Les gouttes qui tombent-2

2004 Words
– Donc, un premier point acquis : le collier s’est évanoui. Ne nous arrêtons pas en si bonne voie, et, maintenant que nous savons ce qui fut volé, cherchons, madame la baronne, qui vola. Ainsi le veut la logique d’une enquête bien conduite. Dès que nous connaîtrons notre voleur, nous serons bien près de lui reprendre l’objet de son vol... troisième étape de notre collaboration. Il tapota cordialement les mains de Valérie. – Ayez confiance, baronne. Nous avançons. Et, tout d’abord, si vous m’y autorisez, une petite hypothèse. Excellent procédé que l’hypothèse. Ainsi, supposons que votre mari, bien que malade, ait pu, l’autre nuit, se traîner de sa chambre jusqu’ici, qu’il se soit muni de la bougie et, à tout hasard, de l’instrument oublié par le plombier, qu’il ait ouvert le coffre-fort, qu’il ait maladroitement renversé la vitrine, et qu’il se soit enfui de peur que vous n’ayez entendu, comme tout devient lumineux ! Comme il serait naturel, en ce cas, que l’on n’eût point relevé la moindre trace d’arrivée ou de départ ! Comme il serait naturel que le coffre-fort eût été ouvert sans effraction, puisque le baron Assermann, au cours des années, quand il avait la douce faveur de pénétrer dans vos appartements particuliers, a dû, bien des soirs, entrer ici avec vous, assister au maniement de la serrure, noter les déclics et les intervalles, compter le nombre de crans déplacés, et, peu à peu, de la sorte, connaître les trois lettres du chiffre. La « petite hypothèse », comme disait Jim Barnett, parut terrifier la belle Valérie au fur et à mesure qu’il en déroulait devant elle les phases successives. On aurait dit qu’elle les voyait revivre et se souvenait. Éperdue, elle balbutia : – Vous êtes fou ! mon mari est incapable... Si quelqu’un est venu, l’autre nuit, ce ne peut être lui... C’est en dehors de toute possibilité... Il insinua : – Est-ce qu’il existait une copie de votre collier ? – Oui... Par prudence, il en avait fait faire une, à l’époque de l’achat, il y a quatre ans. – Et qui la possédait ? – Mon mari, dit-elle très bas. Jim Barnett conclut joyeusement : – C’est cette copie que vous tenez entre les mains ! C’est elle qui a été substituée à vos perles véritables. Les autres, les vraies, il les a prises. Pour quelle cause ? La fortune du baron Assermann le mettant au-dessus de toute accusation de vol, devons-nous envisager des mobiles d’un ordre intime... vengeance... besoin de tourmenter, de faire du mal, peut-être de punir ? N’est-ce pas ? une jeune et jolie femme peut commettre certaines imprudences, bien légitimes, mais qu’un mari juge avec quelque sévérité... Excusez-moi, baronne. Il ne m’appartient pas d’entrer dans les secrets de votre ménage, mais seulement de chercher, d’accord avec vous, où se trouve votre collier. – Non ! s’écria Valérie, avec un mouvement de recul, non ! non ! Elle en avait soudain assez, de cet insupportable auxiliaire qui, en quelques minutes de conversation, presque badine par instants, et d’une façon contraire à toutes les règles d’une enquête, découvrait avec une aisance diabolique tous les mystères qui l’enveloppaient, et lui montrait, d’un air goguenard, l’abîme où le destin la précipitait. Elle ne voulait plus entendre sa voix sarcastique : – Non, répétait-elle obstinément. Il s’inclina. – À votre aise, madame. Loin de moi l’idée de vous importuner. Je suis là pour vous rendre service et dans la mesure où cela vous plaît. Au point où nous en sommes, d’ailleurs, je suis persuadé que vous pouvez vous dispenser de mon aide, d’autant plus que votre mari, ne pouvant sortir, n’aura certes pas commis l’imprudence de confier les perles à quelqu’un, et qu’il doit les avoir cachées dans un coin quelconque de son appartement. Une recherche méthodique vous les livrera. Mon ami Béchoux me semble tout indiqué pour cette petite besogne professionnelle. Un mot encore. Au cas où vous auriez besoin de moi, téléphonez à l’Agence, ce soir, de neuf à dix. Je vous salue, madame. De nouveau, il lui baisa la main, sans qu’elle osât esquisser la moindre résistance. Puis il partit d’un pas sautillant, en se dandinant sur ses hanches avec satisfaction. Bientôt la porte de la cour fut refermée. Le soir même, Valérie mandait l’inspecteur Béchoux, dont la présence continuelle à l’hôtel Assermann ne pouvait paraître que naturelle, et les recherches commencèrent. Béchoux, policier estimable, élève du fameux Ganimard, et qui travaillait selon les méthodes courantes, divisa la chambre, le cabinet de toilette et le bureau particulier en secteurs qu’il visita tour à tour. Un collier à trois rangs de perles constitue une masse qu’il n’est pas possible de celer, surtout à des gens du métier comme lui. Cependant, après huit jours d’efforts acharnés, après des nuits aussi, où profitant de ce que le baron Assermann avait l’habitude de prendre des soporifiques, il explorait le lit lui-même et le dessous du lit, l’inspecteur Béchoux se découragea. Le collier ne pouvait être dans l’hôtel. Malgré ses répugnances, Valérie pensait à reprendre contact avec l’Agence Barnett et à demander secours à l’intolérable personnage. Qu’importait que celui-ci lui baisât la main et l’appelât chère baronne, s’il parvenait au but ? Mais un événement, que tout annonçait sans qu’on pût le croire aussi proche, brusqua la situation. Une fin d’après-midi, on vint la chercher en hâte : son mari était la proie d’une crise inquiétante. Prostré sur le divan, au seuil du cabinet de toilette, il étouffait. Sa face décomposée marquait d’atroces souffrances. Effrayée, Valérie téléphona au docteur. Le baron marmotta : – Trop tard... trop tard... – Mais non, dit-elle, je te jure que tout ira bien. Il essaya de se lever. – À boire..., demanda-t-il en titubant vers la toilette. – Mais tu as de l’eau dans la carafe, mon ami. – Non... non... pas de cette eau-là... – Pourquoi ce caprice ? – Je veux boire l’autre... celle-ci... Il retomba sans forces. Elle ouvrit vivement le robinet du lavabo qu’il désignait, puis alla chercher un verre qu’elle remplit et que, finalement, il refusa de boire. Un long silence suivit. L’eau coulait doucement à côté. La figure du moribond se creusait. Il lui fit signe qu’il avait à parler. Elle se pencha. Mais il dut craindre que les domestiques n’entendissent, car il ordonna : – Plus près... plus près... Elle hésitait, comme si elle eût redouté les paroles qu’il voulait dire. Le regard de son mari fut si impérieux que, soudain domptée, elle s’agenouilla et colla presque son oreille contre lui. Des mots furent chuchotés, incohérents, et dont elle pouvait tout au plus deviner le sens. – Les perles... le collier... Il faut que tu saches, avant que je ne parte... Voilà... tu ne m’as jamais aimé... Tu m’as épousé... à cause de ma fortune... Elle protesta, indignée, contre une accusation si cruelle à cette heure solennelle. Mais il lui avait saisi le poignet, et il répétait, confusément, d’une voix de délire : – ... à cause de ma fortune, et tu l’as prouvé par ta conduite... Tu n’as pas été une bonne épouse, et c’est pourquoi j’ai voulu te punir. En ce moment même, je suis en train de te punir... Et j’éprouve une joie affreuse... Mais il faut que cela soit... et j’accepte de mourir parce que les perles s’évanouissent... Tu ne les entends pas qui tombent et qui s’en vont au torrent ? Ah ! Valérie, quel châtiment !... les gouttes qui tombent... les gouttes qui tombent... Il n’avait plus de forces. Les domestiques le portèrent sur son lit. Bientôt le docteur arrivait, et il vint aussi deux vieilles cousines que l’on avait averties et qui ne bougèrent plus de la chambre. Elles semblaient attentives aux moindres gestes de Valérie, et toutes prêtes à défendre les tiroirs et les commodes contre toute atteinte. L’agonie fut longue. Le baron Assermann mourut au petit jour, sans avoir prononcé d’autres paroles. Sur la demande formelle des deux cousines, les scellés furent mis aussitôt à tous les meubles de la chambre. Et les longues heures funèbres de la veillée commencèrent. Deux jours plus tard, après l’enterrement, Valérie reçut la visite du notaire de son mari qui lui demanda un entretien particulier. Il gardait une expression grave et affligée, et il dit aussitôt : – La mission que je dois remplir est pénible, madame la baronne, et je voudrais l’exécuter aussi rapidement que possible, tout en vous assurant d’avance que je n’approuve pas, que je ne saurais approuver ce qui a été fait à votre détriment. Mais je me suis heurté à une volonté inflexible. Vous connaissiez l’obstination de M. Assermann, et malgré mes efforts... – Je vous en prie, monsieur, expliquez-vous, supplia Valérie. – Voici donc, madame la baronne. Voici. J’ai entre les mains un premier testament de M. Assermann qui date d’une vingtaine d’années, et qui vous désignait alors comme légataire universelle et seule héritière. Mais je dois vous dire que, le mois dernier, il m’a confié qu’il en avait fait un autre... par lequel il laissait toute sa fortune à ses deux cousines. – Et vous l’avez, cet autre testament ? – Après me l’avoir lu, il l’a enfermé dans le secrétaire que voici. Il désirait que l’on n’en prît connaissance qu’une semaine après sa mort. Les scellés ne pourront être levés qu’à cette date. La baronne Assermann comprit alors pourquoi son mari lui avait conseillé, quelques années auparavant, à l’époque de violents désaccords entre eux, de vendre tous ses bijoux et d’acheter, avec cet argent, un collier de perles. Le collier étant faux, Valérie étant déshéritée et n’ayant aucune fortune, elle demeurait sans ressources. La veille du jour fixé pour la levée des scellés, une automobile s’arrêta devant une modeste boutique de la rue de Laborde, qui portait cette inscription : Agence Barnett et Cie ouverte de deux à trois heures. Renseignements gratuits. Une dame en grand deuil descendit et frappa. – Entrez, cria-t-on de l’intérieur. Elle entra. – Qui est là ? reprit une voix qu’elle reconnut, et qui parlait d’une arrière-boutique séparée de l’agence par un rideau. – La baronne Assermann, dit-elle. – Ah ! toutes mes excuses, baronne. Veuillez vous asseoir. J’accours. Valérie Assermann attendit, tout en examinant le bureau. Il était en quelque sorte tout nu : une table, deux vieux fauteuils, des murs vides, pas de dossiers, pas la moindre paperasse. Un appareil téléphonique constituait l’unique ornement et l’unique instrument de travail. Sur un cendrier, cependant, des bouts de cigarettes de grand luxe, et, par toute la pièce, une odeur fine et délicate. La tenture du fond se souleva, et Jim Barnett jaillit, alerte et souriant. Même redingote râpée, nœud de cravate tout fait, et surtout mal fait. Monocle au bout d’un cordon noir. Il se précipita sur une main dont il embrassa le gant. – Comment allez-vous, baronne ? C’est pour moi un véritable plaisir... Mais qu’y a-t-il donc ? Vous êtes en deuil ? Rien de sérieux, j’espère ? Ah ! mon Dieu, suis-je étourdi ! Je me rappelle... Le baron Assermann, n’est-ce pas ? Quelle catastrophe ! Un homme si charmant, qui vous aimait tant ! Et alors, où en étions-nous ? Il tira de sa poche un menu carnet qu’il feuilleta. – Baronne Assermann... Parfait... je me souviens... Perles fausses. Mari cambrioleur... Jolie femme... Très jolie femme... Elle doit me téléphoner... « Eh bien, chère madame, conclut-il avec une familiarité croissante, je l’attends toujours, ce coup de téléphone. » Cette fois encore, Valérie fut déroutée par le personnage. Sans vouloir se poser en femme que la mort de son mari a terrassée, elle éprouvait tout de même des sentiments pénibles, auxquels s’ajoutaient l’angoisse de l’avenir et l’horreur de la misère. Elle venait de passer quinze jours affreux, avec des visions de ruine et de détresse, avec des cauchemars, des remords, des épouvantes, des désespoirs dont les traces marquaient durement son visage flétri... Et voici qu’elle se trouvait en face d’un petit homme joyeux, désinvolte et papillotant, qui n’avait pas du tout l’air de comprendre la situation.
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