MERCURE. – Depuis longtemps, je pense, Vulcain, se doutant du jeu, les épiait : il avait posé autour du lit des liens invisibles, et s’en était allé travailler à sa forge. Bientôt, Mars entre, croyant n’avoir été vu de personne ; mais le Soleil, qui l’avait aperçu, va le dire à Vulcain. Quand les deux amants, montés sur le lit, se furent mis à l’œuvre et que, pris dans les filets, ils se furent enlacés dans les liens, Vulcain arriva. Vénus, qui était nue, ne savait comment se couvrir, toute honteuse ; Mars essaya d’abord de fuir, espérant briser les liens ; mais se voyant pris sans issue, il recourait aux prières.
APOLLON. – Eh bien, Vulcain les a-t-il relâchés ?
MERCURE. – Non pas ; il appelle tous les dieux et les rend témoins de l’adultère : les deux amants, nus et les regards baissés, rougissent d’être ainsi liés ensemble ; et ce fut un spectacle délicieux pour moi que celui de l’œuvre amoureuse, presque accomplie sous nos regards.
APOLLON. – Et le forgeron n’avait pas honte d’étaler ainsi son déshonneur conjugal ?
MERCURE. – Par Jupiter ! il était là, riant comme les autres : pour moi, s’il faut dire le vrai, j’étais jaloux de Mars, en le voyant non seulement aimé d’une si jolie déesse, mais attaché avec elle.
APOLLON. – Te laisserais-tu donc attacher à ce prix ?
MERCURE. – Et toi, Apollon, refuserais-tu ? Viens un instant les voir, et je te louerai fort si tu ne fais le même souhait après les avoir vus. »
L’Amour épargne cependant Minerve ; contre elle, son flambeau n’a pas de feux, son carquois est vide de flèches. C’est que l’air imposant et mâle de la déesse de la sagesse et des arts, son œil terrible et défiant effraye l’Amour et le met en fuite. Quant aux Muses, il les respecte : elles sont toujours en méditation, toujours occupées de quelque chant ; et il s’approche souvent d’elles, séduit par leurs mélodies.
Enfin il ne blesse pas Diane, « parce qu’il n’est pas facile de l’atteindre, elle fuit toujours à travers les montagnes. » Et puis elle a, depuis longtemps, un autre amour au cœur, celui de la chasse, des cerfs, des faons, à la poursuite desquels elle s’élance, pour les percer de ses flèches : elle est tout entière à cette passion.
Ainsi tous, mortels et immortels, déesses ou simples mortelles, tous, l’Amour nous guette, et nous ne saurions lui échapper… À moins que nous ne soyons, ou hideusement sages comme Minerve, ou respectablement méditatifs comme les Muses, ou bien passionnés de chasse comme Diane !
CHAPITRE SECOND
Amour conjugalLa jeune fille grecque, sévèrement enfermée dans un appartement réservé, le Parthénon, se mariait très jeune et, par conséquent, très ignorante ; elle suivait un étranger, dès l’âge nubile, sans être consultée sur son choix, sans le connaître, quelquefois sans l’avoir vu. Elle n’était élevée, d’ailleurs, que pour l’hyménée. Les épigrammes funéraires des jeunes filles mortes prématurément, au lieu de célébrer la virginité inviolée, expriment toujours le regret du lit nuptial : « Tu es donc morte avant l’hyménée, Philénium, et ta mère Pythias ne t’a pas conduite dans la belle chambre de ton fiancé ; mais en se déchirant les joues à faire pitié, elle a enseveli dans ce tombeau une fille de quatorze ans. (Persès.) »
« Hélas ! Aristocratie, tu es descendue aux sombres demeures de l’Achéron, morte avant l’hyménée, et il ne reste plus à ta mère que les larmes dont elle arrose sans cesse ta tombe dans son désespoir. (Mnalsaque.) »
« Ici reposent les cendres de Timade qui, morte avant l’hyménée, est entrée dans la sombre demeure de Proserpine. Elle morte, toutes ses compagnes ont, avec le fer aiguisé, coupé leur chevelure, et l’ont déposée sur sa tombe. (Sappho.) »
« Je pleure la jeune Antibia. Pour la demander en mariage, des prétendants étaient venus en foule chez son père, attirés par sa beauté et sa sagesse ; mais la Parque cruelle a emporté loin d’eux celle qui était l’objet de leurs espérances. (Anyté.). »
Plus brutalement l’avare de Plaute se lamente de ce que sa fille, bien vivante, a l’âge de l’hymen ; car il faut la marier, la doter : « Me voilà avec une grande fille sur les bras, sans dot, et je ne sais où la caser. »
Toutefois l’union de l’homme et de la femme n’étant formée que pour la procréation d’enfants légitimes, l’âge légal du mariage est l’âge de la puberté, c’est-à-dire l’aptitude à engendrer chez l’homme, l’aptitude à concevoir chez la femme : douze à quinze ans pour celle-ci, quatorze à dix-huit ans pour celui-là. La femme impubère peut bien être donnée par contrat, mais la consommation du mariage ne peut avoir lieu que lorsque la femme a atteint la majorité requise pour le mariage.
Les cérémonies matrimoniales célèbrent religieusement l’amour physique, le désir mutuel de l’accouplement qui crée la jouissance et perpétue la race. Tout le rituel préparatoire est accompagné de « vers fescennins », d’épigrammes licencieuses célébrant la vierge livrée à l’époux frémissant de désirs, lui conseillant de ne rien refuser à son mari, quelles que puissent être ses exigences. Ils célèbrent aussi les chastes matrones chargées de placer la jeune épouse dans la couche nuptiale, dans le lit que décore l’ivoire, le lectus genialis, dans lequel seront conçus et engendrés les enfants. Et les exhortations ne manquent pas à l’époux. Il doit renoncer dorénavant au mignon qui charmait ses nuits, et auquel l’épouse elle-même coupera les cheveux au lendemain du mariage.
Mais qu’il soit vigoureux et audacieux. « Courage, jeune homme, ne laisse pas échapper la vierge de tes bras, quand elle te déchirerait de ses ongles inhumains. Le plaisir disputé est cent fois plus doux, et la beauté qui nous fuit nous enflamme davantage. Rougis d’un sang virginal les tissus de Sidon… Puis vainqueur et glorieux des blessures que te coûta cette nuit, quitte l’humide théâtre du combat.
Allez, enfants, mêlez la sueur de vos corps ; que les colombes ne soupirent pas plus amoureusement que vous : que vos bras s’entrelacent comme le lierre, et, dans vos tendres baisers, soyez unis comme deux coquilles le sont entre elles. Courage, jouissez, mais n’éteignez pas ces lampes vigilantes. Témoins muets des mystères de la nuit, elles n’en révèlent rien au jour. »
Et les époux sont conduits à la maison nuptiale au son des chants d’hymen :
« Ô Hymen ! ô Hyménée !
Vous aurez une jolie maison, pas de soucis et de bonnes figues. Ô Hymen ! ô Hyménée !
Ô Hymen ! ô Hyménée !
Le fiancé en a une grande et grosse ; la fiancée en a une bien douce. »
Avant d’entrer dans la chambre nuptiale, l’épousée devait manger un coing, fruit qui passait pour le symbole de la fécondité. Sous ces auspices d’une heureuse précision, elle allait à sa besogne de reproductrice.
Les époux sont enfermés, solus c*m sola, et l’esclave cubiculaire se retire, emportant dans une cassette la chaussure de la mariée et veillant toute la nuit à la porte. Mais la chambre nuptiale, vide de témoins, est remplie d’une foule de divinités, préposées à la délicate mission de favoriser la consommation du mariage. La déesse Virginensis aide à dénouer la ceinture de l’épouse ; le dieu Subigus et la déesse Prema la couchent, la subjuguent et l’empêchent de se débattre sous les assauts impatients de l’époux ; la déesse Pertunda vient en aide au mari pour pénétrer la fosse vaginale. C’est encore Mutunus et Tutunus qu’on invoque, personnification de Priape, au membre viril énorme que devaient chevaucher les vierges, à la veille de leur initiation, pour assurer leur fécondité.
Sous tous ces auspices, l’époux accomplit les rites de la nuit de noces, chantés par Ausone dans le Centon nuptial, constitué par un ingénieux assemblage d’hémistiches empruntés au virginal Virgile.
Centon nuptial