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1 LES INITIALES DE LADY DEX— Assassin ! Ce cri déchira le silence de la nuit et attira l’attention d’un habitant de Brakely Square qui ne dormait pas. M. Grégory Farrington, souffrant d’insomnie, posa alors son livre et fronça du sourcil. Il quitta son fauteuil, revêtit une ample robe de chambre de velours et s’approcha de la fenêtre. Il entr’ouvrit légèrement ses volets. Un léger brouillard régnait dans la rue déserte et les lampes électriques n’étaient plus que des taches lumineuses. Cependant, M. Farrington aperçut distinctement deux hommes devant sa porte. Ils discutaient âprement et gesticulaient surtout beaucoup, à la manière des gens de basse classe des peuples méridionaux. À un certain moment, ils parurent en venir aux mains, le canon d’un revolver brilla dans les ténèbres. — Oh ! oh ! fit M. Farrington. Il se trouvait seul. Le valet de pied, le cuisinier, les femmes de chambre et le chauffeur étaient tous à un bal de gens de maison. Les deux hommes criaient de plus en plus fort. — Voleur ! fit l’un deux en français. Est-ce que je vais être privé de… Le reste de la phrase se perdit. Il devait y avoir un agent de service à l’autre extrémité du square, et M. Farrington regardait anxieusement de tous côtés dans l’espérance de voir surgir le représentant de la loi. En attendant, il descendit dans le hall et, par l’ouverture de sa boîte aux lettres, il put entendre plus distinctement ce que disaient les deux noctambules. — À quoi bon ? disait l’un. Il y avait assez d’argent dans cette affaire pour contenter vingt personnes ! Quant à lui, ah, non, jamais ! Il est malheureux que nous nous soyons rencontrés ainsi, tout à fait par hasard, mais je vous assure que je n’ai jamais songé à vous trahir, vous ! … M. Farrington, mordillant son cigare, écouta longuement la conversation qui suivit. De quelques mots et allusions, il conclut que ces deux hommes travaillaient ou avaient travaillé pour Montague Fallock, le fameux maître-chanteur, recherché par toutes les polices d’Europe. Sans doute, ces deux-là avaient-ils comploté, chacun de son côté, de dénoncer ou de faire chanter Fallock à son tour. Le premier cas était plus vraisemblable. M. Farrington réfléchit en effet que M. T. B. Smith, Chef de la Sûreté avait son domicile particulier dans la même rue ; et l’on savait, par les journaux, qu’il était spécialement chargé de rechercher Fallock… — Je vous répète, dit encore un des hommes, que j’ai rendez-vous avec lui… Croyez-moi ! — Nous irons ensemble, répondit l’autre. Je ne me fie à personne, encore moins à un misérable Napolitain… * L’agent de service Habit n’avait rien entendu de la querelle, ainsi qu’il en témoigna plus tard devant son chef, M. T. B. Smith. Mais, soudain, il perçut deux coups de feu presque simultanés, suivis d’un long coup de sifflet ; il se précipita en faisant retentir son sifflet de police. Il trouva deux cadavres étendus sur le pavé devant la porte de M. Farrington. Celui-ci se tenait tout frissonnant sur son seuil, un sifflet aux lèvres. Dix minutes plus tard, M. T. B. Smith arriva sur les lieux où déjà une foule de curieux s’amassait tandis que à toutes les fenêtres de la rue se penchaient des figures inquiètes. M. Smith examina les deux morts. Ils n’étaient visiblement pas Anglais. L’un d’eux était très correctement, presque richement vêtu ; l’autre portait un smoking de garçon de café sous un long pardessus. Les cadavres gisaient côté à côte, l’un face contre terre (l’agent l’avait remis dans cette position après avoir constaté qu’il avait cessé de vivre), et l’autre sur le flanc. La police écarta les curieux pendant que l’on procédait aux premières investigations et constatations. M. Smith découvrit un revolver sur le sol, et un autre sous le corps de l’homme tombé sur le flanc, puis il questionna M. Farrington. — Si vous voulez bien entrer chez moi, dit le millionnaire tremblant toujours, je vous dirai tout ce que je sais. M. Smith eut un léger reniflement en entrant dans le hall, mais ne dit rien. Son sens olfactif était très développé, mais c’était un homme de tact. Il savait, comme tout le monde, que M. Farrington était un nouvel habitant du quartier et jouissait d’une immense fortune. — J’espère, dit-il, que Mademoiselle votre fille n’aura pas été trop effrayée… — Je ne suis que le tuteur de Doris, répondit M. Farrington. Elle n’est pas à la maison, heureusement. Elle est en ce moment, chez notre amie, Lady Constance Dex, dont vous avez peut-être entendu parler ? M. Smith fit un signe de tête affirmatif. — Je ne puis malheureusement vous donner que d’assez maigres informations, reprit M. Farrington. Il était encore tout pâle et frémissant, ce qui est assez naturel quand on vient d’être témoin d’une double mort en pleine nuit. J’ai entendu le bruit d’une querelle, je suis descendu et comme j’hésitais à ouvrir, j’ai entendu deux coups de revolver à peu près simultanés. Je suis alors sorti et ai aperçu ces deux cadavres tels que les a trouvés l’agent de police. — À propos de quoi ces deux individus se querellaient-ils ? M. Farrington hésita. — J’espère bien, dit-il, n’être pas obligé de comparaître comme témoin ? Le chef ne répondit pas. — Eh bien, reprit le millionnaire, ils se disputaient à propos de ce notoire criminel, un certain Fallock, si je ne me trompe, que l’on recherche partout. Et l’un d’eux menaçait de le dénoncer… — Bien, dit M. Smith d’un air convaincu, puis tout à coup : Et le troisième ? — Le troisième ? balbutia M. Farrington. — Oui, celui qui a tué les deux autres, car enfin, s’il y a quelque chose de vraisemblable au monde, c’est qu’ils ont été tués tous deux par une troisième personne… Vous savez qu’aucune cartouche ne manquait aux deux armes trouvées sur le terrain ; en outre, un réverbère a été effleuré par une balle que ni l’un ni l’autre n’a pu tirer. J’en conclus donc à la présence d’un troisième personnage. Me permettez-vous de faire des recherches chez vous ? — Je n’y vois aucun inconvénient, répondit le millionnaire en souriant. Par où voulez-vous commencer ? — Par le rez-de-chaussée… où se trouve, n’est-ce pas, la cuisine ? Le maître de la maison conduisit l’officier de police. Il alluma l’électricité. Rien, dans ce domaine du maître-queux absent, ne révélait le passage d’un intrus quelconque. — Voici maintenant la porte de la cave, indiqua M. Farrington, et voilà celle de la dépense d’où l’on a une sortie sur la cour ; elle est fermée à clef. M. Smith appuya sur la poignée et la porte s’ouvrit. — En tout cas, la clef n’avait pas été tournée, dit-il en passant dans l’étroit corridor. — Un oubli du valet, sans doute, fit M. Farrington d’un air étonné. J’ai pourtant donné les ordres les plus précis à ce sujet ; mais vous trouverez la porte de service sur la cour verrouillée. M. Smith s’avança et alluma sa lampe de poche. — Il ne semble pas que vos ordres aient été exécutés, dit-il. En fait, cette porte est entrebâillée. Farrington poussa un cri de surprise. — Entrebâillée ! répéta-t-il. Cependant le policier sortait de la petite pièce qu’un escalier de pierre reliait à la rue. Il projetait tout autour de lui le faisceau de lumière de sa lampe électrique. Il aperçut à terre un petit objet brillant et le ramassa. C’était un de ses minuscules flacons à capsule d’or que l’on trouve dans les sacs à main des femmes riches. Il le porta à ses narines. — C’est bien cela, dit-il. — Quoi ? — C’est le même parfum que celui qui m’a frappé dans le hall. Et parfum assez peu commun. Il le sentit à nouveau. Ne serait-ce pas celui de votre pupille ? Farrington secoua vivement la tête. — Doris ne pénètre jamais dans les domaines de la valetaille, dit-il. D’ailleurs elle déteste tous les parfums. M. Smith glissa le flacon dans sa poche. La visite du reste de la maison ne révéla aucune trace du troisième personnage ; et, après avoir passé partout, M. Farrington invita le policier à s’asseoir un moment dans son cabinet de travail. — Que pensez-vous de cette affaire ? lui demanda-t-il. M. Smith ne répondit pas tout de suite. Il quitta son fauteuil et alla à la fenêtre : Le rassemblement qui s’était formé dans la rue s’était dispersé. Le brouillard s’épaississait de moment en moment. — Je crois, dit-il enfin, que je suis enfin sur les traces de Montague Fallock. M. Farrington le regarda bouche bée. — Vraiment ? fit-il d’un air un peu incrédule. — Vraiment. — Alors, ces portes ouvertes en bas… soupçonnez-vous que c’est à Fallock qu’elles ont livré passage ? M. Smith inclina la tête. — Il avait essayé de me faire chanter, reprit le millionnaire, mais je ne puis croire… Le policier se leva. — J’ai maintenant une tâche ennuyeuse devant moi, dit-il, il me faut aller fouiller ces deux cadavres. M. Farrington frissonna. — Horrible, dit-il. Cependant M. Smith considérait le riche appartement aux meubles de prix, la cheminée de marbre blanc, les tapis d’Orient, les merveilleux tableaux qui l’ornaient. Sur le bureau du maître de la maison se trouvait, dans un cadre d’argent, la photographie d’une jeune femme d’une rare beauté. — Excusez-moi, dit le policier, s’en approchant, c’est le portrait de… — De Lady Constance Dex, répondit M. Farrington, avec qui nous sommes très liés, ma pupille et moi. — Est-elle en ville ? — Non, elle est actuellement à Bradley où habite son frère, Recteur de la paroisse. — Vous dites, Bradley ! fit M. Smith, le front plissé comme si ce nom lui rappelait quelque chose… Mais, n’est-ce pas dans cette localité que se trouve la fameuse « Maison Magique » ? — Oui, je crois en effet en avoir entendu parler. — C. D. dit encore le policier en s’en allant. — Comment ? Que dites-vous ? — Je remarque que ce sont là les initiales de Lady Constance Dex. — Oui, mais pourquoi ? — Ce sont celles qui figurent sur le flacon que j’ai ramassé tout à l’heure.
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