Chapitre 5 : De la mesure dans la disposition des moyens

1652 Words
« L'art de pratiquer la défensive avec à–propos est un préalable indispensable à toute offensive victorieuse. Reconnaître les opportunités stratégiques quand elles se présentent, pour savoir quand avancer et quand reculer, sans ne jamais créer aucune opportunité pour l'ennemi en retour. »( L'art de la Guerre, Sun Zi ) POV : Kē L'air autour de moi semblait gelé. J'avais de plus en plus de mal à respirer. Chaque inspiration semblait glacer ma gorge et mes poumons. Byakko et Seiryu se tenaient devant moi, le regard brûlant de haine. Le grand Byakko s'était penché face à moi. J'avais gardé les yeux au sol, frôlant à moitié l'étouffement. Que faire ? Ils m'accusaient d'une tragédie dont je n'avais aucune idée. Le Shijî parlait de moi comme étant le meilleur stratégiste non seulement parce que je parvenais toujours à guider les généraux à la victoire, mais surtout parce que j'arrivais à limiter au maximum les pertes humaines. Dans une énième tentative pour ne pas mourir asphyxiée par la pression des deux fils du trône qui se tenaient devant moi, j'avais repris une profonde inspiration : lente et calme. « Respire tant que tu peux petite fleur, ce n'est que le début de ta longue agonie... » Au son de la voix de Byakko, mon corps s'était mis à trembler de plus belle. Mon coeur battait à tout rompre. Je connaissais la réputation de ce terrible prince. C'était un guerrier brutal et sanguinaire. Secrètement, les serviteurs de mon clan, m'avaient fait les récits de ses exploits. Certains me semblaient démesurés et irréalisables. Mais maintenant qu'il se tenait devant moi, je commençais à croire toutes les histoires à son sujet. Si le roi m'offrait à lui, j'allais à une mort certaine. J'espérais seulement qu'elle soit rapide et surtout la moins douloureuse possible. Le roi avait frappé dans ses mains. Ce simple geste avait failli m'arracher un cri. « Je ne veux pas perdre de temps. La jeune princesse du Shijî qui se tient ici présente doit prendre pour époux l'un de vous ! Il y a-t-il des volontaires ? Suzaku peut-être ? Genbu ? » Suzaku ? Genbu ? Oui ! Je comprenais où voulait en venir le roi. Je pourrais vivre une vie tranquille auprès de l'un d'eux. Suzaku me laisserait tranquille pour des raisons évidentes et Genbu passerait ses journées en mer ! Quelles options fantastiques pour moi ! Un éclair rouge avait bondi devant le roi. « Excuuuuuseeeeez-moi, Ô vénéré Père ! Mais il ne peut pas y avoir deux beautés fatales dans mon fief ! Le sud du Sì Shòu ne connaît qu'une reine ! » Suzaku ouvrit d'un geste sec son éventail rouge et s'éventa théâtralement avec. Je serrais mes poings de sorte à ce que mes ongles s'enfoncent profondément dans ma chair. Je ne voulais pas rire et manquer de respect à l'un d'eux... et surtout pas à celui qui se tenait toujours accroupi devant moi. Je commençais à retrouver une respiration normale. Oui... Genbu serait un mari formidable par son absence ! Genbu s'était avancé. « Moi, Genbu des mers du Nord accep... » « Silence... » la voix gutturale de Byakko avait fait vibrer la salle du trône. « Quelle est cette hérésie ? » Tous les regards s'étaient tournés vers nous. « Byakko, tu ne peux aller à l'encontre d'une négociation de paix entre deux nations. » Le roi avait parlé calmement mais on pouvait sentir que l'intervention de son fils l'avait mis mal à l'aise. Byakko avait penché sa tête de côté...telle une bête magnifique qui toisait sa proie avant de lui porter de coup de grâce. « Les règles Père... vos fils aînés n'ont pas d'épouse et vous pensez en priorité à vos plus jeunes ? Hérésie... » Il est vrai que selon le Livre des rites, il est d'usage qu'un père marie ses fils en fonction de leur âge. J'espérais que le roi parviendrait à imposer sa volonté à ses fils... même si marier les plus jeunes avant les aînés allait à l'encontre des coutumes. Le roi avait repris « Byakko, ton frère aîné n'a même pas fini les rites mortuaires de son épouse... je ne comptais pas lui imposer une femme de si tôt. » « Et je ne compte pas en prendre une avant d'avoir fait le deuil de la moitié de mon âme, ô vénéré Père. » Seiryu n'avait pas bougé de sa place. Il continuait à me regarder, je pouvais le sentir, avec mépris. Je venais de comprendre. « Non. Surtout pas Byakko. Par pitié. » Je voulais prononcer ces paroles mais aucun son ne semblait vouloir sortir de mes lèvres. Le roi avait repris « Voici cinq années que j'insiste fortement pour que tu prennes une épouse ! Tu as toujours refusé de te plier à mes ordres sous prétexte que tu n'avais pas le temps à cause de la menace constante du Yaoguai ! » Byakko s'était redressé lentement. J'étais en admiration devant la maîtrise qu'il avait de son corps. C'était une montagne de muscles mais ses mouvements étaient d'une fluidité incroyable. On eut dit un tigre se mouvant avec aisance... impérial et terrible. Il s'était à présent retourné. Je gardais les yeux rivés au sol. « Moi, Byakko... » J'avais à nouveau cessé de respirer. Non, non, non... « Attends une seconde mon fils ! » le roi avait interrompu le tigre dans sa lancée. « As-tu pleine conscience de ce que tu es sur le point de faire ? » « Oui...Je réclame ce qui m'est dû. » Genbu s'était interposé : « Père ! Il est plus que temps pour moi de prendre une épouse et de trouver port où laisser tremper mon navire ! » Nous avions tous grimacé à la métaphore. Suzaku l'avait coupé « Tu es un idiot, ô légendaire Genbu... » Genbu avait repris : « Moi, Genbu... » Une sorte de rugissement avait fait vibrer le palais. Byakko avait saisi Genbu à la gorge et l'avait soulevé de terre. « Prononce encore un mot petite tortue et je t'arrache la gorge avant de la servir à mes chiens ! Elle est à MOI ! » Je n'arrivais plus à maîtriser les tremblements de mon corps. Pourquoi s'obstinait-il à me réclamer ? Qu'avais-je bien pu faire dans une autre vie pour mériter cela ? La voix du roi avait résonné autoritaire : « Lâche ton frère Byakko ! Je ne tolérerai aucun acte de violence dans le palais ! » Byakko avait libéré Genbu de son emprise. Ce dernier s'était reculé et massait sa gorge. On pouvait y voir la trace profonde des doigts du guerrier. A ma grande surprise, la scène n'avait choqué personne d'autre. Le roi s'était appuyé sur un des côtés de son trône. « Qu'en penses-tu, ô princesse du clan Méigui ? À quel fils souhaites-tu être offerte ? Parle sans crainte. » Byakko s'était retourné et s'était accroupi devant moi. Je devais faire un effort surhumain pour pouvoir parler. « Je... je ne suis qu'un otage pour maintenir la paix. Je n'oserai prendre une décision qui ne m'appartient pas... » J'avais pu voir le poing de Byakko se serrer. J'avais croisé son regard et avait été médusée. J'avais baissé les yeux instantanément. Je n'osais plus lever la tête et prendre le risque de replonger dans la noirceur abyssale de son âme. J'en avais frémi. Le Tigre ne me quittait plus des yeux. Sans se retourner, la voix du fauve avait encore retenti, menaçante : « Je réclame la Princesse du clan Méigui pour propriété ! Je massacrerai quiconque osera prendre ce qui me revient de droit ! » Le roi s'était levé « Que dis-tu ? » Byakko s’était lentement redressé. Il s’était retourné, menaçant, vers son père et roi. « Essayez de m'en empêcher, ô vénéré Père, et je me ferai un plaisir de décapiter chacune des femmes de votre harem. Paraît-il que prendre un bain dans le sang de femmes fraîchement empalées apporterait force et immortalité... » « Comment oses-tu !? » la voix du roi était tremblante. Le harem du roi avait un nombre de concubines qui s'élevait à cent âmes. Personne ne doutait du passage à l'acte de Byakko. « Pour chaque heure où vous me priverez de mon bien, je ferai brûler un village... imaginez Père ! Les corps calcinés de vos si chers et si précieux sujets : femmes, enfants, vieillards... » Il avait ri avec excitation. Si personne ne prenait parole, le Sì Shòu allait vers le g******e programmé de son peuple. Un m******e colossal pour une femme ! Quelle démesure ! Je m’étais jetée en avant et avais attrapé le poing de Byakko à deux mains. J'avais senti que mon geste l'avait surpris. Je me tenais tremblante, les doigts tentant de maintenir prisonnières les rugueuses paumes du Tigre. Je tournais la tête vers le roi et essayais de m’exprimer sans vaciller. « Moi..., Kē, Princesse du Shijî, stratégiste du Général Rouge, fille du clan Méigui, consent à être offerte à quiconque me réclamera ! » Byakko avait délicatement repoussé mes mains. La douceur de son geste m’avait surprise. Sa main droite avait saisi et levé lentement mon menton. Je baissais instinctivement mon regard vers le sol. « Ne baisse plus jamais les yeux devant qui que ce soit, petite fleur. » Byakko m'avait murmuré ses paroles. Nos regards s'étaient à nouveau croisés et j'y avais vu des flammes incandescentes. Je voulais m'enfuir mais j'étais clouée au sol par une force inconnue. Il détacha son regard de moi et s'était tourné vers le Roi et les trois autres princes. « Moi, Byakko, le Tigre Blanc, Seigneur de l'Ouest du Sì Shòu, deuxième fils du trône, réclame mon dû ! » Pour la première fois depuis longtemps, une larme avait coulé le long de ma joue. Quel avenir allais-je connaître dans l'antre du tigre ?
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