Humilité

1576 Words
J’ai de la difficulté à laisser Julian partir.  J’ai presque l’impression de revivre la nuit où il a repris le chemin pour Pittsburgh sans savoir quand nous allions nous revoir.  Je me trouve ridicule de réagir de manière aussi émotive puisque notre appartement n’est qu’à quelques minutes de voiture et que nous nous retrouverons au Munitum dès demain.  Détestant me sentir malheureuse, Julian entretient la conversation par télépathie avec moi, supposément pour éviter que je m’ennuie trop de lui.  Je sens bien qu’il n’apprécie pas plus que moi la situation.  Après tout, c’est lui qui est revenu cinq fois sur ses pas pour m’embrasser avant de partir pour de bon.    -          Comme je te disais avant que tu ne me distraies en te déshabillant, nous allons devoir rencontrer le Conseil des Sages.  La Druidesse souhaite avoir leur approbation avant de m’accepter au sein de la Smala.   -          Moi aussi ?    -          Tu fais partie de moi, Sweety. Tu es une Purifiée et ça pourrait inquiéter ses semblables.  Elle veut se montrer transparente avec eux.    -          Nous avons déjà le soutien de la Déesse, lui rappelé-je.  N’est-ce pas suffisant ?   Je me doute bien que la rencontre avec le Conseil des Sages ne sera qu’une formalité puisque j’ai eu cette rencontre avec lui.  Je tente d’oublier immédiatement ce détail, malheureusement, un peu trop tard.   -          Tu penses encore à cet homme, bougonne Julian.  Pourquoi refuses-tu de m’en parler ou même d’y penser de façon claire ?    -          Parce que c’est sans importance, mon chéri.  Cette personne est venu pour me rassurer moi.  C’est tout.    Je suis plus ou moins certaine que cette affirmation passerait le test de la compétence « Vérité Nue » de la Professeure Jacobs.  Heureusement, Julian abdique et revient au sujet initial de notre conversation.   -          Si j’ai bien saisi la stratégie de la dirigeante de la Smala, elle se servira de la bénédiction de la Déesse comme d’un atout en manche en cas d’hésitation ou d’un refus catégorique du Conseil.  Elle semble toutefois confiante que tout se passe bien.  Elle m’a d’ailleurs appris que la Pythie en chef t’a déjà rencontrée et que tu as fait bonne impression.  Excellente impression même.  Tu aurais une lettre de mention qui témoignerait de ton humilité.   Son ton est moqueur.  Ce n’est effectivement pas la première qualité que l’on remarque chez-moi.  J’ai moi-même été surprise de cette référence en lisant la lettre lorsqu’on me l’a remise lors du bal de clôture de l’Assemblée à Philadelphie.  Puis, j’ai compris que je ne prends jamais les Enfants de Gaya de haut comme les autres Purifiés.  Chaque fois que je rencontre un membre de la Smala, je lui accorde le respect dû à son rang et à son titre oubliant le mien.  Devant eux, je ne suis qu’une Immortelle.  Je raconte à Julian comment j’ai impressionné la Pythie, Rosa Harding, en camouflant ma robe de Première Prêtresse sous un tissu brun et en refusant obstinément de m’asseoir sur la chaise placée devant elle, préférant m’installer sur le sol.   -          Pourquoi t’asseoir sur le sol ? me demande Julian, intrigué.   -          Les Pythie et les Aruspi accueillent leurs visiteurs assis sur d’immenses coussins, placés à même le sol ou sur une plate-forme basse.  Si je m’étais assise sur la chaise que l’on m’offrait, j’aurais été plus haute qu’elle, la forçant à lever la tête pour me parler.  Je trouvais ça logique d’être à son niveau pour discuter, surtout qu’elle me faisait l’honneur d’accepter de me rencontrer sans y être obligée.    -          Tu la rencontrais pourquoi ?   -          Pour m’assurer que notre réunion secrète avec les Enfants de Gaya se passerait bien.  Il y avait des rumeurs de rébellion à la suite de l’attaque de Lucas et je voulais m’assurer que nous ne risquions rien.  Elle est de ceux qui croient que nous formons l’avenir de notre société.  Tu savais qu’elle est la mentor de notre Druidesse ?   -          Je l’ignorais.  Et toi, tu sais que tu me fascines, petite guerrière sociale qui impressionne les Sages et les Grands de ce monde ?  Est-ce que tu réalises l’impact que ton passage à cette Assemblée a eu ?   Je frissonne malgré la fierté qui se dégage des propos de Julian.  Je comprends qu’il fait principalement référence à ma rencontre avec la Pythie, qui a mené à une lettre de mention.  Je vois aussi qu’il pense au procès du Père de Cassie menant à l’adoption de ma Sirène chérie.  Puis je ressens tout l’amour qu’il me voue.  Après tout, nous nous sommes rencontrés à cette Assemblée.  Mais je ne peux m’empêcher de penser que c’est aussi là que j’ai dérangé des Immortels et que ces êtres se sont vengés, s’attaquant à lui, nous détruisant presque.    -          Vous semblez bien soucieuse, jeune Prêtresse, me dit Viktor, me faisant sursauter.    Je n’ai pas vu qu’il m’attendait près de mes appartements.    -          C’est du passé tout ça Sweety, reprend Julian, sentant probablement mon malaise.    -          N’empêche que tu as raison, lui rétorqué-je à voix haute, en faisant un signe à mon Évêque pour qu’il comprenne que je parle également à Julian, mon passage à cette Assemblée semble avoir affecté plusieurs toiles autour de nous.    -          Il faudra étudier ta toile en profondeur dans les semaines à venir, ainsi que celle de Julian et de ta Coterie, me conseille mon Ancien.  Les événements des dernières nuits nous démontrent que vos ennemis n’ont pas pris de pause.  Nous devons être pro-actifs désormais.    -          Bien votre Éminence.  Julian, je dois te laisser.  Viktor m’attendait devant ma chambre.   -          Ton placard à balais tu veux dire.   -          Non, ma chambre, répété-je en souriant.  Celle où tu t’es réveillé avec le museau de Farkas sur le nez, le taquiné-je.    -          J’ai de meilleurs souvenirs que celui-ci en tête, râle Julian.   -          J’essaie de ne pas m’enflammer devant mon Ancien et tu ne m’aides pas du tout Skugga d’amour, le sermonné-je, sentant mes jambes ramollir alors qu’il m’envoie une tonne d’images de nous en pleine action.    Je l’entends rire avant qu’il ne mette fin à la communication.  Ce qu’il peut être gamin parfois.  Je suis soulagée de constater que le Nyama près de moi semble perdu dans ses pensées.  Je m’apprête à entrer dans ma chambre lorsque Victoria apparaît près de nous.    -          Ho ! J’en connais une qui a fait la fête avec son amoureux, s’exclame-t-elle en riant.    -          Je… Non, m’écrié-je, replaçant le haut de ma robe sur moi.    Ma vive réaction a évidemment sorti mon Évêque de ses réflexions.  Il me regarde des pieds à la tête avec suspicion.  Je ne peux nier que ma robe est ouverte.  Je dois donc rapidement trouver une demi-vérité.  Je ne peux quand même pas avouer que nous avons célébrer notre anniversaire dans les marches devant l’autel.  Viktor serait bien capable de me les faire laver à la brosse à dent pendant la prochaine décennie.    -          J’ai eu le choix entre gérer un amoureux jaloux de sentir le sang d’un autre homme sur moi ou de me déshabiller, leur expliqué-je en entrant dans ma chambre et retirant immédiatement le haut de ma robe.    Viktor, qui me suivait, s’arrête net et détourne rapidement la tête tandis que Victoria me poursuit, avide d’en savoir plus.    -          Et tu vas me faire croire que ton amoureux jaloux est resté chaste en te voyant dans cette tenue légère, jeune succube, en ajoute-t-elle, toujours hilare.    -          Nous sommes restés habillés, lui dis-je sans hésiter.  Tu sais bien que je suis incapable de remettre cet objet de torture moi-même.  Cesse de me chercher des poux et viens dans ma penderie pour m’aider à me libérer de ce corset.  Je suis certaine que ton cadran interne te crie que le soleil va se lever bientôt, Skugga curieuse.   Je vois que Viktor hésite à quitter mes appartements.  J’enfile rapidement une robe de chambre, consciente qu’il n’aime pas que je sois indécente en sa présence.   -          Je suis en sécurité ici, le rassuré-je.   -          Je peux rester avec elle, lui crie Victoria de ma penderie.    Il grommelle quelque chose avant de partir, claquant la porte.  J’ai de la peine pour lui.  Je n’aime pas savoir qu’il gère difficilement son esprit surprotecteur.  Il serait plus simple pour lui de simplement accepter la situation plutôt que la combattre.    -          Ses émotions ne t’appartiennent pas, tu sais, me rappelle Victoria.   -          Ça m’attriste qu’il considère une force comme une faiblesse.  Ses blessures sont beaucoup plus profondes que les miennes pour que l’amour de son prochain lui semble aussi difficile à accepter.  Aimer ne devrait jamais être associé à de la faiblesse.  C’est une émotion tellement puissante.   -          Ton optimisme est impressionnant, Rébecca.  Tu es la mieux placée pour savoir que l’amour peut détruire.  Pense à Julian et toi.   -          C’est notre lien mystique qui me détruira si Julian meurt, non l’amour que je ressens pour lui, soupiré-je.  La peine, la colère et la douleur que nous éprouvons à la mort d’un être cher peuvent nous amener à poser des gestes aux conséquences irrémédiables.  Pas l’amour que nous avons offert à cette personne, bien au contraire.  C’est ce sentiment qui va nous permettre de nous relever et de poursuivre notre immortalité.  Parce que l’amour est source de vie, même pour nous, créature de la nuit.   -          Wow ! Vous tenez votre prochaine homélie Prêtresse Duhamel.     Elle a probablement raison.  Nous nous installons dans mon lit tout en papotant comme deux adolescentes jusqu’au lever du soleil.  
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