VIIEnfin, après m’être assouvi de Rome, je voulus voir Naples. C’est le
tombeau de Virgile et le berceau du Tasse qui m’y attiraient surtout. Les pays
ont toujours été pour moi des hommes. Naples, c’est Virgile et le Tasse. Il me
semblait qu’ils avaient vécu hier, et que leur cendre était encore tiède. Je
voyais d’avance le Pausilippe et Sorrente, le Vésuve et la mer à travers
l’atmosphère de leurs beaux et tendres génies.
Je partis pour Naples vers les derniers jours de mars. Je voyageais
en chaise de poste avec un négociant français qui avait cherché un compagnon de
route pour alléger les frais du voyage. À quelque distance de Velletri, nous
rencontrâmes la voiture du courrier de Rome à Naples renversée sur les bords du
chemin et criblée de balles. Le courrier, un postillon et deux chevaux avaient
été tués. On venait d’emporter les hommes dans une masure voisine. Les dépêches
déchirées et les lambeaux de lettres flottaient au vent. Les brigands avaient
repris la route des Abruzzes. Des détachements de cavalerie et d’infanterie
françaises, dont les corps étaient campés à Terracine, les poursuivaient parmi
les rochers. On entendait le feu des tirailleurs, et on voyait sur tout le
flanc de la montagne les petites fumées des coups de fusil. De distance en
distance nous rencontrions des postes de troupes françaises et napolitaines
échelonnées sur la route. C’est ainsi qu’on entrait alors dans le royaume de
Naples.
Ce brigandage avait un caractère politique. Murat régnait. Les
Calabres résistaient encore ; le roi Ferdinand, retiré en Sicile, soutenait de
ses subsides les chefs de guérillas dans les montagnes. Le fameux Fra
Diavolo combattait à la tête de ces b****s. Leurs exploits étaient des
assassinats. Nous ne trouvâmes l’ordre et la sécurité qu’aux environs de
Naples.
J’y arrivai le 1er avril. J’y fus rejoint quelques jours
plus tard par un jeune homme de mon âge, avec qui je m’étais lié au collège
d’une amitié vraiment fraternelle. Il s’appelait Aymon de Virieu. Sa vie et la
mienne ont été tellement mêlées depuis son enfance jusqu’à sa mort que nos deux
existences font comme partie l’une de l’autre, et que j’ai parlé de lui presque
partout où j’ai eu à parler de moi…
***Épisode