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2041 Words
2 Nous marchons rapidement dans la neige, et je regarde avec inquiétude le ciel qui s’assombrit, sentant le temps nous presser. Je jette un coup d’œil par-dessus mon épaule, vois mes empreintes dans la neige et, là-bas, debout dans le bateau qui ondule, Ben et Rose qui nous regardent, les yeux écarquillés. Rose serre Pénélope, tout aussi effrayée, contre elle. Pénélope aboie. Je me sens mal de les laisser là tous les trois, mais je sais que notre mission est nécessaire. Je sais que nous pouvons récupérer du matériel et des pro- visions qui vont nous aider, et j’ai l’impression que nous avons une avance confortable sur les chasseurs d’esclaves. Je m’empresse d’atteindre le hangar couvert de neige et ouvre d’un coup la porte tordue en priant pour que le camion que j’y ai caché il y a si longtemps y soit encore. C’était un vieux pickup rouillé, à bout de course, davantage un tas de ferraille qu’un véhicule, avec bien peu d’essence dans son réservoir. Je l’ai aperçu par hasard un jour, dans un fossé au bord de la Route 23, et je l’ai minutieusement caché ici, près de la rivière, au cas où j’en aurais besoin. Je me souviens d’avoir été surprise qu’il démarre. La porte du hangar s’ouvre dans un craquement, et le camion est là, aussi bien caché qu’au premier jour, encore recouvert de foin. Je suis soulagée. Je retire la paille et sens mes mains froides quand je touche le métal. Je me rends au fond du hangar et ouvre les doubles portes, puis la lumière envahit l’espace. Joli camion, dit Logan qui marche derrière moi en examinant le camion. Tu es sûre qu’il fonctionne? Non, je réponds, mais la maison de mon père se trouve à une bonne trentaine de kilomètres, et nous ne pou- vons pas vraiment faire du stop. À son attitude, il est clair qu’il ne veut pas venir, qu’il veut retourner au bateau et remonter le fleuve. Je saute sur le siège du conducteur et cherche la clé sur le plancher. Je mets la main dessus, bien enfoncée sous le tapis, puis la glisse dans le démarreur, prends une bonne respiration et ferme les yeux. « S’il te plaît, mon Dieu, s’il te plaît. » Au début, rien ne se produit. Mon cœur se serre. Mais je tourne la clé encore et encore, et lentement, le moteur se met à tousser. Au départ, c’est un son tranquille, comme celui d’un chat à l’agonie. Mais je recommence jusqu’à ce que finalement, il tourne de plus en plus vite. « Allez, allez. » Enfin, il démarre en gémissant. Il émet des bruits inquiétants, mais au moins, il tourne. Je ne peux retenir un sourire de soulagement. Il fonc- tionne. Il fonctionne réellement. Nous allons pouvoir nous rendre à la maison, enterrer mon chien et prendre de la nourriture. J’ai l’impression que Sasha nous regarde d’en haut et nous aide. Peut-être mon père aussi. La porte du passager s’ouvre, et Bree monte dans le camion, tout excitée, sautant sur le siège de vinyle près de moi tandis que Logan monte à côté d’elle, refermant brus- quement la porte, le regard fixé devant lui. Qu’est-ce que tu attends? dit-il. Le temps file. Tu n’as pas besoin de me le répéter, je réponds, agacée. J’embraye, puis je pousse l’accélérateur, reculant hors du hangar dans la neige et sous le soleil de l’après-midi. Au début, les roues s’enfoncent dans la neige, mais j’accélère encore, et nous avançons en toussotant. Nous roulons en zigzaguant sur les pneus usés à travers un champ et nous bondissons en tous sens dans la cabine. Mais nous progressons quand même, et c’est tout ce qui m’importe. Nous atteignons bientôt une petite route de campagne. Je suis heureuse que la neige ait été fondante la majeure partie de la journée, sinon nous n’y serions pas parvenus. Nous commençons à prendre de la vitesse. Le camion m’étonne en adoptant un bruit plus régulier tandis qu’il se réchauffe. Nous frisons les soixante-cinq kilomètres-heure tandis que nous nous dirigeons vers l’ouest sur la Route 23. Je continue d’accélérer jusqu’à ce que nous frappions un nid-de-poule et je le regrette. Nous poussons tous un gro- gnement au moment où nos têtes heurtent le plafond. Je ralentis. Les nids-de-poule sont presque impossibles à voir dans la neige, et j’ai oublié à quel point les voies de circula- tion sont devenues mauvaises. Je trouve étrange de me retrouver sur cette route en direction de ce qui était jadis chez moi. Je roule à rebours sur la route que j’ai prise quand je poursuivais les chasseurs d’esclaves, et les souvenirs me reviennent en masse. Je me rappelle quand nous filions ici sur une moto, croyant que j’allais mourir, et j’essaie d’écarter cette pensée de mon esprit. Nous arrivons au grand arbre couché sur la route et maintenant recouvert de neige. C’est celui qu’un survivant qui nous protégeait a fait tomber sur la route pour tenter de bloquer le chemin des chasseurs d’esclaves. Je ne peux m’empêcher de me demander s’il y a d’autres personnes ici maintenant, qui essaient de survivre et nous surveillent peut-être. Je regarde d’un côté et de l’autre, scrutant les bois, mais je n’y vois aucun signe d’une présence. Nous progressons rapidement, et à mon grand soulage- ment, tout va encore bien. Je n’ai pas confiance. J’ai l’impres- sion que c’est presque trop facile. Je jette un coup d’œil à la jauge d’essence et vois que nous n’en avons pas consommé beaucoup. Mais j’ignore à quel point elle est précise et pour le moment, je me demande si nous en aurons assez pour nous rendre à la maison et en revenir. Je me demande également si c’était une idée stupide que d’essayer ça. Nous quittons finalement la route principale pour emprunter l’étroite route de campagne sinueuse qui nous mènera le long de la montagne jusqu’à la maison de mon père. Je suis plus à cran maintenant tandis que nous grim- pons le long des courbes de la montagne, les falaises se fai- sant de plus en plus abruptes sur ma droite. Je lève les yeux et ne peux m’empêcher de remarquer que le panorama est magnifique, s’étendant sur toute la chaîne des monts Catskill. Mais la falaise est escarpée, et la neige est plus épaisse ici, et je sais qu’avec un seul mauvais glissement, ce vieux tas de ferraille nous précipitera dans l’abîme. Étonnamment, le camion tient le coup. Il est comme un bulldog. Nous passons bientôt la section la plus dangereuse, et après une courbe, j’aperçois soudain notre ancienne maison. Hé! La maison de papa! hurle Bree en se redressant. Je suis soulagée de la voir aussi. Nous sommes arrivés et dans le temps prévu. Regarde, je dis à Logan, ce n’était pas si mal. Mais il ne semble pas soulagé ; son visage est grimaçant, inquiet, tandis qu’il surveille les bois. Nous avons réussi à nous rendre ici, grommelle-t-il. Nous ne sommes pas encore retournés. Tout à fait lui:refuser d’avouer qu’il avait tort. Je m’arrête devant notre maison et vois les anciennes pistes des chasseurs d’esclaves. Tous les souvenirs, toute la peur que j’ai ressentie quand ils ont enlevé Bree me reviennent en un instant à l’esprit. Je tends le bras, lui serre les épaules et me promets de ne jamais plus la quitter des yeux. J’éteins le moteur, nous sortons et nous dirigeons vers la maison. Désolée pour le désordre, je dis à Logan en le dépas- sant pour atteindre la porte. Je n’attendais pas d’invités. Malgré lui, il réprime un sourire. Ha, ha, dit-il d’une voix neutre. Dois-je enlever mes souliers? Il a le sens de l’humour. Ça m’étonne. Aussitôt que j’ouvre la porte et que je fais un pas à l’inté- rieur, tout l’humour que j’avais s’estompe. Mon cœur s’ar- rête en voyant la scène. Il y a Sasha, couchée là, son sang séché, son corps raidi et gelé. À quelques pas seulement se trouve le cadavre du chasseur d’esclaves qu’elle a tué, son corps également gelé, collé au plancher. Je baisse les yeux sur le blouson que je porte (son blouson), sur mes vêtements (ses vêtements), sur mes bottes (ses bottes) et j’éprouve un sentiment étrange. Un peu comme si j’étais son double vivant. Logan me regarde et doit comprendre la même chose. Tu n’as pas pris son pantalon? demande-t-il. Je regarde le cadavre et me souviens que je ne l’ai pas fait. C’était au-dessus de mes forces. Je secoue la tête. Stupide de ta part, dit-il. Maintenant qu’il en parle, je me rends compte qu’il a raison. Mon vieux jean est humide et froid et colle à mon corps. Mais même si je n’en veux pas, Ben le pourrait. C’est une honte de ne pas le prendre:après tout, il est en excellent état. J’entends des sons étouffés, tourne la tête et vois Bree debout devant Sasha. Ça me brise le cœur de voir son visage ainsi, tellement triste, les yeux braqués sur son chien mort. Je vais poser un bras autour de ses épaules. Ça va, Bree, je dis. Regarde ailleurs. Je l’embrasse sur le front et essaie de la tourner, mais elle me repousse avec une force étonnante. Non, dit-elle. Elle s’avance, s’agenouille et passe ses bras autour de son cou, se penche et lui embrasse la tête. Logan et moi échangeons un regard. Ni l’un ni l’autre ne savons que faire. Nous n’avons pas le temps, dit Logan. Tu dois vite l’enterrer. Je m’agenouille près d’elle et caresse la tête de Sasha. Tout va bien aller, Bree. Sasha est dans un monde meilleur maintenant. Elle est heureuse à présent. Tu m’entends? Des larmes dévalent le long de ses joues, elle prend une profonde inspiration et les essuie du revers de la main. Nous ne pouvons pas la laisser ici comme ça, dit-elle. Il faut l’enterrer. C’est ce que nous allons faire, je dis. Nous ne pouvons pas, dit Logan. Le sol est complète- ment gelé. Je me relève en regardant Logan, plus agacée que jamais. Surtout parce que je sais qu’il a raison. J’aurais dû y penser. Alors qu’est-ce que tu proposes? je demande. Ce n’est pas mon problème. Je vais monter la garde à l’extérieur. Logan fait demi-tour et sort en claquant la porte der- rière lui. Je me retourne vers Bree en réfléchissant à toute vitesse. Il a raison, je dis. Nous n’avons pas le temps de l’enterrer. NON! crie-t-elle en pleurant. Tu l’as promis. Tu l’as promis! C’est vrai. Mais je n’avais pas réfléchi à tous les aspects. L’idée de laisser Sasha ici comme ça m’attriste. Mais je ne peux pas non plus risquer nos vies. Sasha ne le voudrait pas. J’ai une idée. Et si nous lui faisions des funérailles marines, Bree? Elle se retourne et me fixe des yeux. Tu sais, comme ils font pour les soldats qui décèdent en mer? Quels soldats? demande-t-elle. Quand des soldats meurent en mer, ils les inhument parfois là où ils sont morts. C’est un enterrement d’honneur. Sasha adorait le fleuve. Je suis sûre qu’elle y serait heureuse. Nous pouvons l’emmener jusqu’à l’eau et l’inhumer là. Ça t’irait comme ça? Mon cœur palpite alors que j’attends sa réponse. Le temps file, et je sais à quel point Bree peut être intransi- geante quand il s’agit d’une chose à laquelle elle tient. À mon grand soulagement, elle incline la tête. O.K., dit-elle. Mais je vais la porter. Je pense qu’elle est trop lourde pour toi. Je n’y vais pas à moins de la porter, dit-elle, ses yeux brillants de détermination tandis qu’elle me fait face, les mains sur les hanches. Je vois bien qu’elle n’abandonnera jamais. O.K., je dis. Tu peux la porter. Nous prenons toutes deux Sasha sur le plancher, puis je jette un rapide regard dans la maison pour voir s’il y a quelque chose que nous pourrions récupérer. Je me dirige rapidement vers le cadavre du chasseur d’esclaves, lui enlève son pantalon, puis à ce moment, je sens quelque chose dans sa poche arrière. Je suis à la fois surprise et heu- reuse de découvrir un objet métallique à l’intérieur. C’est un petit couteau à cran d’arrêt. Je me réjouis de l’avoir et je le fourre dans ma poche. Je fais rapidement le tour de la maison, courant de pièce en pièce, à la recherche de quoi que ce soit qui pourrait nous être utile. Je trouve quelques vieux sacs de toile vides et les prends tous. J’en ouvre un et y jette le livre préféré de Bree, L’arbre généreux et mon exemplaire du Sa Majesté des mouches. Je cours jusqu’à un placard, attrape les chandelles et les allumettes qui restent et les jette dans le sac également. Je parcours rapidement la cuisine et cours jusqu’au garage dont les portes ont déjà été enfoncées quand les chasseurs d’esclaves sont venus. J’espère de tout mon cœur qu’ils n’ont pas pris le temps de chercher tout au fond, où se trouve le coffre à outils de mon père. Je l’ai bien caché, dans un renfoncement du mur, et je suis soulagée de constater qu’il y est encore. Il est trop lourd pour le transporter, alors je fouille à l’intérieur et prends tout ce qui pourrait se révéler utile. J’attrape un petit marteau, un tournevis, une petite boîte de clous. Je trouve une lampe torche avec une pile à l’intérieur. Je l’essaie, et elle fonctionne. Je prends une petite paire de pinces et une clé Allen, puis referme le coffre et me prépare à sortir.
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