Première Prêtresse

1941 Words
Cette nuit, c’est avec humilité et confiance que je passe les portes de la grande salle.  Je suis tout de même étonnée de voir que presque tous les citoyens sont présents.  Je suis d’autant plus surprise qu’ils me sourient lorsque nos regards se croisent.  C’est stupéfiant de sentir que pendant près de dix, je fus celle dont on ignorait la présence alors que j’ai l’impression que tout le monde n’attend que moi aujourd’hui.  Seul un doux murmure se fait entendre dans la pièce alors que je marche derrière l’Évêque pour aller offrir mes respects à Monseigneur.    -          Relevez-vous Prêtresse Duhamel, me dit le Roi lorsque Viktor est assis dans son fauteuil près de lui.    Je m’exécute sans attendre.  Je le regarde brièvement, lui souriant, avant de baisser les yeux.  Je suis à la fois nerveuse et heureuse de me présenter à nouveau officiellement devant lui.    -          Je dois avouer être surpris que vous soyez si naturelle ce soir, Prêtresse Duhamel.   Je comprends qu’il fait allusion au fait que je n’utilise aucun pouvoir de mon sang pour amplifier mes attributs afin d’imposer le respect ou attirer le regard sur moi.    -          Le simple fait de ne plus être invisible me suffit amplement, Monseigneur, déclaré-je humblement.    -          Votre Père vous connaît si bien, murmure-t-il simplement.    Il fait signe au Chancelier Costa d’approcher.  Ce dernier lui remet une feuille avant de reprendre sa place.   -          Je vous ai démontré, il y a 10 ans, que je pouvais punir un citoyen défiant mon autorité en transgressant une Loi de notre société.  Vous avez subi les foudres d’un Roi et d’une cité entière.  Pendant près d’une décennie, vous avez su endurer l’humiliation que nous vous avons imposée sans broncher.  Peu d’Immortels y auraient survécu.  Encore moins auraient poursuivi leurs œuvres comme vous l’avez fait.  Nous avons rapidement compris que le bien-être de nos citoyens est important pour vous.  Pour être honnête, je n’ai jamais rencontré d’Immortel ayant cette façon d’envisager son immortalité, ayant cet altruisme.  Un seul nom me vient en tête et c’est grâce à elle si vous êtes née à Montréal, jeune Purifiée.   Je ne peux m’empêcher de relever les yeux pour le dévisager avec étonnement.  Les citoyens murmurent entre eux, surpris eux aussi que le Roi me compare à cette Sainte d’un autre temps.  Je m’incline, à la fois mal à l’aise et honorée que mon nom soit associée à celle qui a sauvé ma Congrégation du joug de la Déesse, un siècle plus tôt, par son sacrifice.  Je n’ai rien fait d’aussi grandiose que la Prêtresse Delphine de Lagarde, sœur jumelle de l’Ambassadrice de Laval.  Elle a quand même donné sa vie en échange du retour des Mathetes Loudas en terre montréalaise.  Je suis loin d’arriver à la cheville de cette grande dame.    -          Maintenant que tous savent, surtout vous, que je peux être impitoyable envers mes citoyens, je vais vous montrer que je sais également faire preuve de reconnaissance, même lorsque j’ai été profondément blessé et déçu par le passé.  L’immortalité m’a appris que ce que nous ressentons pour les autres s’entretient.  Nourrissez la haine et vous haïrez.  Nourrissez l’amour et vous aimerez.  NOTRE Première Prêtresse nous a bien démontré toutes ces années les sentiments qu’elle a choisi de nourrir et elle est un bel exemple à suivre.       « Avec l’aide d’ASARA, MA Coterie en qui j’ai toujours un profond respect et dont vous faites toujours partie intégrante, vous avez découvert qu’un traître se promenait sur nos terres, se faufilant telle une vipère, détruisant une honnête citoyenne, séquestrant NOTRE Évêque et éliminant vos frères et sœurs Purifiés dans le plus grand secret.  Pour nous avoir permis de le dénicher avant qu’il ne fasse plus de victimes, je vous RECONNAIS comme citoyenne de ma cité à nouveau.  « Pour avoir poursuivi votre travail de Prêtresse sans en avoir le titre alors que nos jeunes citoyens se tournaient vers vous malgré l’opinion de leurs aînés, pour avoir permis aux membres de la Faction de gé-o-lo-ca-li-ser, ce terme technique est vraiment complexe pour un vieux comme moi, se plaint notre Ancien en souriant.  Bien que vos gestes démontrent que vous désiriez protéger vos Filles, ils nous ont grandement aidé à retrouver notre cible.  Vous auriez très bien pu voler au secours de votre Progéniture dans un élan impulsif qui vous caractérise autant que votre sens commun.  Pourtant, vous saviez que nous recherchions cet Immortel et vous nous l’avez offert sur un plateau d’argent.  Pour avoir mis votre immortalité en danger en faisant appel à la Déesse pour nous ramener notre Évêque alors qu’il était en torpeur en utilisant votre don, je tiens à vous remercier.  Je sais que vous n’en contrôler pas entièrement l’usage, mais je vous connais suffisamment pour savoir que votre instinct vous guide toujours vers la décision la plus sage pour notre communauté.  Vous avez toujours été une excellente élève. Vos actes ont parlé pour vous et nous ont prouvé que votre désir de garder Madame Lavoie près de vous ne s’agissait en fait que d’une situation isolée.   Il glisse alors un œil vers son meilleur ami, le Scholar Nightingale, et lui fait un sourire contrit.    -          Oui, Douglas, je dois admettre que tu as toujours eu raison.  Entends-le bien, je ne le répéterai pas.    -          Théobald, je ne t’en demandais pas tant, lui répond l’érudit en riant.   Poursuis ton élocution cher ami, tout le monde attend.    Le Roi se racle la gorge, conscient qu’il a dévié de son discours officiel.    -          C’est pourquoi j’efface officiellement ÉGOÏSTE de votre appellation, Prêtresse Duhamel.  Il m’apparaît clair que ce terme ne vous correspond pas.  Je dirais même qu’un jour, nous pourrions envisager que SAGE s’ajoute à vos lettres.                  Je suis bouche bée.  Je mets quelques secondes avant de réaliser pleinement ce que Monseigneur vient de dire.  Je le remercie en m’inclinant.  Je sens mes yeux s’humidifier de larmes de joie.  Je vois à peine ma nouvelle lettre de présentation que me tend le Roi avant de la remettre au Chancelier.    -          Profitez bien de ce nouveau départ, Prêtresse Duhamel, me conseille Monseigneur.    -          Je vous promets de rester SAGE, déclaré-je en souriant avec fierté, m’inclinant devant lui.     -          Je vous reconnais bien là, me sourit le Roi en retour.  Disons que HUMBLE ne vous correspondrait pas.     Les citoyens retiennent à peine leurs éclats de rire.  Je rougirais si ma peau le permettait.  Je me concentre afin de retrouver une certaine contenance.  Je m’incline ensuite respectueusement devant mon Évêque avant de tourner les talons à la recherche de Julian.  Je le sens tout près de moi.  Mon cœur fait presque un battement lorsque je le vois debout, face à moi, à la limite du plancher des présentations au Roi.  Je me retiens de ne pas courir pour lui sauter au cou.  Loudas qu’il est beau et sexy !  Je m’arrête à un pas de lui avec l’irrésistible envie de l’attirer à moi avec sa cravate noire veinée de jaune.  Je me mordille plutôt la lèvre inférieure avant de lui faire mon plus beau sourire.  Il me présente son bras que je prends sans hésiter.  Il se penche ensuite pour me parler à l’oreille.   -          Tu es consciente que je vais avoir de la difficulté à boire mon café avec cette robe, rigole-t-il avant de m’embrasser dans le cou.   -          Je vais devoir réapprendre à rester chaste en ta présence.  J’avais presque oublié à quel point tu es divinement attirant, Skugga d’amour.    -          Tu es magnifiquement irrésistible, Sweet-cubus.  Je crois qu’il me sera également difficile d’être vertueux, public ou pas.    Ses lèvres papillonnent dans mon cou pendant que nous avançons comme si nous étions seuls au monde.  Nous sommes sur le point de nous embrasser lorsque la voix mélodieuse de Cassie nous rappelle où nous sommes.   -          Vous êtes si mignons !  s’exclame-t-elle.  On pourrait croire que vous ne vous êtes pas vus depuis des semaines.    Je m’éloigne doucement de Julian, gênée.  Ce dernier me fait un clin d’œil complice, conscient qu’il s’est autant emballé que moi sur ce coup-là.  Je lis dans son regard qu’il ne se serait pas arrêté à un simple b****r si nous n’avions pas été interrompu.    -          C’est tout comme, se défend Julian.  Il y a si longtemps qu’elle n’a pas été aussi lumineuse en portant du noir.  C’est d’ailleurs le seul vêtement noir qui lui fait honneur.    -          Je vous l’accorde Père, dit Cassie en me serrant dans ses bras.  Bon retour parmi nous Mère !   Je la garde contre moi quelques instants.  Je sais que nous nous sommes vues toutes ses années mais le fait de retrouver ici, au Munitum, comme avant, me confirme que je suis réellement de retour.  Elle laisse ensuite la place à Myriam.  C’est la première fois que je suis en présence de ma Fille en toute légalité dans la grande salle.  Je suis incapable de retenir mes larmes en réalisant tout ce que j’ai manqué de sa courte existence.    -          J’aurais dû être celle qui te présente au Roi, pleuré-je en la serrant contre moi.  Je suis tellement désolée de n’avoir pas pu être à tes côtés pour ces moments si importants.    -          Mère, vous y étiez en pensées et, dans votre cas, c’était aussi présent que physiquement puisque Père était là.  Vous le savez bien, me rappelle ma jeune Vinci en me flattant le dos pour me consoler.  Cessez de vous tourmenter.  Nous avons la Mère-Enfant la plus parfaite de l’univers et nous ne l’échangerions pour rien au monde.  N’est-ce pas Cassie ?   -          Tout à fait ma chère sœur, lui répond la Sirène avec sérieux.  J’espère que cette fois, nous nous sommes bien fait comprendre.    Je remarque un échange de regards complices entre mes Filles tandis que Myriam se défait doucement de mon étreinte.  Je l’interroge silencieusement.  Elle me fait un clin d’œil signifiant que tout va bien.  Je comprends qu’elles ont des comptes à régler avec quelqu’un et qu’elles préfèrent ne pas m’inquiéter.  Je note que l’esprit de Julian est fermé ce qui veut dire qu’il sait quelque chose à ce sujet.  Je me tourne vers lui au moment où il baisse la tête, fuyant mon regard.  Je soupire avec force.  Il abdique.   -          Sandrine Fleury a menacé Cassie de te retirer sa garde, comme si elle avait le pouvoir, prétextant que tu allais nuire à sa réputation.  Elle a également utilisé les humains sous son influence pour nuire à ton théâtre et ta galerie d’art afin de convaincre notre Fille de se ranger à ses côtés.  Je crois aussi que les lettres de menaces que tu reçois chaque année viennent d’elle.  Cette vipère te crachait dessus chaque semaine avant que l’Honorable Lamoise les arrête.  Elle cherche à te détruire depuis ta chute.  Cassie m’a fait promettre de ne rien faire.  Elle dit que c’est une guerre typiquement Sakyu.   Je n’ai jamais ressenti autant de haine en Julian.  J’en frissonne.  Je pose ma main sur sa joue pour le réconforter.      -          C’est effectivement typique de ma descendance, lui confirmé-je.  Sandrine n’est pas parvenu à me détruire, Skugga d’amour.  Je suis toujours là.  Tout ira bien.  Je peux l’affronter moi-même désormais.   Ne nourris pas ta haine pour elle, je t’en prie.    Julian ferme les yeux et appuie sa joue contre ma paume quelques secondes.  Son esprit s’apaise peu à peu.  Les Filles nous observent, habituées de nous voir agir en silence.  Je sais qu’elles ont ressenti le malaise de leur Père, surtout Myriam.  Elle le connaît si bien.  J’aurais préféré que ma chute sociale n’ait aucun effet néfaste sur mon entourage direct mais il aurait été utopique qu’il en soit autrement.  Que m’ont-ils caché d’autres pendant ces dix dernières années ?  
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