Tensions

1585 Words
Plusieurs jeunes que j’ai soutenu et aidé pendant ma punition viennent me saluer pendant que je reste dans la grande salle en compagnie de Julian.  Il attend que la Druidesse soit disponible pour le rencontrer et semble nerveux à l’idée de lui faire officiellement la demande pour devenir membre de la Smala.    -          Je suis certaine qu’elle acceptera, lui murmuré-je en m’appuyant contre lui lorsque nous sommes enfin seuls.    Il me serre dans ses bras.  Nos lèvres sont sur le point de se toucher quand une présence se fait sentir près de nous.  Julian s’éloigne vivement, comme si nous étions pris en flagrant délit.   -          Désolé d’interrompre votre conversation, s’excuse le Shaman Grady Adams de la Smala, visiblement mal à l’aise.  La Druidesse est prête à vous recevoir Monsieur Peters.   -          Je vous suis, s’empresse de lui répondre ma moitié en se levant.    Il jette un dernier regard rempli de désir avant de marcher derrière cet étrange Zhutko à la voix grave.  Peu sociable, je n’ai pas eu l’occasion de discuter avec ce Fils de Gaya régulièrement.  Il est de ces Immortels qui observent en silence, préférant se faire oublier des autres pour vivre son immortalité.  Je sais pourtant qu’il est respecté de ses disciples et qu’il n’hésite jamais à venir en aide à son prochain.  Je ressens douceur et compassion émaner de sa personne lors de ses rares visites au Munitum.  Toujours vêtu d’une coule d’un gris pâle, il n’en retire jamais la capuche et garde ses mains serrées à l’intérieur des manches devant lui, comme s’il avait honte de l’apparence de la malédiction de son sang.  Il marche toujours la tête baissée, m’empêchant de croiser son regard.  Bref, je ne connais de lui que sa magnifique voix grave, la douceur et la compassion qu’il dégage.    -          Le désir dans les yeux de votre moitié pourrait faire fondre l’Antarctique, fait la voix de Dame de Montmagny, me sortant de mes réflexions.  Soyez vigilante, on pourrait tenter de vous le ravir.  Toute femme qui se respecte rêve qu’on la regarde avec autant de passion.    -          Elles peuvent bien essayer de le séduire si elles le souhaitent.  J’ai confiance que Julian n’aime que moi et qu’il le leur fera bien comprendre, lui rétorqué-je avec assurance, avant de m’incliner avec respect.  Doyenne de Montmagny, que puis-je pour vous ?   -          Je sais qu’il est encore tôt pour vous de penser à tout ça et que vous aurez beaucoup à faire dans les prochains mois, commence-t-elle sans me regarder.  Mais les arts se meurent dans notre cité depuis votre destitution et tout ceci affecte grandement le moral de nos citoyens.  Nous attendions avec impatience la fin de vos corvées car seul vous savez comment organiser des évènements digne de ce nom.    Je suis sous le choc, à la fois touchée et scandalisée de ce revirement à 180 degré de sa part.  Ses paroles m’ont profondément blessée la nuit où j’ai tout perdu.  Je ressens encore sa haine me transpercer le cœur lorsqu’elle prononçait ma sentence, disant ces mots qui ont résonné dans ma tête des nuits entières : « Et encore, faudrait-il que nous voulions bien vous adresser la parole. »  Les descendants de mon sang sont réputés pour être de véritables girouettes émotives, des êtres hypocrites et sans scrupule, avides de réussite.  Peu nous importe de rabaisser les autres, tant que nous sommes admirés et adulés.  Je la sais intelligente et je crois qu’elle peut également être tout aussi impulsive que moi, motivée par sa passion.  Je suis consciente que ma réussite en tant que Maîtresse des Arts a positivement augmenté son prestige dans notre communauté.  Elle doit vouloir retrouver sa place grâce à moi.    -          Je ne peux pas croire que tu puisses être aussi impatiente, cruelle Sakyu, râle l’Échevin Deschamps derrière nous, oubliant visiblement toute forme de respect à son égard.  Notre Prêtresse vient à peine de reprendre sa place parmi nous que tu la harcèles déjà pour reprendre du service pour faire briller tes pauvres petits artistes qui lui ont craché dessus pendant des semaines devant tes yeux sans que tu ne dises quoi que ce soit.  Tu ne mérites même pas qu’elle ne t’accorde son pardon, vieille mégère.    -          Jeune insolent, s’offusque la Vétéran de mon sang en se plantant devant lui.  Elle devait payer pour l’offense qu’elle a fait à notre Roi, qu’elle nous a fait à tous.  Je vous rappelle que vous ne l’avez pas plus défendue.   -          Parce que je n’en ai pas été témoin, contrairement à vous, se défend le Gardien.  Nous avons évité le Munitum les soirs où elle était présente car nous n’avons jamais cautionné cette stupide punition.  Mais vous étiez trop centré sur votre vengeance pour vous en rendre compte.  Tout comme vous avez refusé à Monseigneur Lambert qu’il poursuive ses soirées artistiques en association avec Madame Duhamel.  Il a été bon joueur, nous évitant des conflits politiques.  Mais vous n’aviez aucune autorité sur sa cité.  Théoriquement, Rébecca est toujours Évêque de Laval.  Il serait fort judicieux de ne pas oublier ce « léger » détail la prochaine fois où vous déciderez de l’humilier publiquement.    Je déglutis.  Même moi, j’ai tendance à oublier qu’ils se sont servi de moi pour créer la cité de Laval plusieurs décennies plus tôt.  Les deux dirigeants se toisent avec des couteaux dans les yeux et je n’aime pas du tout le différend qui les oppose.  Je n’apprécie pas que ma ville semble divisée parce que j’ai posé un geste impulsif.  Je remarque que le Roi nous observe ainsi que Viktor et l’Honorable Nightingale.  Je ne lis aucune surprise sur leur visage, bien au contraire.  J’ai l’impression qu’ils s’attendaient à ce genre de conflits, comme si cette discussion trainait en longueur depuis des années.  Croisant mon regard, mon Évêque secoue la tête comme pour me dire de ne pas trop m’en faire.   -          Ça suffit, m’écrié-je en voyant que la Doyenne s’apprête à répliquer à son adversaire.  Je me doute bien que vous avez préparé une excellente réponse à son Excellence, vous êtes une experte dans ce genre de combat oral.  Mais je ne veux pas de cela, pas entre vous et surtout pas à cause de moi.  Échevin Deschamps, je vous remercie de la considération que vous me témoignez.  Je comprends que vous puissiez trouver difficile de concevoir que l’on m’ait craché dessus car vous êtes un grand défenseur de la liberté.  Justement, cracher est également une façon d’exprimer sa colère et sa déception.  J’ai accepté mon sort car je voulais permettre aux citoyens de me dire à quel point je les avais déçus.    -          Je vois pourquoi notre Roi pense que SAGE pourrait s’ajouter à votre appellation, ricane le dirigeant de la Faction.  Votre façon de penser est stupéfiante.  Monseigneur Lambert avait raison lorsqu’il me disait de vous faire confiance et de laisser les choses aller.  Il m’a chargé de vous rappeler que vous êtes toujours la bienvenue sur ses terres et qu’il a bien hâte de vous revoir.    Je jette un regard vers Viktor qui opine de la tête, approuvant l’idée d’une visite à Laval sous peu.  Je sais bien que mon Ancien ne m’a pas quitté des yeux de la soirée et qu’il n’est pas prêt de me laisser quitter l’île de Montréal sans lui.    -          Il me fera plaisir d’aller lui rendre visite bientôt.  Comme vous me l’avez si bien rappelé, je suis l’Évêque de Laval, dis-je en souriant.    -          Tout le monde sera bien heureux d’entendre ça, s’enthousiasme le Skugga avant de partir sans un regard pour la Doyenne.   Dame de Montmagny se tient droite, l’air sévère.  Elle ne semble pas se préoccuper de ce qui se passe autour d’elle.  Elle a l’apparence d’une statut.  Je constate qu’elle réfléchit, seuls ses yeux s’illuminent à différentes intensités, sinon, elle est d’une immobilité presque inquiétante.  J’attends donc patiemment qu’elle décide de reprendre la conversation que nous avions avant d’être interrompues par l’Échevin.    -          Je comprendrais, Rébecca, que tu ne veuilles pas prendre soin des Sakyu qui t’ont maltraitée pendant ta punition, souffle la Doyenne en se laissant tomber sur le sofa près d’elle.  L’Échevin Deschamps a raison.  C’est sournois, hypocrite et égoïste de notre part d’exiger de toi que tu te préoccupes de notre sort alors que nous t’avons tous écrasée sans aucune considération.  Sans le Scholar, je crois que ce cirque malsain n’aurait jamais pris fin.   -          Pour être honnête, tout va trop vite pour moi depuis hier.  Je ne reconnais plus mes Aînés, ni mes Anciens.  J’ai l’impression qu’il y a des tensions entre vous tous et que tout ça, c’est parce que j’ai commis une faute majeure.  Comme si j’avais détruit l’unité de notre cité, ce que je croyais impossible.    -          Vous n’avez rien détruit, nous sommes toujours une ville unie, me rassure-t-elle.  Nous avons simplement besoin de nous amuser à nouveau.  Pensez-y bien, Maitresse des Arts Duhamel.   -          Vous ne lâchez pas le morceau, soupiré-je, alors qu’elle me quitte.   Je sais qu’elle a en partie raison.  Mais je dois parler avec les autres Maîtresses des Arts dont Ava, la mentor de Cassie, avant de prendre une décision.  Je me suis isolée pendant la dernière décennie, refusant d’adresser la parole à qui que ce soit qui venait de l’extérieur de Montréal, la honte me grugeant l’esprit pour tout ce que j’avais perdu.  Reprendre contact avec ma toile, dix ans plus tard, m’inquiète car j’ignore totalement ce qui a circulé à mon sujet toutes ces années.  Seront-elles prêtes à travailler à nouveau avec moi ?  
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