vous m’indiquer un ami, pour régler l’heure et le lieu du rendez-vous, dit alors l’obligeant officier. – C’est tout à fait inutile. Veuillez me les nommer, et j’amènerai mon témoin avec moi. – Hé bien ! reprit l’officier d’un ton indifférent, ce soir, si cela vous convient ; au coucher du soleil. – Très-bien, répliqua M. Winkle, pensant dans son cœur que c’était très-mal. – Vous connaissez le fort Pitt ? – Oui, je l’ai vu hier. – Prenez la peine d’entrer dans le champ qui borde le fossé ; suivez le sentier à gauche quand vous arriverez à un angle des fortifications, et marchez droit devant vous jusqu’à ce que vous m’aperceviez ; vous me suivrez alors et je vous conduirai dans un endroit solitaire où l’affaire pourra se terminer sans crainte d’interruption. – Crainte d’interruption ! pensa M. Winkle. – Nous n’avons plus rien, je crois, à arranger ? – Pas que je sache. – Alors je vous salue. – Je vous salue. » Et l’officier s’en alla lestement en sifflant un air de contredanse. Le déjeuner de ce jour-là se passa tristement pour nos voyageurs. M. Tupman, après les débauches inaccoutumées de la nuit précédente, n’était point en état de se lever ; M. Snodgrass paraissait subir une poétique dépression d’esprit ; M. Pickwick lui-même montrait un attachement inaccoutumé à l’eau de seltz et au silence ; quant à M. Winkle il épiait soigneusement une occasion de retenir son témoin. Cette occasion ne tarda pas à se présenter : M. Snodgrass proposa de visiter le château, et comme M. Winkle était le seul membre de la société qui fût disposé à faire une promenade, ils sortirent ensemble. « Snodgrass, dit M. Winkle, lorsqu’ils eurent tourné le coin de la rue, Snodgrass, mon cher ami, puis-je compter sur votre discrétion ? Et en parlant ainsi il désirait ardemment de n’y pouvoir point compter. – Vous le pouvez, répliqua M. Snodgrass. Je jure… – Non, non ! interrompit M. Winkle, épouvanté par l’idée que son compagnon pouvait innocemment s’engager à ne pas le dénoncer. Ne jurez pas, ne jurez pas ; cela n’est point nécessaire. » M. Snodgrass laissa retomber la main qu’il avait poétiquement levée vers les nuages, et prit une attitude attentive. « Mon cher ami, dit alors M. Winkle, j’ai besoin de votre assistance dans une affaire d’honneur. – Vous l’aurez, répliqua M. Snodgrass, en serrant la main de son compagnon. – Avec un docteur, le docteur Slammer, du 97e, ajouta M. Winkle, désirant faire paraître la chose aussi solennelle que possible. Une affaire avec un officier, ayant pour témoin un autre officier ; ce soir, au coucher du soleil, dans un champ solitaire, au delà du fort Pitt. – Comptez sur moi, répondit M. Snodgrass, avec étonnement, mais sans être autrement affecté. En effet, rien n’est plus remarquable que la froideur avec laquelle on prend ces sortes d’affaires, quand on n’y est point partie principale. M. Winkle avait oublié cela : il avait jugé les sentiments de son ami d’après les siens. – Les conséquences peuvent être terribles, reprit M. Winkle. – J’espère que non. – Le docteur est, je pense, un très-bon tireur. – La plupart des militaires le sont, observa M. Snodgrass avec calme ; mais ne l’êtes-vous point aussi ? » M. Winkle répondit affirmativement, et s’apercevant qu’il n’avait point suffisamment alarmé son compagnon, il changea de batterie. « Snodgrass, dit-il d’une voix tremblante d’émotion, si je succombe vous trouverez dans mon portefeuille une lettre pour mon… pour mon père. » Cette attaque ne réussit point davantage. M. Snodgrass fut touché, mais il s’engagea à remettre la lettre aussi facilement que s’il avait fait toute sa vie le métier de facteur. « Si je meurs, continua M. Winkle, ou si le docteur périt, vous, mon cher ami, vous serez jugé comme complice en préméditation. Faut-il donc que j’expose un ami à la transportation ? peut-être pour toute sa vie ! » Pour le coup, M. Snodgrass hésita ; mais son héroïsme fut invincible. « Dans la cause de l’amitié, s’écria-t-il avec ferveur, je braverai tous les dangers. » Dieu sait combien notre duelliste maudit intérieurement le dévouement de son ami. Ils marchèrent pendant quelque temps en silence, ensevelis tous les deux dans leurs méditations. La matinée s’écoulait et M. Winkle sentait s’enfuir toute chance de salut. « Snodgrass, dit-il en s’arrêtant tout d’un coup, n’allez point me trahir auprès des autorités locales ; ne demandez point des constables pour prévenir le duel ; ne vous assurez pas de ma personne, ou de celle du docteur Slammer, du 97e, actuellement en garnison dans la caserne de Chatham. Afin d’empêcher le duel, n’ayez point cette prudence, je vous en prie. » M. Snodgrass saisit avec chaleur la main de son compagnon et s’écria, plein d’enthousiasme : « Non ! pour rien au monde. » Un frisson parcourut le corps de M. Winkle quand il vit qu’il n’avait rien à espérer des craintes de son ami, et qu’il était irrévocablement destiné à devenir une cible vivante. Lorsqu’il eut raconté formellement à M. Snodgrass les détails de son affaire, ils entrèrent tous deux chez un armurier ; ils louèrent une boîte de ces pistolets qui sont destinés à donner et à obtenir satisfaction, ils y joignirent un assortiment satisfaisant de poudre, de capsules et de balles ; puis ils retournèrent à leur auberge, M. Winkle pour réfléchir sur la lutte qu’il avait à soutenir ; M. Snodgrass pour arranger les armes de guerre, et les mettre en état de servir immédiatement. Lorsqu’ils sortirent de nouveau pour leur désagréable entreprise, le soir s’approchait, triste et pesant. M. Winkle, de peur d’être observé, s’était enveloppé dans un large manteau : M. Snodgrass portait sous le sien les instruments de destruction. « Avez-vous pris tout ce qu’il faut ? demanda M. Winkle, d’un ton agité. – Tout ce qu’il faut. Quantité de munitions, dans le cas où les premiers coups n’auraient point de résultats. Il y a un quarteron de poudre dans la botte, et j’ai deux journaux dans ma poche pour servir de bourre. » C’étaient là des preuves d’amitié dont il était impossible de n’être point reconnaissant. Il est probable que la gratitude de M. Winkle fut trop vive pour qu’il pût l’exprimer, car il ne dit rien, mais il continua de marcher, assez lentement. « Nous arrivons juste à l’heure, dit M. Snodgrass en franchissant la haie du premier champ ; voilà le soleil qui descend derrière l’horizon. » M. Winkle regarda le disque qui s’abaissait, et il pensa douloureusement aux chances qu’il courait de ne jamais le revoir. « Voici l’officier, s’écria-t-il au bout de quelque temps. – Où ? dit M. Snodgrass. – Là. Ce gentleman en manteau bleu. » Les yeux de M. Snodgrass suivirent le doigt de son compagnon, et aperçurent une longue figure drapée, qui fit un léger signe de la main, et continua de marcher. Nos deux amis s’avancèrent silencieusement à sa suite. De moment en moment la soirée devenait plus sombre. Un vent mélancolique retentissait dans les champs déserts : on eût dit le sifflement lointain d’un géant, appelant son chien. La tristesse de cette scène communiquait une teinte lugubre à l’âme de M. Winkle. En passant l’angle du fossé, il tressaillit, il avait cru voir une tombe colossale. L’officier quitta tout à coup le sentier, et après avoir escaladé une palissade et enjambé une haie, il entra dans un champ écarté. Deux messieurs l’y attendaient. L’un était un petit personnage gros et gras, avec des cheveux noirs ; l’autre, grand et bel homme, avec une redingote couverte de brandebourgs, était assis sur un pliant avec une sérénité parfaite. « Voilà nos gens, avec un chirurgien, à ce que je suppose dit M. Snodgrass. Prenez une goutte d’eau-de-vie. » M. Winkle saisit avidement la bouteille d’osier que lui tendait son compagnon et avala une longue gorgée de ce liquide fortifiant. « Mon ami, M. Snodgrass, » dit M. Winkle à l’officier qui s’approchait. Le second du docteur Slammer salua et produisit une boîte semblable à celle que M. Snodgrass avait apportée. « Je pense que nous n’avons rien de plus à nous dire, monsieur, remarqua-t-il froidement, en ouvrant sa boîte. Des excuses ont été absolument refusées. – Rien du tout, monsieur, répondit M. Snodgrass, qui commençait à se sentir mal à son aise. – Voulez-vous que nous mesurions le terrain ? dit l’officier. – Certainement, » répliqua M. Snodgrass. Lorsque le terrain eut été mesuré et les préliminaires arrangés, l’officier dit à M. Snodgrass : « Vous trouverez ces pistolets meilleurs que les vôtres, monsieur. Vous me les avez vu charger ; vous opposez-vous à ce qu’on en fasse usage ? – Non, certainement, répondit M. Snodgrass. Cette offre le tirait d’un grand embarras, car ses idées sur la manière de charger un pistolet étaient tant soit peu vagues et indéfinies. – Alors je pense que nous pouvons placer nos hommes, continua l’officier, avec autant d’indifférence que s’il s’était agi d’une partie d’échecs. – Je pense que nous le pouvons, » répliqua M. Snodgrass, qui aurait consenti à toute autre proposition, vu qu’il n’entendait rien à ces sortes d’affaires. L’officier alla vers le docteur Slammer, tandis que M. Snodgrass s’approchait de M. Winkle. « Tout est prêt, dit-il, en lui offrant le pistolet. Donnez-moi votre manteau. – Vous avez mon portefeuille, mon cher ami, dit le pauvre Winkle. – Tout va bien. Soyez calme et visez tout bonnement à l’épaule. » M. Winkle trouva que cet avis ressemblait beaucoup à celui que les spectateurs donnent invariablement au plus petit gamin dans les duels des rues. « Mets-le dessous et tiens-le ferme. » Admirable conseil, si l’on savait seulement comment l’exécuter ! Quoi qu’il en soit, il ôta son manteau en silence (ce manteau était toujours très-long à défaire) ; il accepta le pistolet : les seconds se retirèrent, le monsieur au pliant en fit autant, et les belligérants s’avancèrent l’un vers l’autre. M. Winkle a toujours été remarquable par son extrême humanité. On suppose que dans cette occasion la répugnance qu’il éprouvait à nuire intentionnellement à l’un de ses semblables, l’engagea à fermer les yeux en arrivant à l’endroit fatal, et que cette circonstance l’empêcha de remarquer la conduite inexplicable du docteur Slammer. Ce monsieur, en s’approchant de M. Winkle, tressaillit, ouvrit de grands yeux, recula, frotta ses paupières, ouvrit de nouveau ses yeux, autant qu’il lui fut possible, et finalement s’écria : « Arrêtez ! arrêtez ! – Qu’est-ce que cela veut dire ? continua-t-il lorsque son ami et M. Snodgrass arrivèrent en courant. Ce n’est pas là mon homme. – Ce n’est pas votre homme ! s’écria le second du docteur Slammer. – Ce n’est pas son homme ! dit M. Snodgrass. – Ce n’est pas son homme ! répéta le monsieur qui tenait le pliant dans sa main. – Certainement non, reprit le petit docteur. Ça n’est pas la personne qui m’a insulté la nuit passée. – Fort extraordinaire ! dit l’officier. – Fort extraordinaire ! répéta le gentleman au pliant. Mais maintenant, ajouta-t-il, voici la question. Le monsieur se trouvant actuellement sur le terrain, ne doit-il pas être considéré, pour la forme, comme étant l’individu qui a insulté hier soir notre ami, le docteur Slammer ? » Ayant suggéré cette idée nouvelle d’un air sage et mystérieux, l’homme au pliant prit une énorme pincée de tabac, et regarda autour de lui, avec la profondeur de quelqu’un qui est habitué à faire autorité. Or, M. Winkle avait ouvert ses yeux et ses oreilles aussi, quand il avait entendu son adversaire demander une cessation d’hostilités. S’apercevant par ce qui avait été dit ensuite qu’il y avait quelque erreur de personnes, il comprit tout d’un coup combien sa réputation pouvait s’accroître s’il cachait les motifs réels qui l’avaient déterminé à se battre. Il s’avança donc hardiment et dit : « Je sais bien que je ne suis pas l’adversaire de monsieur. – Alors, dit l’homme au pliant, ceci est un affront pour le docteur Slammer, et un motif suffisant de continuer. – Tenez-vous tranquille, Payne, interrompit le second du docteur ; et s’adressant à M. Winkle : Pourquoi ne m’avez-vous pas communiqué cela ce matin, monsieur ? – Assurément ! assurément ! s’écria avec indignation l’homme au pliant. – Je vous supplie de vous tenir tranquille, Payne, reprit l’autre. Puis-je répéter ma question, monsieur ? – Parce que, répliqua M. Winkle qui avait eu le temps de délibérer sa réponse : parce que vous m’avez dit, monsieur, que l’individu en question était revêtu d’un habit que j’ai l’honneur, non-seulement de porter, mais d’avoir inventé. C’est l’uniforme projeté du Pickwick-Club, à Londres. Je me crois obligé de soutenir l’honneur de cet uniforme, et dans cette vue, sans autres informations, j’ai accepté le défi que vous me faisiez. – Mon cher monsieur, dit le bon petit docteur, en lui tendant la main, j’honore votre courage. Permettez-moi d’ajouter que j’admire extrêmement votre conduite, et que je regrette beaucoup de vous avoir fait déranger inutilement. – Je vous prie de ne point parler de cela, répondit M. Winkle avec politesse. – Je me trouverai honoré, monsieur, de faire votre connaissance, poursuivit le petit docteur. – Et moi, monsieur, j’éprouverai le plus grand plaisir à vous connaître, » répliqua M. Winkle. Et là-dessus il donna une poignée de main au docteur, une poignée de main à son second, le lieutenant Tappleton, une poignée de main à l’homme qui tenait le pliant, une poignée de main, enfin, à M. Snodgrass, dont l’admiration était excessive pour la noble conduite de son héroïque ami. « Je pense que nous pouvons nous en retourner maintenant, dit le lieutenant Tappleton. – Certainement, répondit le docteur. – À moins, suggéra l’homme au pliant, à moins que monsieur Winkle ne se trouve offensé par la provocation qu’il a reçue. Si cela était, je confesse qu’il aurait droit à une satisfaction. » M. Winkle, avec une grande abnégation de son moi, déclara qu’il était entièrement satisfait. « Peut-être, reprit l’autre, peut-être le témoin du gentleman aura-t-il été personnellement blessé de quelques observations que j’ai faites au commencement de cette rencontre. Dans ce cas, je serais heureux de lui donner satisfaction immédiatement. » M. Snodgrass se hâta de déclarer qu’il était bien obligé au gentleman de l’offre aimable qu’il lui faisait. La seule raison qui l’empêchât d’en profiter, c’est qu’il était fort satisfait de la manière dont les choses s’étaient passées. L’affaire s’étant ainsi terminée heureusement, les témoins arrangèrent leurs boîtes, et tous quittèrent le terrain avec beaucoup plus de gaieté qu’ils n’en laissaient voir en y arrivant. « Resterez-vous longtemps ici ? demanda le docteur Slammer à M. Winkle, tandis qu’ils marchaient amicalement côte à côte. – Je crois que nous partirons après-demain. – Je serais très-heureux, après ce ridicule quiproquo, si vous vouliez bien me faire l’honneur de venir ce soir chez moi, avec votre ami. Êtes-vous engagé ? – Nous avons plusieurs amis à l’hôtel du Taureau, et je ne voudrais point les quitter aujourd’hui. Mais nous serions enchantés si vous consentiez à amener ces messieurs pour passer la soirée avec nous. – Avec grand plaisir. Ne sera-t-il point trop tard, à dix heures, pour vous faire une petite visite d’une demi-heure ? – Non certainement. Je serai fort heureux de vous présenter à mes amis, M. Pickwick et M. Tupman. – J’en serai charmé, répliqua le petit docteur, ne soupçonnant guère qu’il connaissait déjà M. Tupman. – Vous viendrez sans faute ? demanda M Snodgrass. – Oh ! assurément. » En parlant ainsi, ils étaient arrivés sur la grande route. Les adieux se firent avec cordialité, et tandis que le docteur et ses amis se rendirent à leur caserne, M. Winkle et M. Snodgrass rentrèrent joyeusement à l’hôtel.
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