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L'Oeuvre de Pétrone

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Extrait : "Il y a déjà bien longtemps que je vous promets le récit de mes aventures. Le moment est venu de tenir parole aujourd'hui qu'une heureuse occasion nous réunit, car nous ne sommes pas ici exclusivement pour fixer des points de science, mais pour causer aussi et pour rire un peu en nous racontant de bonnes histoires."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN

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Introduction Parmi tant de chefs-d’œuvre que nous a laissés l’antiquité classique, il y en a de plus célèbres, mais il y en a peu d’aussi lus que le Satyricon de Pétrone. De ce que ce roman a toujours été populaire et l’est resté même à notre époque, ce serait pourtant une erreur de conclure qu’il soit d’un abord très facile. Nul ouvrage, peut-être, n’a plus besoin de commentaire. Sans doute, à première lecture, le charme du récit, la vive peinture des mœurs et des caractères, l’esprit et l’entrain de l’auteur font que l’on passe volontiers et presque sans les apercevoir sur des difficultés aussi nombreuses que graves, mais il n’y a rien d’exagéré à dire que plus on vit dans la familiarité de Pétrone, plus on approfondit son œuvre, plus on voit se multiplier les points d’interrogation. Une notice donnant à l’avance la solution de toutes ces obscurités apparaît donc comme le complément presque indispensable d’une édition de Pétrone. Malheureusement, malgré de très nombreux et très savants travaux, c’est une tâche impossible actuellement de résoudre seulement les plus essentielles des innombrables questions que soulève le Satyricon. Ajoutons-le pour la consolation du lecteur, il est peu probable – à moins qu’on ne découvre de nouveaux manuscrits – que les érudits de l’avenir arrivent à des conclusions beaucoup plus satisfaisantes et beaucoup plus sûres que celles dont nous sommes obligés de nous contenter. Pétrone est, en effet, d’une lecture difficile non seulement pour un homme cultivé, mais pour un latiniste, mais même pour les spécialistes, philologues et historiens, qui ont consacré toute une vie de labeur acharné à l’étude de la décadence latine. Nombreux sont les points sur lesquels leurs travaux n’ont fait qu’accentuer la divergence de leurs vues, et ce n’est pas sans motif qu’un traducteur de Pétrone, J.N.M. de Guerle a intitulé le commentaire qu’il lui consacre : Recherches sceptiques sur le « Satyricon » et sur son auteur. Pour ne pas nous engager dans des discussions sans fin, nous nous bornerons ici à indiquer les problèmes posés par la critique et les principales solutions entre lesquelles elle hésite, sans nous interdire cependant de laisser deviner nos opinions personnelles. Il ne nous est parvenu qu’une partie du Satyricon ; les morceaux qui nous ont été conservés présentent bien des lacunes, bien des obscurités, bien des fautes. Non seulement l’époque où vivait Pétrone, non seulement le temps et le lieu où se passe le roman sont discutés, mais on n’est d’accord ni sur l’identité de l’auteur, ni sur le but de son œuvre, ni sur l’authenticité d’une notable partie des fragments qui nous sont parvenus. Nous allons examiner brièvement ces diverses questions. I. L’auteur du « Satyricon ». – Les manuscrits portent, sans autre indication, le nom de Titus Petronius Arbiter. L’histoire a conservé la trace de nombreux dignitaires du nom de Pétrone qui se sont distingués à divers titres sous l’Empire dans l’administration ou dans la guerre, y compris un empereur, Pétrone-Maxime, assassin de Valentinien III et lui-même assassiné trois mois après. Les lettres gardent la mémoire de onze auteurs ayant porté ce nom, dont un pieux évêque canonisé par l’Église. Il était naturel de chercher parmi ces personnages l’auteur du Satyricon, et les érudits n’y ont point manqué. Au XVIe siècle, Pithou, aussi estimé comme philologue que comme jurisconsulte, a cru pouvoir l’identifier avec le plus célèbre de tous, avec le Pétrone, favori, puis victime de Néron, immortalisé par une belle page de Tacite au XVIe livre des Annales, paragraphes 18 et 19. « … Il consacrait, dit le grand historien, le jour au sommeil, la nuit aux devoirs et aux agréments de la vie. Si d’autres vont à la renommée par le travail, il y alla par la mollesse. Et il n’avait pas la réputation d’un homme abîmé dans la débauche, comme la plupart des dissipateurs, mais celle d’un voluptueux qui se connaît en plaisirs. L’insouciance même et l’abandon qui paraissaient dans ses actions et dans ses paroles leur donnaient un air de simplicité d’où elles tiraient une grâce nouvelle. On le vit, cependant, proconsul en Bithynie et ensuite consul, faire preuve de vigueur et de capacité. Puis retourné aux vices, ou à l’imitation calculée des vices, il fut admis à la cour parmi les favoris de prédilection. Là, il était l’arbitre du bon goût : rien d’agréable, rien de délicat, pour un prince embarrassé du choix, que ce qui lui était recommandé par le suffrage de Pétrone. Tigellin fut jaloux de cette faveur : il crut avoir un rival plus habile que lui dans la science des voluptés. Il s’adressa donc à la cruauté du prince, contre laquelle ne tenaient jamais les autres passions, et signala Pétrone comme ami de Scévinus ; un délateur avait été acheté parmi ses esclaves, la plus grande partie des autres jetés dans les fers, et la défense interdite à l’accusé. L’empereur se trouvait alors en Campanie, et Pétrone l’avait suivi jusqu’à Cumes, où il eut ordre de rester. Il ne soutint pas l’idée de languir entre la crainte et l’espérance, et toutefois il ne voulut pas rejeter brusquement la vie. Il s’ouvrit les veines, puis les referma ; puis les ouvrit de nouveau, parlant à ses amis et les écoutant à leur tour ; mais, dans ses propos, rien de sérieux, nulle ostentation de courage, et de leur côté, point de réflexions sur l’immortalité de l’âme et les maximes des philosophes ; il ne voulait entendre que des vers badins et des poésies légères. Il récompensa quelques esclaves, en fit châtier d’autres, il sortit même ; il se livra au sommeil, afin que sa mort, quoique forcée, parût naturelle. Il ne chercha point, comme la plupart de ceux qui périssaient, à flatter par son codicille ou Néron, ou Tigellin ou quelque autre des puissants du jour. Mais, sous les noms de jeunes impudiques et de femmes perdues, il traça le récit des débauches du prince, avec leurs plus monstrueuses recherches, et lui envoya cet écrit cacheté, puis il brisa son anneau, de peur qu’il ne servît plus tard à faire des victimes. » Tacite appelle le courtisan de Néron : arbiter elegantiarum, l’arbitre des élégances ; il en fait un voluptueux raffiné et lui attribue une satire contre Néron. Or le nom de notre auteur est Titus Petronius Arbiter, il se donne pour un adepte de la philosophie d’Épicure ; et il est bien tentant d’admettre que le Satyricon n’est autre chose que cet écrit ridiculisant et flétrissant les mœurs de Néron, de l’infâme Tigellin et des autres favoris du prince. Le récit de Tacite est du reste confirmé par Pline l’Ancien et par Plutarque, qui ajoutent qu’avant de mourir Pétrone fit briser une coupe précieuse, « une coupe de cassidoine valant 300 grands sesterces », pour la dérober à l’avidité de Néron. Enfin Terentianus Maurus, qu’on fait vivre sous Domitien, cite Pétrone comme se servant volontiers du vers iambique. Il faut donc que l’auteur du Satyricon soit antérieur à Domitien ; et comme entre le règne de ce dernier et celui de Néron nous ne connaissons aucun Pétrone dont le signalement réponde à celui du romancier, on est amené logiquement à l’identifier avec le favori de Néron. Malheureusement ce dernier s’appelait Caius Petronius Turpillianus, tandis que notre auteur se nomme Titus Petronius Arbiter : on n’explique pas par quel miracle l’épithète arbiter elegantiarum s’est transformée si bien en un nom propre que, dans la suite, l’auteur du Satyricon est appelé indifféremment Petronius et Arbiter. En outre, les prénoms sont différents. Le pamphlet que Pétrone composa quelques heures avant sa mort était nécessairement court : le roman satirique, dont nous ne possédons du reste qu’une faible partie, a deux ou trois cents pages et contient deux longs poèmes. Quelque prodigieuse-que fut sa facilité, le favori de Néron n’a pas eu le temps matériel de dicter avant d’expirer une œuvre d’aussi longue haleine. N’ayant plus rien à ménager, on ne voit pas pourquoi il se serait servi de noms supposés, pourquoi il aurait eu recours au roman pour flétrir ses ennemis ; il aurait bien mal atteint son but, puisque pour certains commentateurs c’est Néron qu’il a voulu peindre sous les traits de Trimalcion, tandis que pour d’autres ce parvenu vieux et ridicule peut tout au plus être identifié à Tigellin. On ne comprend pas davantage comment il a pu perdre un temps précieux sur des hors-d’œuvre inutiles à sa vengeance, comme, par exemple, la matrone d’Éphèse. Avant de la cacheter, il aurait dû prendre le temps de faire copier sa diatribe, car il est difficile d’admettre que Néron ait poussé l’amour des belles-lettres jusqu’à livrer bénévolement à la publicité un écrit destiné à le tourner en ridicule. Enfin, l’identification des deux Pétrone ne date que du XVIe siècle, et Pithou, qui en est l’auteur, ne la donne que pour une simple conjecture. Comment se fait-il que l’œuvre d’un personnage illustre, illustré en outre par Tacite et traitant par surcroît d’un Néron, ne soit mentionnée ni par Suétone ni par Pline, ni par Martial, ni par Juvénal, et que Quintilien même, si bien informé de tout ce qui s’était écrit avant lui, ait négligé d’en parler. On a allégué, il est vrai, le témoignage de Terentianus Maurus, mais pour le placer sous Domitien il faut l’identifier avec le Terentianus, fonctionnaire en Afrique, mentionné par Martial, ce qu’on fait sans l’ombre d’une preuve. Bien plus, Lac-tance-Placide accuse T. Pétrone d’avoir pris dans la Thébaïde de Stace, qui mourut sous Trajan, l’hémistiche fameux : C’est la crainte d’abord qui créa les dieux. ce qui repousse assez bas dans l’histoire des lettres latines et Pétrone et, par suite, Terentianius Maurus qui le mentionne. Nous n’aurions pas discuté aussi longuement cette hypothèse si elle avait pour seule conséquence d’attribuer à l’auteur de Satyricon une biographie de fantaisie. Mais elle fixe, ce qui est beaucoup plus grave, la date de l’œuvre et par suite, si elle est erronée, elle en fausse radicalement l’interprétation : si T. Pétrone a été contemporain de Néron, ses jérémiades sur la décadence de la poésie et surtout de la peinture ne peuvent passer que pour les déclamations prophétiques peut-être, mais très exagérées, d’un esprit chagrin quoique clairvoyant. N’est-il pas plus beau et aussi plus vraisemblable de voir en notre auteur un dernier adorateur et un dernier représentant de l’idéal classique égaré en pleine décadence et sentant déjà la barbarie proche ? Si T. Pétrone est mort en 66, c’est-à-dire deux ans avant Néron, il a entendu situer son roman sous Auguste ou Tibère, et les mœurs qui s’y trouvent décrites sont celles de ses contemporains. Si cette date est erronée, l’historien qui l’adopte risque de se figurer la Rome des Césars comme déjà rendue à un degré de décadence, de décomposition morale qui, en réalité, n’a été atteint qu’un ou deux siècles plus tard. Enfin, le critique qui fait de T. Pétrone presque un contemporain d’Auguste sera porté à se dissimuler les défauts de sa langue, ceux de son style, ceux de sa poétique. Et cela est si vrai que le suprême argument qu’allèguent les partisans de l’hypothèse que nous combattons en ce moment, c’est la pureté de la langue, la pureté du style, l’élégance classique des vers chez Pétrone. Il nous semble, au contraire, que ses rares qualités ne doivent pas servir à nous dissimuler des défauts assez visibles et même assez gros. N’est-il pas dangereux d’admettre trop facilement au nombre des modèles classiques un écrivain qui, à plus d’un titre, ne le mérite pas complètement, et une erreur de date qui engendrerait un tel aveuglement serait-elle sans conséquence et pour le goût littéraire et pour l’esprit critique lui-même ? N’est-il pas plus intéressant, pour peu que l’hypothèse soit vraisemblable, de se représenter en Pétrone un dévot de la littérature et de l’art antiques se débattant en pleine décadence, subissant cependant, malgré lui, les modes littéraires de son époque et victime parfois à son tour de cette corruption du goût contre laquelle il s’élève. L’opinion vers laquelle nous inclinons a du reste pour elle des autorités anciennes : Henri Valois place Pétrone sous le règne de Marc Aurèle, son frère Adrien sous Gallien, Stabilius, Bourdelot et Jean Leclerc sous Constantin. Enfin Lydio Giraldi le fait vivre sous Julien, ce qui est aller un peu loin : comment, en effet, en pleine bataille religieuse, Pétrone eût-il pu ignorer si parfaitement le christianisme ? On l’a même confondu avec l’évêque de Bologne canonisé dont nous parlions au début de cette étude et qui vivait au Ve siècle. Ce n’est donc point chose facile de lui assigner une date. Mais il ne saurait en aucun cas, à notre avis, être ni le favori de Néron, ni même un de ses contemporains. Comme, d’autre part, il est mentionné par quelques écrivains du IIIe siècle, il n’est guère possible de le faire descendre plus bas que Dioclétien, mais, étant donné surtout ce qu’il dit de la décadence totale de la peinture à son époque, nous inclinons à le placer fort peu avant ce prince. On ne manquera pas de nous objecter la pureté, du reste relative, de sa langue et de son style. Mais les exemples ne manquent pas d’écrivains qui, en pleine décadence, ont su maintenir l’idéal classique.

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