Manota se réveilla en sursaut, le souffle court alors qu’il s’échappait des affres du cauchemar. Il s’assit au milieu de son lit et prit de profondes inspirations pour calmer son cœur emballé. Passant les mains dans ses cheveux courts et humides de sueur, il jura en remarquant qu’elles tremblaient tandis qu’il les reposait sur ses genoux.
— Cette maudite femelle va finir par me tuer, marmonna-t-il entre ses dents.
Il rejeta les couvertures en soie noire emmêlées sur le côté et se glissa hors de l’immense lit avant de se diriger vers les portes du balcon de sa chambre. Actionnant la commande d’ouverture d’un geste de la main, Manota sortit dans la fraîcheur de l’aube. Les étoiles scintillaient toujours dans le ciel. La deuxième lune basse sur l’horizon lui apprit que l’aurore poindrait bientôt. La première lune s’était déjà couchée de l’autre côté de la planète.
Manota se pencha en avant, appuyant ses mains sur la pierre lisse du mur du balcon. Il porta son regard vers le grand jardin central séparant les quatre maisons royales de Kassis. Il ne restait aucune trace de la bataille qui avait eu lieu à travers les maisons et les jardins moins d’une semaine plus tôt, du moins, pas de traces visibles. La bataille qui le déchirait intérieurement était une toute autre histoire.
Depuis la première fois qu’il avait posé les yeux sur l’Humaine qui avait aidé à sauver ses frères d’une mort certaine, une guerre faisait rage dans son corps et son esprit. Son corps exigeait qu’il la revendique comme sienne tandis que son esprit s’efforçait simplement d’essayer de comprendre la maudite femelle qui lui faisait perdre la tête. Ces sentiments d’incertitude et de désir accablant lui étaient étrangers. Il avait l’habitude de prendre ce qu’il voulait ; et il voulait la femelle humaine avec une intensité qui était sur le point de le rendre fou. Il n’avait jamais été vaincu au combat, jamais on ne lui avait refusé ce qu’il désirait, mais cette femelle continuait de le repousser avec un entêtement qui dépassait tout ce qu’il avait pu connaître auparavant.
Il parcourut une dernière fois les jardins du regard avant d’aller se préparer pour la matinée. Il se crispa en sentant quelque chose d’anormal. Il étudia une nouvelle fois la zone, plissant les yeux lorsqu’il remarqua un léger mouvement dans le calme de l’obscurité. Il marmonna un juron ; et si les forces royales avaient par hasard raté l’un des traîtres qui avaient attaqué sa famille pendant le dîner une semaine plus tôt ? Il était impossible que quelqu’un ait pu rester caché aussi longtemps. À moins que…
— Je vais tuer ce s****d, jura Manota à voix basse.
Il retourna dans sa chambre et saisit le fourreau contenant la lame tranchante qu’il gardait près de son lit.
— Javonna ne doit pas avoir été le seul traître que Tai Tek a dissimulé parmi les maisons.
Une rage folle s’embrasa en lui alors qu’il retournait au balcon. La silhouette se rapprochait furtivement de la maison est. Manota dirigeait la deuxième maison de Kassis d’une main de fer. Ses gardes personnels avaient été ses officiers durant la guerre contre les Tearnats. La formation de l’Alliance et la montée au pouvoir de Gril Tal Mod, maintenant dirigeant des Tearnats, avaient mis fin à la guerre. Le fils de l’énorme Tearnat, Trolis, ainsi que d’autres traîtres de Kassis, avaient continué à se battre pour diviser l’Alliance et troubler la paix. Tai Tek, perfide ancien membre du conseil kassisan, avait passé un accord avec le rebelle tearnat en échange de l’assassinat des membres de la maison royale.
Trolis avait capturé la navette à bord de laquelle son frère aîné Torak, son frère cadet Jazin, dix de leurs guerriers et Krail Taurus, le Chancelier de l’Alliance, voyageaient pour retourner au vaisseau de guerre de son frère. Le chef rebelle tearnat avait tué le Chancelier avant d’emprisonner ses frères et les autres hommes avec l’intention de les tuer.
Cependant, personne ne s’était attendu à ce que trois belles guerrières d’un autre monde viennent les aider. Ces femelles étaient par la suite parvenues à paralyser le vaisseau de guerre tearnat jusqu’à ce que Gril Tal Mod et lui arrivent avec des renforts. La bataille avait été féroce mais rapide, la plupart des guerriers étant pris au piège aux différents niveaux du vaisseau de guerre.
Manota avait plus tard appris que le vaisseau de guerre tearnat avait fait un arrêt imprévu sur une planète inconnue appelée la Terre, où plusieurs guerriers avaient pris une navette pour aller l’explorer dans l’espoir de trouver des ressources supplémentaires. Ils étaient rentrés avec deux prisonnières et une passagère clandestine qui s’étaient avérées bien plus dangereuses qu’ils ne l’imaginaient.
L’esprit de Manota dériva vers les trois guerrières aussi belles qu’insolites. Jo Strauss, sa sœur cadette Star, et leur amie, River Knight — les guerrières prophétisées qui uniraient les maisons de Kassis et vaincraient ceux qui essayaient de les détruire, d’après son père. Alors qu’il se mouvait dans l’ombre, Manota songea aux femmes pour qui il était prêt à donner sa vie. Il tourna à l’angle du balcon en gardant la silhouette sombre dans son champ de vision. Il ne voulait pas prendre le risque que ce bâtard s’échappe.
Il ralentit en approchant du bord du balcon. Parcourant la zone du regard, il essaya d’évaluer où l’intrus avait prévu d’entrer. Il plissa les yeux à la vue des plantes grimpantes qui recouvraient les murs de la maison est. Elles étaient assez épaisses pour s’y accrocher.
Il glissa la lame dans le fourreau à son épaule et le déplaça jusqu’à ce qu’il soit en travers de son torse, puis il sauta sur la rambarde et saisit les plantes à pleine main. La forme avait commencé à escalader l’un des piliers. De là, elle ne pourrait rejoindre que le toit de la maison est. Elle devrait ensuite redescendre le long des plantes grimpantes ou passer par la porte d’accès sur le toit.
Cette entrée était hautement sécurisée, mais Manota ne voulait prendre aucun risque. Il maudit le fait qu’ils avaient dû dépendre du système de sécurité mis en place par ses soins pour signaler les visiteurs inconnus. Si la personne avait déjà reçu l’autorisation d’entrer, elle ne serait pas considérée comme une menace.
Manota rejoignit rapidement le toit, roula par-dessus le rebord et atterrit sur un genou. En étudiant les piliers, il vit l’individu se pencher et attacher un crochet aux câbles fins qui maintenaient les piliers. Peu après, il sauta du pilier et se laissa glisser jusqu’à l’autre. Manota l’observa alors qu’il se rapprochait jusqu’à atteindre le dernier. Il se baissa et courut vers l’entrée menant aux niveaux inférieurs. De nouveau dans l’ombre, il se redressa et attendit.
* * * *
L’attente fut de courte durée. Les yeux plissés, il vit l’inconnu agripper le bord du mur qui entourait le toit. Il était entièrement vêtu de noir ; il sauta du petit mur puis se pencha et détacha la poulie dont il s’était servi pour glisser le long du câble.
L’intrus ôta un sac de son dos pour y glisser l’appareil avant de se relever et de sortir un bâton court similaire à ce que les gardes portaient à la ceinture. Le bâton serré dans une main et son sac dans l’autre, la silhouette s’élança vers la porte, où l’attendait Manota. Un sourire sinistre étira les lèvres du prince kassisan tandis qu’il sortait de l’ombre et dégainait lentement son épée, surprenant l’importun qui s’arrêta dans une glissade.
— Je vais vous tuer, dit froidement Manota avant de grogner et de brandir son épée. Mais pas avant que vous m’ayez dit qui vous envoie !