Couverture-2

2048 Words
En arrivant à l'hôpital, IL m'oblige à regarder ma mère morte… Sa main visqueuse se pose sur mon épaule, feignant d'être un père compréhensif, ce geste a le don de me donner des frissons, ce geste si hypocrite et cruel me terrifie. Je frissonne non seulement de peur mais aussi de rage et de désarroi. Ses lèvres s'approchent de mon oreille pour cracher son venin. Visuellement ce geste montre un beau-père compréhensif, un beau-père aimant qui rassure sa fille. Or, la vérité en est très, très éloignée : — Regarde là, regarde ce que tu lui as fait, tout est ta faute ! elle est morte par TA faute ! Je vais m'effondrer, comment peut-IL faire preuve d'une telle cruauté ? Je sais qu'IL me déteste, mais ses paroles me prouvent que mon enfer allait être pire que ce que je croyais. NON je ne l'ai pas tuée. Je ne l'ai pas tuée. C'est TOI ! TOI ! TOI ! Comment exprimer une telle rage ? Je n'arrive pas à me concentrer sur une seule émotion, tant elles sont trop fortes et trop sanguinolentes. Je suis énervée. Non. Ce n'est pas le bon terme, je suis enragée, je ne crois pas que l'on puisse me comprendre. J'ai la rage contre celui qui m'a rendue orpheline, contre celui qui a torturé ma mère, la seule personne que j'avais, la seule qui m'aimait. J'ai la rage parce que je l'ai perdue mais aussi parce que maintenant je ne vais plus recevoir d'amour par quiconque. Mais je suis aussi triste, triste à un point inimaginable. Au point d'oublier comment respirer, comment arrêter de pleurer. Je suis dévastée comme je ne l'ai jamais été. Je suis désespérée. Comment vais-je vivre ? Seule ? Comment faire ? Je suis aussi terrifiée. Quel sera mon avenir ? Vais-je survivre ? Si oui, pendant combien de temps ? Arrivés chez nous, IL me pousse en traversant la porte et me frappe la joue de plein fouet. Son regard me transperce le corps entier, droit dans les yeux, IL m'empoigne les cheveux et me traîne dans la chambre de ma mère. Je sens chaque virage comme un ouragan. IL marche à des allures de géants, non en réalité IL marche et je coure. Le dos cambré, je suis tortillée dans la posture qu'IL m'impose, ma tête saigne, mes pieds se bousculent les uns aux autres... IL va si vite que je tombe à chaque pas que j'effectue, je patine, le sol me brûle le dos, IL me traîne si vite qu'au moment où je réussis à me relever, mes pieds me font trébucher, je m'étale au sol, mais ce n'est pas cela qui l'arrête. Je peux apercevoir son ombre sur le sol, son ombre qui domine la mienne, c'est l'image même de l'enfer. Deux ombres se battent, l’une est petite, ses pieds dansent, ses jambes se secouent, entremêlées les unes aux autres, son dos pointe quelque chose, il se courbe, ses bras miment le papillon pour échapper à la deuxième ombre. Les mains de la terrifiante ombre sont le guide, elles s'agrippent à sa tête, qui se retrouve bloquée dans un étau, une poigne de main la serre fermement. Cette ombre cache la petite, la domine, la surplombe hautainement. Ses jambes sont fines et longues. Elles sprintent comme un coureur de marathon, son dos épais est droit comme un I, cela donne l'impression que ses jambes ne sont pas connectées au dos, ce dernier ne paraît pas fatigué, un bras étant à sa gauche, il rabaisse la petite personne et son deuxième, le droit, dirige la course, son équilibre vient de celui-ci qui épouse le moindre de ses mouvements. Il joue au tennis, en bougeant son bras de haut en bas, de droite à gauche, en fonction du côté des virages dans lesquelles il mène le combat. IL me dirige vers son lieu fatidique, comme si sa vie en dépendait et qu'il fallait se dépêcher. Ce parcours m'anéantit complètement, passant par les escaliers principaux, ces escaliers à quarts tournants en fer, sans sécurités. Passant aussi par ce couloir sombre, lâchant de sa voix calme et posée, ce qui est bien plus angoissant qu'un hurlement : — N'imagine même pas une seconde que tu iras à son enterrement ! je vais y aller Seul, étant donné que je n'ai jamais pu avoir ton soutient. Mais cette fois-ci tu vas m'aider, tu vas aller dans la chambre de ta mère morte, tu vas tout nettoyer, tout ranger pour que je puisse m'y reposer tranquillement. Tu ne pourras pas sortir d'ici sans me le demander, maintenant commence et ne traîne pas ! moi je vais m'occuper des papiers, après j'irai à la banque pour récupérer son argent ! Quoi ? Nettoyer la chambre dans laquelle elle est décédée ? Cette ordure fait bien attention de prononcer chaque mot, insistant sur chaque syllabe. Pourquoi ? Pour me faire comprendre que j'ai raison. Mon enfer commence maintenant... — Oh tu croyais que tu allais toucher son héritage ? ah qu'est-ce que tu as cru ? tu n'auras rien ! compris ? tu es si naïve ma pauvre… A la fin de sa phrase si constructive, sa folie le pousse à me donner un coup de poing dans le dos ce qui me propulse vers sa chambre, son ombre disparaissant à travers la noirceur de la maison. Je me retrouve donc ici, devant la porte fermée n'osant pas l'ouvrir par peur de découvrir ce qu'il se trouve à l'intérieur. Que faire ? Est-ce qu'il s'en rendra compte si je vais dans ma chambre sans rien faire ? Sûrement oui... Et ce sera bien pire. Je dois simplement respirer intensément et tout se passera bien. Je reste au moins deux minutes devant cette porte, les larmes dégoulinantes, le corps bien droit, la main tremblante sur la poignée et le reste ne bougeant pas. Comme si le monde s'était arrêté de tourner. Une éternité passe avant que je daigne ouvrir. Le silence recouvrait toute la maison. Le silence devient flippant, il me gèle le sang, il émet seulement les battements de mon cœur. Boum boum. Boum boum. Boum boum. Dans les films quand l'actrice reste longtemps devant une porte puis qu'elle l'ouvre en grand avec curiosité, une grande lumière l'éblouit et elle trouve un trésor à l'intérieur, une pièce lumineuse, avec un parfum à l'eau de rose l'embaumant... Je m'imaginais une pièce comme celle-ci, mais c’est l'odeur qui me fait revenir à la réalité. La pièce lumineuse s'assombrit jusqu'à ce qu'elle se transforme en une chambre d'horreur. Comment notre esprit fonctionne ? Comment pouvons-nous passer de la beauté à la laideur en regardant la même pièce ? Comment pouvons-nous passer du paradis à l'enfer en ne bougeant pas d'un millimètre ? Car c'est exactement ce qu'il se produit à ce moment même. La lumière devient noire. Ce que j'imaginais être une fenêtre ouverte donnant sur un champ rempli de chevaux se transforme en une fenêtre, sans carreaux, avec une lumière naturelle de faible intensité faisant ainsi ressortir le rouge, le sang, la terreur, la mort. Le lit possédant une majestueuse couverture qui à première vue était de la soie, me fait cligner des yeux. Après que mes paupières s’ouvrent de nouveau, je tombe. Je tombe au sol tant la douleur est terriblement affligeante. Le lit est démoli, seul le matelas poussiéreux, moisi et troué comportant une couverture pour chien est visible. Le parquet gris, soigneux et brillant que je m'étais représenté dans mon imaginaire est en réalité un parquet... Marron ? Noir ? Ou gris ? Il m'est impossible de le deviner tant le sang qui le recouvre cache son état d’origine. Le pire n'est pas la vue qui s'impose en face de moi, non, le pire c'est l'odeur, le parfum frais et fleuri de ma maman parfumait autrefois la maison, maintenant la seule odeur reconnaissable est comparable à un effluve de sang rouillé, de cadavre, de décomposition, de mort... Je respire l'odeur de la mort. Le simple fait de me dire que c'est l'odeur de ma mère. C'est l'odeur de son cadavre que j'inspire et expire me donne envie de vomir tout mon dégoût. Je ne me souviens même plus de son parfum, cette fragrance infecte qui me prend à la gorge m'arrache tout ce à quoi je tiens le plus. L'odeur d'une maman, de la douceur de sa peau, de sa senteur si tendre, si réconfortante, si apaisante, si douce. Comment nettoyer cela ? C'est impossible. C'est horrible. Je ne peux pas. Je dois d'abord enlever le sang. Celui de ma mère... Le sang de ma mère. Il y en a tellement. Elle a certainement dû se vider de son sang. Elle a dû souffrir le martyre. Je n'ose imaginer ses dernières pensées. Elles devaient être empreintes de profonds tourments et d'impuissance... ne sachant quoi faire, je reste à même le sol, tachant mes vêtements du sang et de la terre. Mes genoux enroulés de mes bras, mes yeux balayent la pièce, calmant les battements de mon cœur. Je rentre dans une bulle mettant ainsi de côté mes sentiments haineux. Par où commencer ? J'ai envie de hurler à l’agonie. Tout mon être entier se débat contre moi-même, contre mon corps qui me force à faire ce qu’IL m’oblige à faire. Je ne veux pas mais je n'ai le choix. Alors je me lève, prends la serpillière et nettoie le sol. Accroupie, j'essore le maximum de sang que mes forces peuvent supporter, le maximum de quantité que ma serpillière peut éponger, le maximum de litre que ma bassine peut contenir, la vider puis recommencer, recommencer et encore recommencer jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'épaisseur. Mes larmes se mélangent avec ce sang, me brouillant la vue. Chaque mouvement me remplit la bouche de vomi. À chaque geste que j’effectue, à chaque moment que je touche le sang, cela fait remonter l'odeur de chair brûlée à la surface. Mais je continue, je prends un torchon pour enlever ce qui reste comme saleté. Je prends une nouvelle bassine, je la remplis d'eau chaude ainsi que du produit pour sol, la serpillière en main, je nettoie le parquet. Je frotte, je frotte, je frotte encore plus fort. Le sang s'est incrusté dans les jointures du vieux parquet délabré. Je reprends donc de l'eau savonneuse et frotte avec toutes mes forces, à genoux, les écorchant, éponge en main, je frotte, frotte, frotte, et m'épuise. Mes muscles se crispent au moindre mouvement tant j'ai mal et tant j'ai peur. À chaque craquement de bois, je me retourne en sursaut craignant qu'IL soit derrière moi. Je l'imagine m'observer, dans mon dos, un couteau à la main, me surplombant. Je l'imagine rire se moquant de moi comme il en a l'habitude. Je l'imagine attendre que ma tâche soit accomplie pour m'achever très lentement, me torturant ainsi davantage. Une sueur froide coule le long de ma colonne vertébrale, des frissons me parcourent la nuque, le dos, les jambes, mon corps entier. Des crampes au bassin et dans les hanches me bloquent tout mouvement éreintant. Je suis à bout, autant physiquement que mentalement. J'ai peur de tourner le dos à la porte. Je me retourne alors sans cesse pour vérifier qu'il ne soit pas là. Je suis beaucoup trop nerveuse pour réussir mon travail en une étape, ce qui me fait effectuer plusieurs fois le même geste. La porte claque ce qui me vaut un sursaut, m'ouvrant par la même occasion le coude et le mollet. Ce n'est pas la porte de la chambre qui s'est ouverte, ce n'est pas LUI qui est dans la même pièce que moi, c'est seulement la fenêtre que j'avais ouverte pour faire évacuer l'odeur néfaste, qui a cognée contre le mur ayant pour cause la puissance du vent. Je crois que toutes tensions quittent mon corps, me faisant pleurer sans pouvoir m'arrêter. Je suis une loque. Une loque dévastée. Je deviens folle, je n'ai personne pour m'aider. Je me sens tellement seule. Je déteste vivre cette situation. Je déteste ma vie. Je me déteste et je LE déteste mille fois plus que quiconque. Les larmes dévalent sur mon visage, tombent et se mêlent aux traces de sang inondant le parquet. Je n'ai qu'un mot à dire pour résumer la situation amère que je vis : détresse. Je ressens un vide puissant dans la poitrine, un manque éternel, une boule dans la gorge m'empêchant de respirer, un barrage dans mon nez, un barrage qui ne souhaite pas s'ouvrir pour laisser passer l'air dont j'ai besoin. Tout en souffrant, je continue mes tâches. Je sèche le sol puis je mets les bouts de verre à la poubelle, je pose les draps dans la machine à laver, je mets du spray sur le matelas pour désincruster les tâches, lave le miroir où les éclaboussures de sang avait giclées, en priant pour que l'odeur disparaisse. Je retourne le matelas pour laver le dessous quand une odeur de peau scarifiée mélangée à une autre encore plus horrible me fait littéralement vomir. Je sens mes tripes se vider, et mon œsophage évacuer le surplus d'amertume, de haine et d’humiliation. À la suite de cela, je cours dans la salle de bain me laver les dents et le visage. Mortification. Je suis complètement répugnante à regarder. Face à mon miroir, l'image qu'il renvoie me déshonore. Je ne suis plus une adolescente au teint lumineux mais une servante au teint rougeâtre et tout simplement inhumain. Je suis détruite. Je suis brisée.
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