Chapitre 1

1632 Words
Le ciel bostonnais était couvert depuis plusieurs heures déjà et la pluie se manifestait enfin aux plus grands désarroi de certains piétons. Certains eurent l'idée de se réfugier dans les établissements de restauration qui jonchaient le trottoir d'un des avenues du quartier chic qu'était Back Bay, tandis que d'autres plus courageux ou tout simplement pressés avaient choisi d'affronter l'averse en la traversant à pied. D'un air distrait et depuis la vitre du café où il était attablé, Nikolaï regardait -ou plutôt espionnait- la femme se tenant de l'autre côté de la rue. Une rafale de vent humide et froid soulevait et agitait sa longue et abondante chevelure brune dans tous les sens avant que celle-ci ne se retrouve plaquée en peu de temps sur son crâne sans pour autant perdre sa texture. Il ne pouvait nettement distinguer les traits de son visage mais par contre ce corps... Bonté divine! Elle avait un corps taillé pour l'amour et le plaisir charnel, sa robe devenue semi transparente à cause de la mouillure en témoignait. Elle bataillait en ce moment même avec un pot de fleur assez lourd qu'elle tentait de soulever et parfois même de tirer pour le déposer dans la boutique derrière elle. L'averse de pluie ne lui rendait malheureusement pas la tâche facile. Nikolaï ne tenait presque plus en place. Quelque chose de fort le poussait vers cette inconnue, quelque chose d'inexplicable. Il voulait se lever pour aller lui prêter main forte et en profiter pour faire sa connaissance. Mais au moment où il allait sortir pour aller l'aider, elle y parvint d'elle-même à force d'acharnement. Cette pensée le fit sourire. Il aimait les femmes déterminées en matière de travail. À contrecœur, il la vit disparaître dans la boutique, fermant la porte derrière elle et mettant ainsi fin au succulent spectacle. – On se voit toujours ce soir chez toi Nikos ? il entendit la femme qui l'accompagnait lui demander. Sa voix pourtant fine était subitement devenu irritable et aigue aux oreilles du milliardaire. Il tourna la tête vers elle et la considéra sans aucune émotion malgré son sourire forcé. Venant de reposer sa fourchette, Ginette passa une main dans son carré châtain clair en dardant sur lui un regard qui se voulait brûlant, dévoilant ainsi toute la convoitise qu'elle éprouvait à son égard. Le message était clair, elle voulait partager son lit cette nuit. Mais lui, il n'était pas de cet avis. Du moins, plus maintenant. Nikolaï avait l'esprit focalisé sur autre chose et ça, Ginette ne le savait pas encore. Son regard langoureux et ses minauderies ne lui faisaient ni chaud ni froid. Quand est-ce qu'elle allait comprendre que ses tentatives de séduction étaient vaines et qu'il en avait marre. Tout ceci devenait agaçant. – Non, j'ai du travail à terminer, fit-il sèchement en secouant négativement la tête. Il apporta sa tasse à moitié pleine à ses lèvres et avala une grosse gorgée de café assez brusquement, se fichant complètement de l'air rembruni de son vis-à-vis. Les moues débordantes de mécontentement, il en avait l'habitude et avait appris à ne pas y céder. – Mais... Nikos ! Ça va bientôt faire des semaines qu'on n'a plus passer de temps en tête-à-tête toi et moi. – Ne sommes-nous pas actuellement en tête-à-tête ? – Pas vraiment et tu le sais bien. Ici il y a des gens autour de nous et je ne peux même pas t'embrasser librement sans me faire passer pour une fille légère. En plus tu me sors toujours l'excuse du travail. Et tu sais quoi ? Je n'y crois plus. – Fais comme bon te semble. Cette réplique fit rougir Ginette de colère. – Tu sais quel est le problème avec toi ? Tu ne t'investis aucunement dans notre couple. Au mot "couple" il faillit ricaner et héla le serveur pour qu'il apporte l'addition. – Garçon, la note je vous prie. Ginette était de plus en plus contrariée par son attitude bizarre. Elle essaya à vue d'œil de se calmer puis reprit avec un peu plus de douceur. – Chéri, on se voit de moins en moins à mon goût. Je n'en peux plus de te voir uniquement à tes pauses midi et ce une fois en passant, se plaignit-elle en caressant sa large main d'un index parfaitement manucuré. Oublie le travail pour une fois et passe la nuit avec moi. Nikolaï s'empressa de retirer sa propre main sous le regard effaré de la jeune femme qui se disait à quel point les choses allaient de mal en pire. Nikolaï lui avait pourtant interdit ce genre de démonstration intime, surtout en public. – Tu devrais te contenter du peu que j'ai à t'offrir. Je ne suis pas un pantin à tes ordres et mes affaires sont plus importantes qu'une simple maîtresse de passage. Tu étais d'accord avec les règles. Choquée, elle ne répliqua pourtant pas, se contentant de faire la moue. Nikolaï pensait sérieusement ce qu'il ait dit. Il avait été clair avec elle dès le départ et malgré ses avertissements cette sotte avait trouvé le moyen de s'amouracher de lui... et de son argent surtout. Il l'avait compris lorsqu'elle s'est mise à le harceler d'appels à des heures saugrenues pour lui demander où il était, ce qu'il faisait et avec qui, lui donnant parfois des surnoms ubuesques frôlant le grotesque. Elle avait même osé installer certaines de ses affaires dans son dressing. D'ailleurs il comptait les lui renvoyer demain matin à la première heure car voir des lingeries fines et outrageusement coûteuses dans ses tiroirs commençait à l'énerver. En vérité Nikolaï comptait rompre et il avait eu envie de le lui annoncer tout à l'heure jusqu'à ce que ses yeux ne tombent sur une divinité aux cheveux frisés et aux courbes affriolantes. À présent ses plans avaient changés et il avait une nouvelle priorité. Pensif, il trempa à nouveau ses lèvres dans le liquide chaud que contenait sa tasse tandis qu'en face de lui, Ginette dont la mine était plus que sombre, avait cessé de picorer dans sa salade ridiculement peu garnie, attendant sans doute qu'il daigne lui donner un temps soit peu d'affection. Mais il préférait largement contempler la boutique d'antiquaire d'en face, à l'affût de la réapparition de l'inconnue. Pourtant rien... La belle brune était retournée dans sa tanière, visiblement bien décidée à ne plus en sortir. D'accord... Elle ne lui laissait donc pas le choix, il irait à elle dans ce cas là. Tandis que Ginette s'était mise à monologuer, il se demanda comment approcher la jeune femme. Était-elle fiancée, mariée ? Il espérait vraiment que non. Quoi qu'il en soit, il serait prêt à outrepasser l'une de ses règles qui était de ne jamais toucher à des femmes déjà prises, vu la désagréable expérience qu'il avait lui même vécu. Comment une parfaite inconnue à l'aspect si quelconque pouvait l'intriguer à ce point ? D'habitude il les préférait sophistiquées, avec une plastique parfaite, comme celle qui se tenait présentement devant lui. Il sentait que cette jeune femme allait être une exception. Déconcentré par les piaillements incessants de Ginette, il souffla gavé. Désirant écourter ce rendez-vous inutile, il la coupa en plein milieu d'une phrase où elle quémandait un nouveau bijou hors de prix vu dans un magazine. – Si tu le voyais, une vraie huitième merveille qui coûte la modique somme de- – Mon chauffeur va te raccompagner, annonça-t-il en la congédiant d'un ton exaspéré. – Attends... Quoi ?! – Tu as bien entendu. Il attend dehors dans ma voiture. Demande lui de te déposer chez toi, là où tu voudras, peu m'importe, asséna-t-il en la désarçonnant au passage. Dehors la pluie avait considérablement diminué d'intensité, alors autant en profiter pour se débarrasser d'elle. – Mais... mais et la soirée que nous avions prévu de passer ensemble ?! demanda-t-elle en bafouillant rouge de colère qu'il la repousse sans arrêt. – Nous n'avions rien convenu. Rentre chez toi, je te ferai signe si j'ai le temps. "C'est-à-dire plus jamais", il ajouta en silence et en son fort intérieur. Il se contentera de lui envoyer des fleurs et un message de rupture, quitte à passer pour un goujat. C'est d'ailleurs la première fois qu'il allait rompre de la sorte. En temps normal, il propose une rencontre comme celle-ci. Sauf que actuellement il était pressé avec d'autres projets en tête. – Si tu savais à quel point je meurs d'envie de te jeter mon verre à la figure devant tous ces gens. – Je sais, sourit-il vaguement. Et je le mérite. – Au moins nous sommes d'accord là dessus. Ginette cachant mal sa déception se leva en prenant son sac à main, réajustant son tailleur bleu marine impeccable dont la jupe était indécemment courte et fendue. - Très bien Nikos, appelle-moi dès que tu as du temps. Mais tâche de faire vite sinon c'est moi qui m'en chargerai, termina-t-elle avec un sourire faux. Cela sonnait comme une menace mais il s'en ficha éperdument. Même lorsqu'elle se pencha pour l'embrasser du bout des lèvres, il ne bougea pas d'un poil. Elle marmonna des insultes à son encontre avant de se diriger d'une démarche furieuse mais maîtrisée vers la sortie avec le bruit assourdissant de ses talons hauts, faisant tourner des têtes sur son passage. Heureux de ne plus sentir le parfum capiteux de son "ex", il se mit à réfléchir à un plan pour approcher cette inconnue aux airs de gitane. Tout en payant l'addition, il eut un sourire fugace lorsqu'une idée germa dans son esprit quelques minutes plus tard. Peut-être allait-il encore dépenser quelques vulgaires billets dans quelques minutes. Abandonnant sur la table le reste de sa boisson désormais tiède, il attrapa son manteau sombre précédemment accroché au dossier de sa chaise et l'enfila avant d'emprunter le même chemin que son ex-amante quelques instants plus tôt.
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