IJ’avertis ceux qui, en ma compagnie, chemineront au travers de cette chronique éthiopienne : le guide qu’ils vont suivre n’est pas un érudit. Seulement un chasseur, un voyageur de l’école du bon Hérodote, contant, sans parti pris, ce qu’il a vu, répétant ce qu’il a entendu. Aux savants techniques de choisir entre les traditions et les documents qu’on leur apporte ; à eux de les grouper en systèmes qui ne respectent pas toutes les conclusions de leurs devanciers, qui ne s’imposeront pas sans retouches aux inductions de leurs successeurs.
Sans sortir de la modestie qui convient à un homme de route, je remarque que, au cours d’une vie moyenne, j’ai assisté au total effondrement de la Légende. Je l’ai vue s’écrouler dans l’éclat de rire de la critique positiviste. On la saccageait avec une espèce de rage. On ne lui savait même plus gré de sa grâce poétique. Elle avait, paraît-il, été trop nuisible. Après cette éclipse, avec tous les enfants, tous les jeunes gens de ma génération, j’ai marché dans les chemins desséchés de la critique pure. Je ne dis pas que cette discipline ne nous a pas été bienfaisante, mais, à la façon d’un traitement dont le malade s’affranchit après la convalescence.
Sur la fin de cette longue journée, avant que pour moi et pour ceux de ma génération la nuit se refasse, le rayon doré de la Légende, son azur, ses pourpres, réjouissent à nouveau les grisailles de notre ciel. On s’avise que l’on a eu tort de fermer les yeux toutes les fois qu’elle éclairait l’horizon, de se boucher les oreilles toutes les fois qu’elle chantait sur les lèvres de la foule. On recommence à convenir qu’il y a de la vérité dans ses réminiscences d’aïeule. On reconnaît que la tradition colportée enferme peut-être autant de vérité que les chartes, les inscriptions, les parchemins. S’ils sont la lettre, elle est l’esprit.
N’est-ce point d’hier qu’en traitant par les procédés de la science moderne les poussières de la mine, nos prospecteurs tirent souvent plus d’or que de la poursuite du filon ?
Je ramasserai ici sans critique cette poussière de la Légende Dorée et je demanderai à nos savants de l’analyser encore une fois.
Toutes les chances de connaître la vérité sur les origines des peuples qui se développèrent entre la Mer Rouge et le Nil ne tiennent point peut-être dans des hypothèses un peu surannées. N’a-t-on pas commis une injustice en écartant a priori le témoignage que les Éthiopiens rendent sur eux-mêmes, dans ce procès historique, où, si souvent, en l’absence de documents irréfutables, il faut se contenter de recueillir la tradition et de la filtrer ?