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Les Sept cordes de la lyre

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Extrait : "MAITRE ALBERTUS, sans tourner la tête. Qui est là ? Est-ce vous, Hélène? – WILHELM, à part. Hélène ! Est-ce qu'elle entre quelquefois dans la chambre du philosophe à minuit ? (Haut.) Maître, c'est mio, Wilhelm. – ALBERTUS Je te croyais à la fête."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.

• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Scène première
Scène première Dans la chambre de maître Albertus. Il écrit. Wilhelm entre sur la pointe du pied. Il fait nuit. On entend dans le lointain le bruit d’une fête. Maître Albertus, Wilhelm. MAITRE ALBERTUS, sans tourner la tête. Qui est là ? Est-ce vous, Hélène ? WILHELM, à part. Hélène ! Est-ce qu’elle entre quelquefois dans la chambre du philosophe à minuit ? Haut. Maître, c’est moi, Wilhelm. ALBERTUS Je te croyais à la fête. WILHELM J’en viens. J’ai vainement essayé de me divertir. Autrefois, il ne m’eût fallu que respirer l’air d’une fête pour sentir mon cœur tressaillir de jeunesse et de bonheur ; aujourd’hui, c’est différent ! ALBERTUS Ne dirait-on pas que l’âge a glacé ton sang ! C’est la mode, au reste ! Tous les jeunes gens se disent blasés. Encore, s’ils quittaient les plaisirs pour l’étude ! mais il n’en est rien. Leur amusement consiste à se faire tristes et à se croire malheureux. Ah ! la mode est vraiment une chose bizarre ! WILHELM Maître, je vous admire, vous qui n’êtes jamais ni triste ni gai ; vous qui êtes toujours seul, et toujours calme ! L’allégresse publique ne vous entraîne pas dans son tourbillon ; elle ne vous fait pas sentir non plus l’ennui de votre isolement. Vous entendez passer les sérénades, vous voyez les façades s’illuminer, vous apercevez même d’ici le bal champêtre avec ses arcs en verres de couleur et ses légères fusées qui retombent en pluie d’or sur le dôme verdoyant des grands marronniers ; et vous voilà devisant philosophiquement peut-être sur le rapport qui peut exister entre votre paisible subjectivité et l’objectivité délirante de tous ces petits pieds qui dansent là-bas sur l’herbe ! Comment ! ces robes blanches qui passent et repassent comme des ombres à travers les bosquets ne vous font pas tressaillir, et votre plume court sur le papier comme si c’était une ronde de watchmen qui interrompt le silence de la nuit ? ALBERTUS Ce que j’éprouve à l’aspect d’une fête ne peut t’intéresser que médiocrement. Mais toi-même, qui me reproches mon indifférence, comment se fait-il que tu rentres de si bonne heure ? WILHELM Cher maître, je vous dirai la vérité ; je m’ennuie là où je suis sûr de ne pas rencontrer Hélène. ALBERTUS, tressaillant. Tu l’aimes donc toujours autant ? WILHELM Toujours davantage. Depuis qu’elle a recouvré la raison, grâce à vos soins, elle est plus séduisante que jamais. Ses souffrances passées ont laissé une empreinte de langueur ineffable sur son front ; et sa mélancolie, qui décourage Carl et qui déconcerte Hanz lui-même, est pour moi un attrait de plus. Oh ! elle est charmante ! Vous ne vous apercevez pas de cela, vous, maître Albertus ! Vous la voyez grandir et embellir sous vos yeux, vous ne savez pas encore que c’est une jeune fille. Vous voyez toujours en elle un enfant ; vous ne savez pas seulement si elle est brune ou blonde, grande ou petite. ALBERTUS En vérité, je crois qu’elle n’est ni petite ni grande, ni blonde ni brune. WILHELM Vous l’avez donc bien regardée ? ALBERTUS Je l’ai vue souvent sans songer à la regarder. WILHELM Eh bien ! que vous semble-t-elle ? ALBERTUS Belle comme une harmonie pure et parfaite. Si la couleur de ses yeux ne m’a pas frappé, si je n’ai pas remarqué sa stature, ce n’est pas que je sois incapable de voir et de comprendre la beauté ; c’est que sa beauté est si harmonieuse, c’est qu’il y a tant d’accord entré son caractère et sa figure, tant d’ensemble dans tout son être, que j’éprouve le charme de sa présence, sans analyser les qualités de sa personne. WILHELM, un peu troublé. Voilà qui est admirablement bien dit pour un philosophe ! et je ne vous aurais, jamais cru susceptible… ALBERTUS Raille, raille-moi bien, mon bon Wilhelm ! C’est un animal si déplaisant et si disgracieux qu’un philosophe ! WILHELM Oh ! mon cher maître, ne parlez pas ainsi. Moi, vous railler ! oh ! mon Dieu ! vous le meilleur et le plus grand parmi les plus grands et les meilleurs des hommes !… Mais si vous saviez combien je suis heureux que vous n’aimiez pas les femmes !… Si, par hasard, vous alliez vous trop apercevoir des grâces d’Hélène, que deviendrais-je, moi, pauvre écolier sans barbe et sans cervelle, en concurrence avec un homme de votre mérite ? ALBERTUS Cher enfant, je ne ferai jamais concurrence ni à toi ni à personne, je sais trop me rendre justice ; j’ai passé l’âge de plaire et celui d’aimer. WILHELM Que dites-vous là, mon maître ! Vous avez à peine atteint la moitié de la durée moyenne de la vie ! Votre front, un peu dévasté par les veilles et l’étude, n’a pourtant pas une seule ride ; et, quand le feu d’un noble enthousiasme vient animer vos yeux, nous baissons les nôtres, jeunes gens que nous sommes, comme à l’aspect d’un être supérieur à nous, comme à l’éclat d’un rayon céleste ! ALBERTUS Ne dis pas cela, Wilhelm ; c’est m’affliger en vain. La grâce et le charme sont le partage exclusif de la jeunesse ; la beauté de l’âge mûr est un fruit d’automne qu’on laisse gâter sur la branche, parce que les fruits de l’été ont apaisé la soif. Une pause. À vrai dire, Wilhelm, je n’ai point eu de jeunesse, et le fruit desséché tombera sans avoir attiré l’œil ou la main des passants. WILHELM On me l’avait dit, maître, et je ne pouvais le croire. Serait-il vrai, en effet, que vous n’eussiez jamais aimé ? ALBERTUS Il est trop vrai, mon ami. Mais tout regret serait vain et inutile aujourd’hui. WILHELM Jamais aimé ! Pauvre maître !… Mais vous avez eu tant d’autres joies sublimes dont nous n’avons pas d’idée. ALBERTUS, brusquement. Eh oui ! sans doute, sans doute. – Wilhelm ! tu veux donc épouser Hélène ? WILHELM Cher maître, vous savez bien que, depuis deux ans, c’est mon unique vœu. ALBERTUS Et tu quitterais tes études pour prendre un métier ? car enfin il te faut pouvoir élever une famille, et la philosophie n’est pas un état lucratif. WILHELM Peu m’importe ce qu’il faudrait faire. Vous savez bien que, lorsqu’il fut question de mon mariage avec Hélène, le vieux luthier Meinbaker, son père, avait exigé que je quittasse les bancs pour l’atelier, l’étude des sciences pour les instruments de travail, les livres d’histoire et de métaphysique pour les livres de commerce. Le bonhomme ne voulait pour gendre qu’un homme capable de manier la lime et le rabot comme le plus humble ouvrier, et de diriger sa fabrique comme lui-même. Eh bien ! j’avais souscrit à tout cela : rien ne m’eût coûté pour obtenir sa fille. Déjà j’étais capable de confectionner la meilleure harpe qui fût sortie de son atelier. Pour les violons, je ne craignais aucun rival. Dieu aidant, avec mon petit talent et le mince capital que je possède, je pourrais encore acheter un fonds d’établissement, et monter un modeste magasin d’instruments de musique. ALBERTUS Tu renoncerais donc sans regret, Wilhelm, à cultiver ton intelligence, à élargir le cercle de tes idées, à élever ton âme vers l’idéal ? WILHELM Oh ! voyez-vous, maître, j’aime. Cela répond à tout. Si, au temps de sa richesse, Meinbaker, au lieu de sa charmante fille, m’eût offert son immense fortune, et avec cela les honneurs qu’on ne décerne qu’aux souverains, je n’eusse pas hésité à rester fidèle au culte de la science, et j’aurais foulé aux pieds tous ces biens terrestres pour m’élever vers le ciel. Mais Hélène, c’est pour moi l’idéal, c’est le ciel, ou plutôt c’est l’harmonie qui régit les choses célestes. Je n’ai plus besoin d’intelligence ; il me suffit de voir Hélène pour comprendre d’emblée toutes les merveilles que l’étude patiente et les efforts du raisonnement ne m’eussent révélées qu’une à une. Cher maître, vous ne pouvez pas comprendre cela, vous, c’est tout simple. Mais moi, je crois que par l’amour j’arriverai plus vite à la foi, à la vertu, à la Divinité, que vous par l’étude et l’abstinence. D’ailleurs, il en serait autrement que je serais encore résolu à perdre l’intelligence afin de vivre par le cœur… ALBERTUS Peut-être te trompes-tu. Peut-être tes sens te gouvernent à ton insu, et te suggèrent ces ingénieux sophismes, que je n’ose combattre, dans la crainte de te paraître infatué de l’orgueil philosophique. Cher enfant, sois heureux selon tes facultés, et cède aux élans de ta jeunesse impétueuse. Un jour viendra certainement où tu regarderas en arrière, effrayé d’avoir laissé ton intelligence s’endormir dans les délices… WILHELM De même, maître, qu’après une carrière consacrée aux spéculations scientifiques, il arrive à l’homme austère de regarder dans le passé, effrayé d’avoir laissé ses passions s’éteindre dans l’abstinence. ALBERTUS Tu dis trop vrai, Wilhelm ! Tiens, regarde cette lyre. Sais-tu ce que c’est ? WILHELM C’est la fameuse lyre d’ivoire inventée et confectionnée par le célèbre luthier Adelsfreit, digne ancêtre d’Hélène Meinbaker. Il la termina, dit-on, le jour même de sa mort, il y a environ cent ans ; et le bon Meinbaker la conservait comme une relique, sans permettre que sa propre fille l’effleurât même de son haleine. C’est un instrument précieux, maître, et dont l’analogue ne se retrouverait nulle part. Les ornements en sont d’un goût si exquis, et les figures d’ivoire qui l’entourent sont d’un travail si admirable, que des amateurs en ont offert des sommes immenses. Mais, quoique ruiné, Meinbaker eût mieux aimé mourir de faim que de laisser cet instrument incomparable sortir de sa maison. ALBERTUS Pourtant cet instrument incomparable est muet. C’est une œuvre de patience et un objet d’art qui ne sert à rien, et dont il est impossible aujourd’hui de tirer aucun son. Ses cordes sont détendues ou rouillées, et le plus grand artiste ne pourrait les faire résonner… WILHELM Où voulez-vous en venir, maître ? ALBERTUS À ceci : que l’âme est une lyre dont il faut faire vibrer toutes les cordes, tantôt ensemble, tantôt une à une, suivant les règles de l’harmonie et de la mélodie ; mais que, si on laisse rouiller ou détendre ces cordes à la fois délicates et puissantes, en vain l’on conservera avec soin la beauté extérieure de l’instrument, en vain l’or et l’ivoire de la lyre resteront purs et brillants ; la voix du ciel ne l’habite plus, et ce corps sans âme n’est plus qu’un meuble inutile. WILHELM Ceci peut s’appliquer à vous et à moi, mon cher maître. Vous avez trop joué sur les cordes d’or de la lyre ; et, pendant que vous vous enfermiez dans votre thème favori, les cordes d’airain se sont brisées. Pour moi, ce sera le contraire. Je brise volontairement les cordes célestes que vous avez touchées, afin de jouer avec une ivresse impétueuse sur les cordes passionnées que vous méprisez trop. ALBERTUS Et tous deux nous sommes inhabiles, incomplets, aveugles. Il faudrait savoir jouer des deux mains et sur tous les modes… WILHELM, sans l’écouter. Maître Albertus, vous avez tant d’empire sur l’esprit d’Hélène ! Voulez-vous vous charger de lui renouveler mes instances, afin qu’elle m’accepte pour mari ? ALBERTUS Mon enfant, je m’y emploierai de tout mon cœur et de tout mon pouvoir, car je suis persuadé qu’elle ne pourrait faire un meilleur choix. WILHELM Soyez béni, et que le ciel couronne vos efforts ! Bonsoir, mon bon maître. Pardonnez-moi d’être si peu philosophe. Oubliez le disciple ingrat qui vous abandonne, mais souvenez-vous de l’ami dévoué qui vous reste à jamais fidèle.

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