Indomptable Rébecca

1532 Words
Émergeant de mon sommeil, je frotte mon nez sur la surface près de moi, m’attendant au contact de la peau de ma moitié.  J’ouvre les yeux, surprise de sentir la texture rêche du tissu d’un coussin de divan que j’ai enlacé avant de m’endormir.  Le rire cristallin de Victoria me sort de mon hébétude.  Je me renfrogne en enfouissant mon visage dans mes couvertures.    -          J’ai perdu l’habitude de dormir loin de lui, marmonné-je, gênée.   -          C’était mignon comme tout, s’exclame-t-elle.  Tout à fait compréhensible.  L’amour que tu ressens pour lui semble plus fort que tout.  Je le sentais à travers tes lettres.  Mais ça ne m’explique pas pourquoi tu es devenue une véritable marmotte et que tu te réveilles 20 minutes après moi.  Je suis ton aînée de plus de 100 ans ma chérie.  C’est à moi de faire la grasse soirée par rapport à toi, non l’inverse.      Je soupire doucement en m’asseyant devant elle.  Elle est installée sur le bras de mon divan, Milady sur les cuisses.  Gaspard l’observe avec curiosité, couchée sur le dossier près de moi.    -          Cette boule de poils refuse de m’approcher.  Il reste près de toi, comme pour te protéger.  Pourtant, elle, elle est venu chercher des câlins sans hésiter.    -          Gaspard a toujours été réticent avec les étrangers, jusqu’à ce que je les lui présente.  Milady a toujours mordu tout le monde à l’exception des femmes Skugga et Julian, qu’elle a adopté immédiatement.  Elle a senti qu’il était lié à moi avant même que nous ne le sachions nous-mêmes, me rappelé-je, nostalgique.    Je sais que je dois avouer à Victoria ce qui m’unit à Julian mais j’ignore comment.  Toutes ces années, j’ai dû filtrer ce que j’ai vécu pour ne pas l’inquiéter et pour ne pas trahir notre réelle condition.  Elle vit en territoire neutre, politiquement parlant.  J’ai entièrement confiance en elle, mais nos lettres pouvaient en tout moment être interceptées.  Il fallait donc que je sois le plus discrète possible sur ce que nous vivions en tant qu’Âmes Jumelles pour ne pas attirer l’attention sur nous.    -          Je ne t’ai pas tout dit à propos de Julian et moi, commencé-je en plongeant mon regard dans celui de la Régente qui m’a vu renaître.    -          C’est évident qu’il est beaucoup plus qu’un simple amoureux.  Ça se voit dans votre façon d’être l’un avec l’autre, dans la façon qu’il te regarde ou qu’il regarde tes Filles, surtout Myriam.  Je discutais avec son Éminence, mais j’ai vu Julian te calmer sans un mot.  Il t’a simplement serré contre lui, dans un rituel bien à vous, les yeux dans les yeux.  Vous sembliez en symbiose, comme si vous ne faisiez qu’un.    -          C’est un peu le cas puisqu’il est ma moitié.    Elle me dévisage comme si j’étais devenue un peu dingue ou carrément une Sakyu romantiquement désespérée.  Elle sait d’où je viens et ce genre de discours ne cadre pas avec la personne que je suis.  Je n’ai jamais craché sur l’amour, croyant toujours qu’il existe.  Mais j’ai toujours été de celles qui prétendaient que ces histoires étaient pour les autres et qu’il fallait cesser de croire aux contes de fées.  Donc m’entendre dire que Julian est ma moitié dépassait tout entendement.    -          Je te rassure, il ne m’a pas endoctriné, ni dominé, ni quoi que ce soit.  Encore moins battu.  Kat veille sur ce point avec assiduité.    -          Contente de voir que les enseignements d’Antoine ont survécu à lui, souffle-t-elle, à peine soulagée.  Mais ta moitié ?  Rébecca, c’est un peu lourd comme façon de le voir.  Je veux bien croire que tu l’aimes, mais ce genre de discours ne te ressemble pas.    -          Calme-toi, tu veux bien.    -          Que je me calme, s’énerve-t-elle.  Tu me parles comme si tu lui étais soumise.  Tout ce que ton Père voulait justement t’éviter en faisant de toi une Immortelle.    -          C’est mon Âme Jumelle, ma moitié, l’homme que j’aime.  Père le savait, c’est pour ça qu’il m’a si longtemps cherchée, m’écrié-je pour me défendre.  Il t’a écrit une lettre avant de partir.  Elle est dans le premier tiroir de ma table de travail aux Archives.  Tu devrais peut-être la lire avant de continuer d’insinuer que je me laisse encore traiter comme une moins que rien par un homme.   Je me lève du divan et vais me planter devant une bibliothèque, l’esprit bouillant de colère.  Souhaitant éviter à Julian de s’inquiéter pour moi, je m’efforce de me calmer en me concentrer sur son état d’esprit.  Il se demande pourquoi je grogne autant et semble trouver notre lit vraiment trop grand sans moi.    -          Je n’ai vraiment pas envie de quitter les draps ce soir, grommelle-t-il.   -          Tu n’as jamais envie de quitter le lit, Skugga d’amour, le taquiné-je.    -          C’est encore pire quand tu n’es pas là, Sweety.  Tu es comme ma dose de caféine.    -          Tu pourras prendre un café plus tard dans la nuit au Munitum, si tu veux, lui proposé-je.  Quels sont tes plans pour la soirée ?   -          Je crois qu’il est temps pour moi de rencontrer la Druidesse.   Je suis d’accord avec lui.  Il me demande ce que je compte faire de mon côté.  Je lui explique que je dois expliquer notre situation à Victoria et nettoyer le bazar dans le bureau avec mon Évêque.  Je lui promets de le rejoindre plus tard à la grande salle lorsque je sens la bête de Viktor se réveiller.  Au même moment, Victoria revient dans la pièce.   -          Il se peut que tu me sentes triste mais ne t’inquiète pas mon chéri.  Souviens-toi que j’ai trouvé l’épée de Farouk dans le bureau de Viktor hier soir.  Je vais faire mes adieux aux Initiés qui se sont occupés de moi pendant plus d’un siècle.  C’est une grande partie de l’héritage de mon Père qui vient de disparaître avec eux.  Mais je veux que tu te concentres sur ton avenir avec la Smala, d’accord ?   -          Laisse-moi m’inquiéter et t’aimer si je le souhaite Sweet-cubus, m’intime Julian d’une voix douce. À plus tard Sweety.   -          Je t’aime Julian, murmuré-je.    -          Je me disais aussi que tu ne souriais pas bêtement aux livres, dit Viktor en plaçant ses bras sous sa tête, restant couché sur son sofa.    -          Tu parlais avec Julian ?  Tu as finalement appris à te servir d’une oreillette pour ton cellulaire, s’étonne Victoria, sarcastique.   Je la fixe, stupéfaite.  Mon défi envers la technologie en dérange plus d’un.  Déjà humaine, j’ai toujours préféré écrire à la main plutôt que d’utiliser les ordinateurs.  Alors que tout le monde avait son téléphone intelligent, j’étais encore au flip flop et mes amis pouvaient s’estimer chanceux que je sois rejoignable à l’extérieur de mon domicile.  J’ai vécu un des pires moments de mon existence quand mon lecteur cassette a rendu l’âme, m’obligeant à passer au numérique, un univers que je détestais.  Je renifle avec dédain en la toisant d’un regard triomphant.   -          Je n’ai nul besoin d’antenne parabolique pour communiquer avec ma MOITIÉ.  Notre télépathie nous convient parfaitement.  Aucun aléa mécanique ou atmosphérique ne peut altérer notre discussion.  Aucun parasite sur la ligne et aucune façon de pirater notre conversation.  Discrétion assurée.    -          Je suis désolée de ne pas avoir cru en toi, s’excuse Victoria, penaude.  Ton Père m’a sérieusement sermonné dans sa lettre, me rappelant tout ce que tu as traversé pour être celle que tu es aujourd’hui : l’indomptable Rébecca Duhamel.    -          L’indomptable Rébecca Duhamel, répète Viktor, une lueur amusée dans ses yeux noirs.  Régente Lance, je crois que vous et moi aurons d’intéressantes discussions dans un avenir proche.  Il me tarde d’en savoir plus sur cette indomptable jeune Sakyu.    Il est vrai que pour cet Ancien, j’ai toujours, ou presque, montré patte blanche et fait ce qu’il exigeait.  En même temps, il n’a jamais été v*****t ou agressif envers moi sauf en trois occasions où je l’avais fortement irrité.  Sans être soumise à lui, je respecte toujours son autorité sur moi.  Il reste mon supérieur au sein de la Congrégation.  Je me méfie toutefois de la complicité naissante entre Victoria et lui.  Je crains un peu que ma fierté légendaire en prenne un coup lorsqu’ils réaliseront qu’ils aiment tous les deux s’en prendre à mes points faibles pour me taquiner.  Pourtant, j’aimerais bien qu’elle reste avec nous.  Je sais qu’elle sera la bonne Régente pour reconstruire notre communauté après ces sinistres évènements.  Montréal a besoin d’elle, tout comme moi.    -          Je suis prête à tout vous raconter si vous me dites ce que j’ai manqué ces 75 dernières années, lui répond-t-elle.  La connaissant, elle vous en a en sûrement fait baver avec ses élans de Sakyu.    -          Et pas qu’un peu, grimace mon Ancien en s’asseyant sur son divan.  Comme la fois où elle…   -          Je vous rappelle qu’ELLE est encore dans la même pièce que vous, grogné-je, piquée dans ma fierté comme je l’ai craint un peu plus tôt.  Vous pourriez au moins attendre que je ne sois pas là pour discuter de moi.    Je me dirige vers la sortie, la tête haute.   -          Je suis sortie maintenant.  Vous pouvez recommencer à jacasser comme des pies, m’écrié-je en mettant le pied dans le couloir.  
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