Je me réveille en sursaut et me redresse d'un coup.
— Jack !
Ma voix résonne sans que je m'en rende compte. J'ai le cœur qui tambourine entre mes côtes et la respiration haletante. Des petites gouttes de sueur coulent le long de ma peau. Il me faut quelques minutes pour me calmer et me rendre compte que je suis dans ma chambre. Je soupire longuement et me laisse retomber sur le matelas. Le plus troublant, c’est que ce rêve semblait plus que réel.
— Eryn ? Est-ce que tout va bien ?
Je tressaute, rappelée à la réalité par la voix de ma mère à travers la porte.
— Oui, juste un mauvais rêve, je m’empresse de répondre, désolée !
— Je vais préparer le petit-déjeuner. Je te laisse te réveiller. Tu as le temps de prendre ta douche et de finir tes affaires.
— D'accord, merci maman !
J’écoute ses pas s’éloigner. Le silence revenu, je prends une longue inspiration et attrape le calepin ainsi que le stylo posés sur ma table de nuit. Ma main court sur les carreaux du papier tandis que les mots fusent dans mon esprit : Jack Moray. Judy promesse de ramener sa dépouille à sa famille après la guerre (mais où ?). Jack soldat britannique pendant la guerre. Judy a caché des journaux intimes dans lesquels elle raconte son vécu pendant la SGM. Voir avec Hannah si elle sait des choses au sujet de Jack.
J’arrache la feuille et la glisse dans la petite poche avant de mon sac à dos. Chose faite, je file sous la douche. L’eau chaude glisse agréablement sur mon corps tandis que mon esprit émerge doucement. Mon téléphone vibre sur le rebord de mon lavabo.
— Hey Google! Lis le nouveau message !
La voix automatisée résonne à travers notre salle de bain exiguë.
Message de Clervie : Coucou ! :D Plus que trois petites heures et nous serons en route pour Dunkerque ! Are you ready girl ? Dakota est déjà sur place ! Elle a pris une chambre d’hôtel, car elle ne voulait pas aller chez Hannah en éclaireur, LOL ! Elle viendra nous chercher ce soir ! N’oublie pas notre rendez-vous dans une heure et demie à la gare pour ta surprise ! A tout à l’heure ! Xx. Clerv
Je lève les yeux au ciel, un sourire amusé aux lèvres. Clervie et ses surprises ! Je dicte une réponse rapide puis sors de la douche. Petit tour par le dressing pour récupérer une tenue à l’arrache et habillage. Etant donné le périple qui nous attend, soit un voyage en car de douze heures ; jean Levi’s, débardeur noir, gilet en coton blanc et Converses assorties feront l’affaire. Pour parfaire le tout, j’attache mes cheveux en un chignon lâche sur le sommet de mon crâne, m’applique une légère couche de maquillage (afin de cacher mes cernes de zombie) et retourne dans ma chambre pour finaliser mes bagages.
J’en profite pour faire un check up complet : billets bus, OK. Portefeuille, bouteille d’eau, déjeuner et MP3, OK. Recharge téléphone portable, tablette, ordinateur et chargeur ; bien évidemment trois livres, quelques vêtements et une paire de chaussures de rechange, brosse à cheveux et maquillage. C’est tout bon.
— Eryn petit-déjeuner ! m’appelle ma mère.
Expirant un grand coup, je boucle mes bagages et la rejoins. Sans grande surprise, nous passons les quarante-cinq minutes suivantes à faire le point sur l’organisation, autour d’un petit-déjeuner « à l’anglaise ».
— Départ de Lyon à midi, arrivée à Paris à dix-neuf heures ; départ pour Lille à dix-neuf heures trente, arrivée sur place à vingt-deux heures, puis dernier car à vingt-deux heures trente pour une arrivée à Dunkerque à minuit trente, c’est bien ça ? (J’acquiesce.) Rappelle-moi, ce que vous allez faire là-bas ?
J’avale une longue gorgée de café avant de répondre :
— Assistez aux commémorations de L’Opération Dynamo, la plus grande…
— Evacuation de l’Histoire, termine-t-elle à ma place.
— Exact. Oh et, cette année, il y aura Christopher Nolan et toute l’équipe du film Dunkerque sur place, j’ajoute sourire aux lèvres.
Elle hausse les sourcils, une lueur taquine dans les yeux :
— Encore Harry Styles ?
— Toujours !
Nous rions en cœur. Elle boit son jus d’orange d’une traite, le doigt tendu vers notre télé allumée en fond. Tournant la tête, je me retrouve nez à nez avec des photos des membres du groupe Shining Stars : Jason, Théodore, Christopher et Benjamin, leur chanteur principal. Un doux frisson me parcourt l’échine.
— Tu as eu de ses nouvelles dernièrement ? me demande ma mère avec douceur.
— Pas depuis que Christopher et lui nous ont trouvé l’hébergement chez l’habitant pour notre séjour. (J’attrape l’une de mes tartines que j’engloutis, les yeux toujours rivés sur l’écran.) Les choses ont évolué depuis que Clervie et moi les avons rencontrés, je poursuis un peu amère.
À l’époque, nous étions en vacances sur la Côte d’Azur. Les garçons, Chris, Ben, Jase et Théo, donnaient alors des concerts dans des petits festivals estivaux. Ils n’étaient alors pas connus et il nous avait été facile les approcher pour discuter. Le contact était bien passé. Nous avions même pris l’habitude de les retrouver dès que l’occasion se présentait. À la fin de l’été, nous étions restés en contact via w******p.
Depuis, malheureusement pour nous, mais heureusement pour eux, ils ont fini par décoller, notamment au Royaume-Uni où ils viennent tout juste de terminer une tournée promotionnelle pour la sortie de leur premier album. Aux dernières nouvelles, le second est en bonne voie.
— Il est prévu qu’ils vous rejoignent quelques jours à Dunkerque, non ?
Je hoche la tête :
— Oui, après-demain. (Heureusement, ils ne sont pas très connus en France. Cela devrait nous permettre de passer un peu plus incognito. Ma mère me fixe, les lèvres étirées en un sourire de connivence. Je plisse les yeux, méfiante :) Che passa ?
Elle se lève pour récupérer un sachet papier qu’elle me tend. Je l’attrape et y glisse ma main. Mes doigts se referment sur une boite. Je m’empresse de l’en extirper, manquant de recracher mon café en la découvrant.
Je lève mon regard ahuri vers ma mère :
— Tu m’as vraiment acheté une boite de préservatifs ?!
Elle hausse les épaules :
— On ne sait jamais : comme on dit, un accident est vite arrivé. (Je roule des yeux au ciel.) Dépêche-toi de finir ton petit-déjeuner, poursuit-elle avant que je ne puisse rétorquer, notre Uber devrait arriver d'ici à dix minutes.
Je m’exécute. Le petit-déjeuner fini, elle débarrasse la table tandis que je retourne dans ma chambre pour récupérer mes affaires. Mon regard erre sur la pièce familière autour de moi. Mes yeux s’arrêtent sur une photo de mon grand-père, Graham, et de l’une de ses sœurs, Judy. Je l’attrape, prenant le temps d’observer en détails cette grand-tante dont j’ignorais l’existence jusqu’à récemment.
La première fois que j’ai entendu ce nom remonte à plusieurs semaines en arrière, lorsque Clervie, mon amie de quelques années de moins que moi à la santé atypique, s’est décidé à entamer des recherches sur son arrière-grand-père paternel Anthony Carter (Tony) et le frère jumeau de ce dernier, Lawrence (Laurie). De fil en aiguille, nous en sommes venus à trouver des photos des frères Carter en compagnie de mon grand-père et ma grand-tante, ainsi que celle-ci. À croire qu’ils étaient dans le même groupe de Résistance pendant la guerre.
Mon cœur trépigne d’impatience et de nervosité à l’idée des découvertes que nous allons faire pendant notre séjour dans le Nord.
— Eryn, le Uber est là ! m’informe ma mère.
Sortie une fois encore de ma rêverie, je glisse le cadre dans mon sac à dos, attrape la poignée de ma valise, jette un dernier regard à mon petit nid douillet dont je claque la porte derrière moi, et rejoins ma mère.
Mes lèvres frémissent d’excitation malgré moi : Dunkerque, me voilà !
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