Corbeau

1687 Words
Je fixe Julian dans les yeux, comme si je voulais que son esprit me donne une réponse.  Pourtant, tout ce qu’il a en tête est de me protéger en me ramenant au Munitum.  Je réfléchis à ce que nous savons sur le serpent.  Il a écrit qu’il observait le colibri et qu’il amadouait le corbeau.  Amadouer le corbeau… Le corbeau.   -          Viktor est le corbeau ! m’exclamé-je, tandis que Julian me tire de force vers la Chapelle.  Il l’a tellement amadouer qu’il l’a mis en cage.   -          La Prison, comprend Julian en soupirant.  Nous devrions aller chercher… du renfort.   Mais je suis déjà partie au pas de course surnaturelle pour la troisième fois de la nuit.  Je vais devoir penser boire d’ici la fin de la nuit si je veux me réveiller demain.  Je sais maintenant que je suis le colibri puisque je suis la seule n’ayant pas été touchée par le drame du bureau de l’Évêque.  Je constate avec stupeur que je suis la seule Purifiée se promenant librement à Montréal.  Je souhaite ardemment retrouvé mon Ancien et les autres membres de ma Congrégation entre les murs d’une cellule.  Julian me rattrape.   -          Arrête, me supplie-t-il.  Si Lormier est là, il va te tuer.    -          Il ne peut pas.  Rappelle-toi ce qu’il écrit toujours dans ses lettres.  Il ne peut nous faire de mal.  Si je suis vraiment le colibri, il ne peut rien me faire.   -          Et si tu ne l’es pas.   Je ne lui réponds pas, réalisant que je n’ai pas le droit de me tromper.  J’ouvre la porte de la première cellule.  Viktor est là, menotté, enchainé au mur.  Il lève à peine la tête en entendant le bruit que nous faisons en entrant.  Il semble si faible, prostré ainsi sur lui-même.  J’explique à Julian où sont cachées les clés d’urgence dans la salle de contrôle.  Il revient rapidement.  Viktor n’a toujours pas bougé.  Il murmure quelques mots en hongrois lorsque je m’approche doucement de lui.   -          Tu es vraiment là, Rébecca, réalise-t-il, stupéfait.   -          Oui, votre Éminence.   Je le détache, sans le regarder.  Je lui retire toutes les entraves.  Il reste prostré sur le sol.  Je m’accroupis près de lui.   -          Vous devez boire, votre Éminence, lui conseillé-je en lui tendant mon poignet.   J’ignore pourquoi mais il m’attire plutôt à lui pour me mordre dans le cou.  Julian ne peut retenir un grognement sourd en le voyant me coller d’aussi près mais garde toutefois ses distances.  Nourrir un Immortel n’est vraiment pas comme je me le suis imaginé.  D’abord, je ne ressens aucune attirance pour Viktor et aucun jeu de séduction n’a pimenté l’expérience.  Sa morsure me fait mal et j’ai l’impression qu’il me retire de l’énergie vitale ce qui est effrayant, surtout s’il ne s’arrête pas.  Mal à l’aise, je lui fais signe qu’il doit cesser de s’alimenter si je veux encore tenir debout, surtout que je sens que la compréhension de Julian commence sérieusement à faiblir, d’une part de le savoir si près de moi et de l’autre parce que mon état physique l’inquiète.  Je sais qu’il aurait aimé me prendre dans ses bras, mais Viktor ne semble pas vouloir me lâcher pour autant.  Il ne boit plus, mais il me garde contre lui pendant de longues minutes.    -          J’ai cru qu’il t’avait tuée toi aussi, murmure mon Ancien lorsqu’il se recule enfin, pour me caresser la joue de son pouce.   Une larme roule sur sa joue.  Je la fixe, le temps de comprendre l’ampleur de ses paroles.   -          Vous avez dit « toi aussi ».  Qui a-t-il tué ? demandé-je par principe car je connais déjà la réponse.   -          Tous, Rébecca.  Il les a tous tués, m’avoue Viktor.  Devant mes yeux, pour me punir d’avoir vengé Balint et Katalint en détruisant les Purifiés de Bavière, les protégés de Reiner.   Ma bête rugit.  Je fais un effort surhumain pour la calmer, pour garder le contrôle.  Je sens les bras de Julian entourer mes épaules et je me réfugie contre lui.  Je hurle ma rage contre son torse.  Il est mon roc.  À ses côtés, je peux m’effondrer, je sais que je ne perdrai pas complètement pied.  Je pleure ma peine pendant plusieurs minutes.   Viktor attend que je me calme avant de nous inviter à le suivre, cherchant à comprendre comment nous l’avons trouvé.   -          Vous aviez des doutes, non, des certitudes sur lui et vous avez négligé de venir m’en parler, nous reproche notre Ancien en soupirant avec agressivité.  Puis il se ravise en grognant : Il est vrai qu’il fut un temps où je ne t’aurais pas écouté, Rébecca.  Jusqu’à ce que je constate que nos jeunes disciples se tournaient toujours vers toi.  Leur confiance t’était toujours acquise et plus forte que jamais.   -          J’ai tout fait pour les rediriger vers Sébastien et Mariko.  Mais…   -          Mais tu es LEUR Première Prêtresse et tu le seras toujours pour eux, raisonne l’Évêque.    -          Tu vois, je te l’avais dit, me sermonne Julian.  Tu aurais dû aller dénoncer Lormier quand il t’a flagellée lors de ta confession.   -          Il t’a fait quoi ? s’étrangle Viktor, outré.   -          J’avais un tantinet exagéré mes péchés, sans justifier un tel geste, expliqué-je.  C’est ce qui nous a permis de découvrir qu’il n’était pas ce qu’il prétendait être.   -          Toujours sans nous en parler, me reproche une fois de plus le Nyama, le regard noir.   Je ne peux que lui donner raison.  Si j’avais pris sur ma crainte de le déranger dans son droit de m’en vouloir, nous n’en serions peut-être pas là aujourd’hui et je ne pleurerais pas autant de gens que j’aime.  J’ouvre la bouche pour demander pardon lorsque Julian révèle une information que j’ignorais complètement.   -          La Coterie a tenté de prendre rendez-vous avec Monseigneur pour l’aviser de la situation a plusieurs reprises.  Il a malheureusement ignoré leurs demandes.  Tout comme il a laissé les nombreux rapports du Colonel Dorken aux oubliettes.   Je suis abasourdie.  Je vois Viktor plisser des yeux.  Il accélère le pas.  Le Munitum semble en ébullition à notre arrivée.  Nos guerriers sont dans la grande salle devant le Maréchal O’Sullivan et écoutent ses instructions.  Je remarque que Cassie n’y est pas.  Elle doit travailler.  Alors que je marche derrière l’Évêque sans trop réfléchir, le Cerbère du Munitum m’intercepte, me rappelant que je n’ai pas le droit d’être en ces lieux.  Je bégaye des excuses, mal à l’aise.  Réalisant ce qui se passe, Viktor se plante devant Monsieur Jdanov et le regarde droit dans les yeux.    -          Laissez MA Première Prêtresse, lui dit-il fermement.  Vous la touchez et vous aurez affaire à moi.   Intimidé, le pauvre homme lève les mains en signe de reddition.  Je jette un œil vers Julian, estomaquée.  Viktor vient de m’appeler SA Première Prêtresse devant tous les citoyens présents.  Je n’en reviens tout simplement pas.  Il nous fait signe de le suivre jusqu’à l’avant de la salle.    -          Votre Éminence, je ne…   -          Rébecca, tu l’as toujours été, me coupe-t-il, devinant ce que j’allais dire.  Ce n’est pas qu’un titre pour toi, c’est ta façon d’être.  Tu ES une Prêtresse.  Tu es la Révérente Mère de cette ville.  Notre orgueil nous aura couté bien cher.   Il nous ordonne ensuite de l’attendre près de l’estrade où trône le Roi.  Je ne me suis pas retrouvée aussi près de Monseigneur depuis ma flagellation.  Sans le vouloir, je suis prise de tremblements incontrôlables.  Julian me prend dans ses bras pour me réconforter.  Tout le monde me regarde.  Je me sens de plus en plus mal à l’aise.  Je fige sur place lorsque j’entends le plus vieux de nos Anciens hurler le nom du Maréchal.  Sa voix vacille entre sa tonalité humaine et vampirique.  J’entends certains citoyens murmurant qu’il ne fait cela que lorsque je suis dans les parages.  Julian pousse un grognement sourd en leur lançant un regard menaçant.  O’Sullivan arrive près de nous au pas de course.   -          Je prends les commandes, rugit Monseigneur en se levant, nous surprenant tous.  Ce Molaĩ n’aurait jamais dû s’en prendre aux Purifiés de ma cité.   Il se dirige ensuite vers les guerriers, imité par le Maréchal.  Viktor revient vers nous.   -          Veillez sur elle, Julian.  Elle est la seule qui me reste, lui ordonne-t-il avec douceur.    -          N’ayez crainte, votre Éminence.  Il ne lui arrivera rien, lui promet ma moitié.    Mon Ancien pose un regard tourmenté sur moi avant de s’éloigner pour rejoindre les soldats de la ville.  Jörg, Lucas et les membres des Chardons Ardents sont parmi eux.  Des équipes se forment et ils quittent tous en petits groupes.  La chasse est ouverte.  Elle peut durer des nuits, des semaines, des mois et même des années.  Je demande à Julian si nous pouvons rentrer à la maison.  Je commence à me sentir de plus en plus mal d’être aussi observée et entourée.  Je sens bien que certains citoyens me détestent toujours alors que d’autres aimeraient en savoir plus sur la dernière déclaration du Roi.  Plusieurs se questionnent également sur le nouveau comportement de l’Évêque à mon égard.  Je n’ai qu’une envie : fuir les lieux.  J’aimerais aussi retrouver mes Filles et me réfugier dans les bras de ma moitié pour pleurer les miens. Julian me prend par la taille et m’entraîne vers la sortie.  Il est tellement parfait.  Je n’ai jamais besoin de parler lorsque je suis submergée par les émotions.  Toutes les femmes devraient avoir ce type de relations.  Les divorces seraient moins fréquents, si tous les hommes étaient aussi compréhensifs et prévenants que lui.  Dans le couloir, je suis, encore une fois, interceptée par le Cerbère du Munitum.   -          Première Prêtresse, où allez-vous ? fait-il, paniqué.   -          Chez-moi, Monsieur Jdanov.  J’ai des morts à pleurer.  Je n’ai pas le droit d’être ici.  Vous ne cessez de me le répéter depuis le début de la soirée.    -          Ho !  Le Roi a levé votre interdiction et il exige que vous restiez ici sous notre protection.  Vous ne pouvez quitter le Munitum avant son retour.   Je soupire.  Je suis à la fois exaspérée et touchée de l’attention.  Je considère que tout va trop vite, que tout arrive trop tard.  
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