Pour Jessica

1234 Words
J’évite le regard du Roi et baisse légèrement la tête, consciente que je n’ai aucun droit de me trouver dans son champs de vision.  Ma fierté m’empêche de trembler, fort heureusement.    -          Venez Madame Duhamel, nous en discuterons avec le Maréchal dans mon bureau.  Vous n’êtes pas autorisée à être ici.  Suivez-moi, je vous prie.    Je les suis, satisfaite d’avoir été entendue. Nous croisons Julian, Jörg et Myriam dans le couloir.  Le Maréchal comprend qu’ils sont avec moi et les invite à nous suivre.  Le bureau du Cerbère se trouve en face du salon des Mathetes Loudas un peu plus loin.  J’allais y entrer lorsque le Prêtre, ce serpent, sort de la salle des Purifiés.  Nos regards se croisent et je vois une drôle de lueur au fond de ses yeux.  Il ne m’a pas adressé la parole depuis ma confession, trois mois plus tôt.   -          Transgresser ainsi les règles de votre punition vous coûtera très cher, Madame Duhamel, déclare-t-il, un rictus aux lèvres.  Je me chargerai personnellement de votre châtiment lors de votre prochaine confession, ma chère.   Insultée, j’ai l’impulsion de lui sauter à la gorge.  Heureusement, Julian et Jörg réussissent à m’arrêter à quelques pas de lui.  Je sais que Julian aimerait autant que moi lui faire ravaler son air fendant.  J’ignore comment il fait pour m’empêcher de lui arracher les yeux.  Il a eu tellement de mal à se calmer cette nuit-là.    -          Ce n’est ni l’endroit ni le moment Sweety, me chuchote Julian à l’oreille.    -          Je ferai rapport de votre manque de respect à mon égard à son Éminence dès son retour, me menace alors le Purifié, son rictus toujours accroché sur ses lèvres.    Je le déteste.  Julian me force à virer les talons et à entrer dans le bureau du Cerbère du Munitum.  Je le remercie d’avoir su garder un calme olympien.    -          Je sais à quel point c’est difficile pour toi.  Surtout envers lui.   Depuis sa mésaventure qui a failli nous coûter la vie, presque 10 ans plus tôt, Julian ressent énormément de colère, voire de la haine, envers les positions de pouvoir de la Congrégation des Mathetes Loudas et la réputation des descendants de Molaĩ.  Il parvient à passer outre le blason et le sang des Immortels pour en découvrir la personnalité propre à chacun et en apprécier la personne, en digne citoyen de Montréal qu’il est désormais, mais surtout parce qu’il est lui, un homme bon qui croit en son prochain.  Mais de prime abord, son esprit réagit avec crainte et colère dès qu’il se retrouve en présence d’un Purifié ou d’un Molaĩ.  Cette colère l’a toutefois assez troublée pour qu’il délaisse la soutane et quitte la Congrégation pour qui il avait voué son immortalité.  Depuis, il est un Solitaire, un Immortel sans raison d’exister, fait rare dans notre société.  Au début, beaucoup de gens se sont questionnés sur le bien-fondé d’une telle décision de sa part.  Lors de mes soirées obligatoires au Munitum, plusieurs me rejetaient ouvertement le blâme.  Puis, peu à peu, à l’éclairage de l’expérience de son Éminence en tant qu’Indépendant à l’époque où nous l’avons ramené à Montréal, les citoyens semblent avoir compris que Julian a fait le meilleur choix pour son immortalité.  Nous ne sommes jamais ensemble au Munitum et personne ne me parle quand j’y suis.  Julian se garde bien de me raconter ce qu’il fait de ses nuits dans cet édifice qui m’est interdit d’accès.  Pourtant, je sais que tous les dirigeants l’ont courtisé.  Tous sauf une.  La Druidesse ne lui a fait aucune proposition pour l’accueillir au sein de la Smala.  Je trouve cela étrange, surtout avec ce que je suppose depuis sa visite dans ma chambre alors qu’on l’avait pieuté et dominé.  J’essaie de ne pas trop y penser pour ne pas le pousser à faire un choix qui n’est pas le sien.  Je veux également éviter d’avoir les images de cette rencontre en tête car Julian ressent de la jalousie et je déteste lui faire vivre cette émotion.  Surtout pour si peu.  Dans son bureau, Nikolaï Jdanov s’assoit dans le fauteuil derrière sa table de travail.  O’Sullivan ferme la porte derrière nous et s’y accote avec nonchalance, les bras croisés.  Jörg leur rapporte ses observations sur le sol de la rotonde.  Myriam et moi racontons chacune notre version du rêve-vision que nous avons fait.   -          Vous comprenez bien que votre don n’a rien d’une science exacte, n’est-ce pas ?   -          Oui, Monsieur Jdanov, soufflé-je avec exaspération.  Mais elles me trompent rarement, surtout lorsqu’elles sont aussi claires.    -          Madame Gauthier est… était dépressive.  Elle peut très bien pu avoir mis fin à ses jours, reprend le Cerbère d’un ton neutre.  Nous l’avons tous vu partir d’ici en larmes après une dispute publique avec Vince.    -          Dispute qui s’est réglée par un repas en amoureux au Festin Nu la même nuit, lui répliqué-je en serrant les poings derrière mon dos pour ne pas laisser ma colère exploser.  Des témoins pourraient sûrement vous le confirmer.  Je crois même que Cassie travaillait cette nuit-là.  Je sais très bien qui était Jessica.  Je prenais soin d’elle.  Elle ne s’est pas suicidée, j’en suis convaincue.  Et même si elle l’avait fait, elle n’aurait pas pu retirer les chaines qui la retenaient prisonnière au sol de la rotonde ni remettre le cadenas en place après s’y être rendue.  Il y a tout de même des limites à ce qu’un esprit déterminé peut faire, m’exclamé-je en frappant sur la table.     On repassera pour le contrôle de ma colère.  Le Cerbère se lève et me regarde froidement.  Je baisse la tête, consciente que j’ai outrepassé mes droits.  Heureusement pour moi, quelqu’un frappe à la porte forçant Monsieur Jdanov à faire signe au Maréchal d’ouvrir.  Kat demande la permission d’entrer.  Un tourbillon la précède et je vacille sous la puissance des bêtes qui se bousculent pour se blottir dans mes bras.  Julian m’aide à rester debout tandis que Gaspard et Milady s’agrippent à mon cou en poussant de petits cris stridents.    -          Je venais justement pour te dire qu’ils étaient hors de contrôle dans la grande salle, m’annonce Kat en les voyant se lover contre moi comme des bébés.    -          Je crois qu’ils viennent de réaliser la perte de leur mère, expliqué-je en les serrant un peu plus fort.  Je suis vraiment désolée pour tout ça.    Je grimace en sentant la morsure de Gaspard sur mon pouce.  Il boit quelques gouttes de sang avant de simplement me le s***r, source de réconfort, j’imagine.  Je remarque que Milady fait la même chose dans les bras de Julian.  Elle s’est réfugiée contre lui dès qu’elle a vu qu’il était près de moi.  Elle a toujours apprécié se retrouver dans ses bras.  Pour être honnête, je la comprends parfaitement.  Je vois que Jörg tend un objet rectangulaire à Kat.  Il lui explique qu’il a trouvé ce cellulaire dans la gouttière entourant la rotonde.  Il croit qu’il pourrait être celui de Jessica.    -          Penses-tu pouvoir en tirer quelque chose ?   Kat le démonte en un tour de main et nous montre une petite pièce dorée, la mine réjouie.  Elle s’excuse auprès de nous et quitte la pièce, promettant de nous donner des nouvelles très rapidement.  À peine quelques minutes plus tard, minutes où nous restons tous silencieux, le Maréchal prend son téléphone et ordonne au Colonel Dorken de le suivre à la grande salle.  Il se passe quelque chose.  
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