— J'espère que Clervie est déjà là, dit ma mère tandis que nous entrons dans la gare.
J'attrape mon téléphone dans la poche de mon blouson en cuir et envoie un message rapide à mon amie. Cette dernière me répond presque instantanément. Un sourire étire mes lèvres tandis que je prends en compte la photo de trois gobelets en plastique de Frapuccino Starbucks sur lesquels sont inscrits les prénoms : Agnès, Milly et Ruby.
Je te laisse deviner où je me trouve 😉 Ton Frappuccino caramel et le Frappuccino cookie de ta maman vous attendent ! A tout de suite ! Xx.
Je ris tout en levant les yeux au ciel. Sacrée Clervie. Elle ne manque pas d’imagination. La preuve en est : ces derniers temps, elle s’amuse à nous donner des noms de personnages sortis tout droit de romans, de films ou de séries chaque fois que nous allons chez Starbucks.
Jusqu’à présent, je me suis appelée Hazel, Tessa, Jane, Lizzie, Emily, Anne, Ronnie, Jamie, Claire ou encore Ruby. Je sais que cela peut paraître enfantin, mais c’est notre façon à nous de nous glisser dans la peau de toutes ces héroïnes que nous adorons, peu importe l’époque à laquelle elles ont été inventées.
— Des news ?
Je cligne des yeux, sortie de mes pensées par la voix de ma mère. J’acquiesce tout en remettant mont téléphone à sa place.
— Elle nous attend chez Starbucks.
— Ok. (Nous prenons la direction du café.) Comment suis-je supposée m’appeler aujourd’hui ?
— Agnès.
— Agnès comme Agnès Martin-Lugand ou comme Agnès Wickefield dans David Copperfield ?
Je fais mine de réfléchir :
— Mmmm…Un peu des deux, je dirais.
**
Dix minutes plus tard, nous arrivons au lieu de rendez-vous. Clervie nous attend, assise à une petite table haute, les écouteurs dans les oreilles, une pochette devant elle et un crayon entre les doigts. Son regard parcourt la salle qui l’entoure, ses yeux jonglant d’un client à l’autre tandis que sa main s’active sur le papier épais, jusqu’à s’arrêter sur nous. Un grand sourire illumine instantanément son visage.
Dix minutes plus tard, nous arrivons au lieu de rendez-vous. Clervie nous attend, assise à une petite table haute, les écouteurs dans les oreilles, une pochette devant elle et un crayon entre les doigts. Son regard parcourt la salle autour d’elle, ses yeux jonglant d’un client à l’autre tandis que sa main s’active sur le papier épais, jusqu’à s’arrêter sur nous. Un grand sourire illumine instantanément son visage.
Elle se lève de sa chaise et nous prend à tour de rôle dans ses bras avant de se rasseoir. Elle s’empresse de ranger ses écouteurs et son matériel de dessin. Je prends place sur le tabouret à sa gauche, ma mère sur celui à sa droite.
— Comment vas-tu miss ? je lui demande.
— Très bien, et toi ?
— On ne peut mieux !
Nous échangeons un sourire complice tout en prenant une gorgée de nos Frappuccino.
— Tu as pu faire ton bilan médical avant le départ ? l’interroge ma mère.
— Oui ! Les médecins étaient plutôt optimistes. La maladie ne s’est pas propagée à d’autres organes. Le traitement corticoïde semble plutôt bien marcher : cela fait déjà trois mois que je le prends, ce qui veut dire que j’en ai encore pour seize mois en partant du principe que je ne finisse pas par avoir des effets secondaires. Heureusement, étant donné que cela n’a pas été le cas jusqu’à présent, il y a peu de risques que ça arrive.
— Qu’en est-il de la greffe des poumons ?
— Pas nécessaire pour le moment !
— Et les injections à faire pendant le voyage ? j’interviens.
— Je peux les faire seule. Puis Chris et Ben ont trouvé le numéro d’un cabinet d’infirmières si besoin.
J’acquiesce. Ma mère nous observe, une lueur taquine dans les yeux.
— Décidément, ces jumeaux sont pleins de surprises.
— Et très doué au lit, souffle mon amie de manière que je sois la seule à l’entendre.
Je lui assène un coup de coude dans les côtes lui arrachant un ricanement. Son portable vibre sur la table. Je tente de l’attraper, curieuse de voir de qui il s’agit, mais elle ne m’en laisse pas l’occasion. Déverrouillant l’écran en deux-deux, elle lit le message à toute vitesse et tape une réponse rapide avant de le ranger dans une petite sacoche en cuir qu’elle porte en bandoulière.
— La surprise devrait arriver d’ici une quinzaine de minutes, nous annonce-t-elle enthousiaste.
Mon cœur bondit entre mes côtes à l’entente de ses mots.
— =Il s’agit d’une personne ? je demande aussi posément que possible.
Elle mime un « motus et bouche cousue », puis fait semblant de jeter la clé au loin. Je me tourne vers ma mère qui se contente de siroter son Frappuccino comme si de rien n’était. Il s’agit de quelqu’un, c’est sûr. Mais qui ?
Dakota est déjà dans le Nord. Chris, Ben, Théo et Jase doivent nous y retrouver après-demain pour passer quelques jours avec nous, ma meilleure amie d’enfance ne peut pas en faire autant à cause de son travail en horaires décalés ; quant à mes autres amis, Clervie ne les connait pas et puis, de toute façon, je ne suis pas rentrée dans les détails du voyage avec eux.
Je ne vois donc vraiment pas de qui il pourrait s’agir. Je suis une fois de plus tirée de mes pensées, cette fois-ci par la voix de Clervie.
— Les médecins m’ont donné une bouteille d’oxygène facile à transporter au cas où, et ils m’ont bien évidemment recommandé de faire attention et de me ménager pour ne pas sursolliciter mes poumons.
— Et ils ont raison, je lui dis sérieusement. (Elle roule des yeux face à ma remarque.) Je suis sérieuse ! De toute façon, entre Dakota, Chris, Ben, Théo, Jase et moi, tu n’auras pas d’autre choix que la prudence ma petite.
— Ne t’en fais pas, je me suis déjà préparée psychologiquement à l’idée d’être fliquée une fois sur place, ironise-t-elle un sourire faux aux lèvres.
Je lui donne une tape de réprimande sur le bras. Parfois j’ai l’impression de prendre sa maladie avec plus de sérieux qu’elle. En même temps, Clervie et moi sommes comme des sœurs. Nous avons toujours été là l’une pour l’autre, dès la minute où nous sommes devenues amies. Il est vrai que de nos jours, il est plus fréquent que certaines personnes prétendent et fassent semblant d’être l’ami d’autrui pour mieux leur planter un couteau dans le dos, mais il n’empêche que les vraies amitiés existent toujours et qu’elles sont d’autant plus précieuses qu’elles sont rares.
C’est d’ailleurs grâce à l’importance et la rareté de tels liens amicaux que, le jour où Clervie m’a avoué qu’elle souffrait de sarcoïdose, une maladie auto-immune bien évidemment de cause inconnue, je me suis fait la promesse de toujours être là pour elle, et ce peu importe les obstacles.
Car même si dans le cas de Clervie il ne s’agit que d’une « sarcoïdose pulmonaire », soit une forme qui jusqu’à présent ne s’attaque pas à d’autres organes, on ne sait jamais de quoi demain sera fait.
Comme si elle devinait mes préoccupations, l’intéressée me saute sur le dos me faisant sursauter.
— Le TGV numéro 5462 en provenance de Paris Gare de Lyon vient d’entrer en gare, voie B ! s’exclame-t-elle.
Le sourire espiègle, elle m’attrape par la main et se met à courir en direction des escalators sans me laisser le temps de répondre à ma mère qui décide de nous attendre tranquillement au café. Mon cœur s’emballe dans ma poitrine tandis que je suis tant bien que mal mon amie qui commence à s’essouffler.
— Clervie, doucement, je l’admoneste, les médecins…
— Ont dit que je devais faire attention, je sais, m’interrompt-elle maintenant le rythme. Promis, ce sera mon seul excès de la journée !
Je lève les yeux au ciel. Idéfix, va. Nous nous ruons dans les escalators que nous grimpons quatre à quatre, sous les regards curieux et surpris de certains voyageurs, et arrivons juste à temps pour voir les portes du train s’ouvrir. Clervie me traîne jusqu’aux voitures première classe, situées à l’avant. Les passagers vont et viennent autour de nous au rythme des conversations et des valises qui roulent par terre.
— Regarde, souffle mon amie le doigt pointé vers l’un d’eux.
— Clervie, qu’est-ce que…
Je m’interromps, figée par la surprise. Mon cœur bondit comme sur le point d’exploser de joie.
Bien qu’il soit dos à nous, il ne me faut pas longtemps pour le reconnaître. Slim noir moulant, tee-shirt noir qui en dépasse légèrement, veste en jean noir ACDC, boots noires, sac de voyage en bandoulière, cheveux d’un noir ébène ondulés et mi-longs, je pourrais le reconnaître entre mille.
— Ben…
Lorsqu’il se tourne face à nous, j’en ai le souffle coupé. Son regard croise le mien et une fois de plus, je me retrouve hypnotisée par le vert doré de ses yeux tandis qu’il avance vers nous, son sourire en coin familier aux lèvres. Les autres continuent de se mouver tout autour de nous, mais je les distingue à peine, mon attention bien trop absorbée par le jeune homme que je n’ai pas vu depuis plus d’un an.
Sans vraiment m’en rendre compte, j’avance d’un pas vif jusqu’à courir dans sa direction. Il ouvre grand les bras. Je me jette à son cou. Son étreinte puissante se referme autour de ma taille tandis que nous nous serrons l’un contre l’autre. Ma joue effleure la sienne me faisant légèrement frissonner et ma bouche s’étire en un grand sourire sans que je puisse la contrôler.
Il m’embrasse le sommet du crâne, puis fait glisser ses lèvres jusqu’à mon oreille.
— Bonjour, ma petite française préférée.
Mon ventre se contracte. Des centaines de milliers de papillons s’envolent en son creux au son de cette voix, douce et rauque, à l’accent anglais presque imperceptible.
Ben est là. Il est là.
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