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Le Cocu

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Extrait : "– Madame, donnez-moi le Constitutionnel. – Ils sont tous en lecture pour le moment, monsieur. – Eh bien ! donnez-moi le Courrier français. – En voici la première feuille, monsieur... Vous aurez l'autre tout à l'heure. – Madame, quand je viens lire un journal, je suis bien aise de l'avoir en entier : avec vos nouvelles méthodes de couper le journal en deux, vous nous faites quelque fois rester en suspens dans l'endroit le plus intéressant..."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.

• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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CHAPITRE PREMIER - Un cabinet de lecture-1
CHAPITRE PREMIER Un cabinet de lecture Après avoir regardé du haut en bas celui qui t’est permis une telle action, il se lève… – Madame, donnez-moi le Constitutionnel. – Ils sont tous en lecture pour le moment, monsieur. – Eh bien ! donnez-moi le Courrier français. – En voici la première feuille, monsieur… Vous aurez l’autre tout à l’heure. – Madame, quand je viens lire un journal, je suis bien aise de l’avoir entier : avec vos nouvelles méthodes de couper le journal en deux, vous nous faites quelquefois rester en suspens dans l’endroit le plus intéressant, et c’est fort désagréable… – Mais, monsieur, nous ne pouvons cependant pas avoir dix exemplaires île chaque journal !… Les frais sont déjà assez lourds !… En coupant le journal, il est plus facile de contenter beaucoup de personnes, et certainement la seconde feuille du Courrier rentrera avant que vous n’ayez lu la première. – Ce n’est pas sûr. Je ne suis pas de ces gens qui niellent une heure à lire une colonne… Je veux un journal entier. – Voulez-vous les Débats ? – Va pour les Débats. Le monsieur qui tient à avoir un journal entier, comme ces enfants qui, chez le traiteur, veulent un plat pour eux seuls quoique souvent ils n’en puissent pas manger la moitié, est entré en grommelant dans le salon de lecture : il va s’asseoir sur un banc entre deux liseurs, dont l’un jeune et poli, se recule pour lui faire place ; tandis que l’autre, vieux, rabougri et coiffé en ailes de pigeon, regarde avec humeur le nouveau venu, et lui tourne le dos après avoir murmuré d’une voix aigre : – Prenez donc garde, monsieur, vous vous asseyez sur ma redingote. Moi, je suis debout à l’entrée du salon, où je fais rarement une longue station : j’ai eu facilement un journal entier, parce que j’ai pris un petit journal littéraire, et maintenant que la politique absorbe tout, on néglige cruellement la simple littérature. Je conçois fort bien que les intérêts de notre pays occupent et intéressent. Il y a des moments où je lis les grands journaux avec empressement ; mais alors même je ne pourrais passer des heures à les méditer… Que voulez-vous ! on ne se refait pas : la politique n’a jamais été de mon ressort !… et je ne sais si je me trompe, mais il me semble qu’il serait bien heureux, le pays où l’on n’aurait pas besoin de s’en occuper. Je voulais savoir ce qu’on disait de la pièce que l’on a donnée hier aux Variétés. Un journal prétend qu’elle est détestable ; un autre la trouve charmante : faites-vous donc une opinion là-dessus !… – Madame, donnez-moi, s’il vous plaît, la Quotidienne… et la Gazette de France… si on ne les tient pas… – Non, monsieur, on ne les tient pas… Les voici. J’ai tourné la tête… On tourne souvent la tête quand on ne lit pas des choses sérieuses : j’ai voulu voir la figure du monsieur qui vient de prendre la Gazette et la Quotidienne. J’ai vu un grand personnage, tout long, tout droit ; aux cheveux plats, lisses, bouclés par derrière l’oreille ; à l’œil couvert, à la voix mielleuse… j’allais presque dire à l’oreille rouge et au teint fleuri : c’est qu’en vérité il y a de cela ; et si j’avais regardé ce monsieur avant qu’il parlât, j’aurais deviné quels journaux il demanderait. On prétend que la physionomie est trompeuse, mais non, elle ne l’est pas autant qu’on le dit, surtout pour ceux qui veulent bien se donner la peine de l’examiner attentivement. Je tiens encore mon journal, mais je ne lis plus. Je m’amuse à considérer toutes ces figures penchées sur ces feuilles de papier imprimé. Ce serait un joli tableau à faire pour un peintre de genre. Ce gros homme, dont les deux coudes sont appuyés sur la table couverte du tapis vert de rigueur, a l’air d’un potentat appelé à prononcer entre les rois ses voisins. Tantôt sa lèvre inférieure s’avance, il blâme sans doute ce que l’on a fait ; mais bientôt il se radoucit, sa bouche reprend son expression accoutumée, et un petit mouvement de tête annonce qu’il est plus satisfait de ce qu’il lit. À sa droite, un petit homme à cheveux gris lit avec une avidité qui se peint dans tous ses traits. Peu lui importe qu’on entre, qu’on sorte, qu’on tousse, qu’on se mouche ou qu’on s’asseye près de lui ; ses yeux ne quittent pas une minute la feuille qu’il tient, et ses yeux brillent comme ceux d’un jeune homme. Il y a du patriotisme, de la gloire, de la liberté dans cette tête-là. Là-bas, un homme entre deux âges, un homme à manies : cela se voit sur-le-champ. Il faut que la lampe soit juste devant lui, que ses pieds aient une chaise pour s’appuyer, et que sa tabatière soit placée à côté de son journal. Si toutes ces formalités ne sont pas exactement remplies, voilà un homme qui est malheureux et qui ne saura plus ce qu’il lit. J’en ai bientôt la preuve : son voisin vient avec son coude de repousser sa tabatière ; il lève les yeux avec colère et regarde le voisin en murmurant : – Il me semble que vous avez assez de place, et qu’elle ne vous gêne pas. Il est plusieurs minutes avant de pouvoir reprendre tranquillement sa lecture, ce qu’il ne fera qu’après avoir replacé sa boite à la même distance de sa main. Mais bientôt il lui arrive un accident plus grave : comme il y a beaucoup de monde dans le cabinet, un nouveau venu se permet de s’emparer de la chaise sur laquelle il posait ses pieds. Alors l’homme à manies est tout bouleversé : après avoir regardé du haut en bas celui qui s’est permis une telle action, il se lève, passe au comptoir, jette avec humeur le journal et un sou, puis sort en disant : – C’est détestable !… il n’y a pas moyen de lire les nouvelles quand on est troublé et dérangé à chaque instant. Dans ce coin, au fond, s’est placé le monsieur aux cheveux lisses. Il jette de temps à autre un regard en dessous autour de lui ; il reprend ensuite sa lecture, mais doucement, sans remuer, sans gesticuler, sans laisser paraître le moindre changement dans l’expression de sa physionomie. Un peu plus loin, un individu à figure bête est depuis un temps infini penché sur la même feuille ; répondant il ne dort pas, ce que j’avais cru d’abord. Cet homme-là est, m’a-t-on dit, l’épouvantail des cabinets littéraires. Il met régulièrement quatre heures pour lire un journal ordinaire, et six heures pour le Moniteur. Si les loueurs de journaux avaient beaucoup d’habitués comme celui-là, ils devraient faire payer à l’heure, comme au billard. J’allais continuer ma revue, mais je suis distrait par une voix féminine, qui retentit à mes oreilles ; ce qui est féminin m’a toujours causé des distractions. J’abandonne bien vite les habitués du cabinet, et je regarde à ma droite dans le salon voisin, qui est tapissé de tablettes chargées de livres, car ici on loue des livres et des journaux : et en vérité on a raison ; dans ce siècle-ci, pour gagner sa vie, ce n’est pas trop, ce n’est même quelquefois pas assez de faire deux choses à la fois. Comme je suis debout entre les deux salons, il m’est facile de voir aussi dans celui consacré à la librairie : je vois donc une femme d’une vingtaine d’années, à la figure vive, éveillée. Sa mise annonce qu’elle est voisine ; elle est coiffée en cheveux ; un tablier de taffetas noir à corsage lui prend fort bien la taille ; mais ses pieds sont dans des chaussons de lisière beaucoup trop larges, et elle a encore un dé à une de ses mains, couvertes de vieux gants dont les doigts sont coupés. Elle entre en souriant, en sautillant, et dépose sur le comptoir un paquet de livres en disant : – Tenez ! nous avons déjà décoré tout ça ?… – Comment !… et vous ne les avez que d’hier !… – Oh ! c’est que nous lisons vite à la maison… Ma tante ne fait pas autre chose ; ma sœur, qui a mal au pouce, ne pouvait pas travailler… elle a souvent mal au pouce, ma sœur !… et monsieur mon frère aime beaucoup mieux lire des romans que d’étudier son violon… J’avoue que j’aime bien mieux aussi quand il n’étudie pas ; c’est si ennuyant d’entendre racler du violon à vos oreilles !… Ah ! ça me fait grincer des dents rien que d’y penser… J’ai le violon en horreur !… Qu’est-ce que vous allez me donner ?… Nous voulons quelque chose de gentil… – Je ne sais trop… Vous allez si vite !… Vous aurez bientôt lu toute ma boutique !… – Nous voulons du nouveau. – Du nouveau !… voilà bien tous les abonnés : il leur semble que le nouveau seul est bon !… Et pourtant nous avons d’anciens romans qui sont bien au-dessus des modernes !… – Ah ! vous dites ça pour me faire prendre encore vos Cleveland, vos Tom Jones, votre vieux Doyen de Killerine… – Mademoiselle, le Doyen de Killerine est un très bon ouvrage, et… – Madame, je ne m’intéresse pas à un héros qui est bossu, a les jambes torses et des loupes sur les yeux ! Fi donc ! parlez-moi d’un beau jeune homme, bien brun… bien fait, d’une belle tournure… À la bonne heure ; on se le représente, on croit le voir… Quand il parle d’amour, on se dit : Je voudrais un amant comme cela… Et ça fait plaisir. La libraire sourit ; j’en fais autant, tout en ayant l’air de n’être occupé que de mon journal. La demoiselle voltige devant chaque tablette du magasin ; elle prend des volumes, les ouvre, puis les replace sur des rayons en disant : – Nous avons lu cela… nous avons lu cela… Mon Dieu ! Est-ce que nous avons tout lu ?… – Tenez, mademoiselle, dit la dame qui tient le cabinet, voici quelque chose de fort intéressant et de bien écrit… – Qu’est-ce que c’est ?… – La Femme de bon sens ou la Prisonnière de Bohême. – Voyons par qui ? Traduit de l’anglais par Ducos !… Comment ! cela a paru en 1798 ! Est-ce que vous vous moquez de moi, de me donner un roman aussi vieux ? – Mais qu’importe son âge, puisque je vous dis que c’est bien ? – Et moi je vous dis que l’âge fait beaucoup ; nous aimons les tableaux de mœurs, les scènes contemporaines. Un roman qui a plus de vingt ans ne peut peindre les mœurs actuelles. – Mais il peut peindre les passions, les ridicules de la société ; ces choses-là sont de tous les temps, mademoiselle. C’est pourquoi on s’amuse encore en voyant représenter Tartufe, le Misanthrope, l’Étourdi, quoique ces ouvrages ne soient certainement pas nouveaux. – Ah ! cela dépend du goût… Mais je ne veux pas de votre Femme de bon sens… D’ailleurs, le titre ne me plaît pas… Il semble que ce soit une épigramme !… – Tenez, voici qui est plus nouveau… C’est le Bourreau de… – Assez !… assez !… Grâce au ciel, nous n’avons jamais eu de goût pour les bourreaux !… Nous n’aimons pas la littérature de cimetière, les mœurs de la Morgue… Il est possible que ces tableaux-là soient pleins de vérité, mais nous n’avons nulle envie d’aller nous en assurer ; nous fuirions avec horreur une rue, une place où l’on se disposerait à exécuter quelques criminels : et vous voulez que nous lisions avec plaisir des ouvrages où l’on s’attache à nous détailler de telles horreurs, à nous offrir des tableaux hideux !… Ah ! madame, je trouve qu’il faut avoir bien mauvaise opinion des femmes pour penser qu’elles prendront goût à ces lectures, pour croire que de telles peintures peuvent avoir de l’attrait pour nous ! C’est nous assimiler à ces malheureuses qui se pressent, se foulent pour assister à une exécution, et je ne pensais pas qu’il pût y avoir de la gloire à écrire pour ces femmes-là ! Je ne puis m’empêcher de quitter des yeux mon journal ; on aime à rencontrer des personnes qui pensent comme nous, et comme, relativement à la littérature, je partage entièrement l’opinion de cette demoiselle, je la regarde avec satisfaction. Le hasard fait qu’en ce moment elle me regarde aussi. Je souris sans doute, car elle fait une petite figure toute drôle, et va voltiger près d’une autre partie de la bibliothèque. Elle revient bientôt, tenant quatre gros volumes, en disant : – Enfin, je crois qu’en voici un que nous n’avons pas lu… Eugène et Guillaume… Je prends cela… C’est par Picard ; ça doit être bon. – Il ne faut pas toujours s’en rapporter au nom de l’auteur, mademoiselle ; malgré cela, quand c’est d’un écrivain qui sait écrire, on est sûr au moins d’avoir quelque chose qui ne pèche pas par le style, alors même que l’intrigue ou les évènements ne seraient pas heureux. Vous prenez alors Eugène et Guillaume ? – Oui ; mais il me faut encore quelque chose avec cela… Quatre volumes ! à peine s’il y en a pour notre soirée !… Ah ! avez-vous quelque chose de nouveau de l’auteur de Sœur Anne ? Vous savez bien que c’est mon favori, celui-là ?… Je ne puis m’empêcher de regarder cette demoiselle avec une nouvelle satisfaction, parce que je suis très lié avec l’auteur dont elle vient de parler. – Non, mademoiselle ; nous n’avons rien de cet auteur-là que vous n’ayez lu… Mais voici quelque chose qui a paru hier… – Ah ! donnez… donnez… – Je ne sais pas trop ce que c’est… Mais pour nouveau, je vous le garantis !… – Donnez… – Vous me promettez de ne point le garder longtemps ?… – Non, non ; vous savez bien que c’est l’affaire d’une veillée, chez nous…

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