Chapitre 2 / La voix des ombres

1824 Words
Je suis enveloppée par un néant absolu. Cela fait quelques minutes que j'ai quitté ma cellule, et la température a chuté de manière inquiétante. Si seulement je pouvais voir quelque chose, je ne distinguerais que ma propre respiration. Puis, j'entends un mécanisme grincer et j'ai l'impression de monter d'un étage. Une porte s'ouvre devant moi, et mes yeux mettent un instant à s'acclimater à cette lumière éclatante. Je pénètre dans la pièce et découvre un immense buffet qui se dresse devant moi, véritable montagne de délices. Je m'en approche, mais je m'arrête net en voyant un homme émerger d'une porte sur le côté. Il semble tout aussi désorienté par la lumière que moi. D'autres personnes apparaissent également de chaque côté de la pièce, se ruant sur la nourriture avec une avidité dévorante, comme si rien d'autre n'existait. Soudain, l'un d'eux pousse un cri strident, me faisant sursauter. - Espèce de petite m***e ! L'homme se tient douloureusement le poignet ensanglanté, faisant face à une petite fille accroupie sur le buffet, un couteau à la main. - La prochaine fois, ce sera ton œil c*****d ! Les menaces de la fillette semblent porter leurs fruits, et l'homme se détourne pour retourner à son côté du buffet. Mon ventre gronde à la vue de toute cette nourriture lorsque je reconnais une voix familière derrière moi. - Je te pari qu'à tout moment la nourriture est empoisonnée. Je me retourne et fais face à des yeux bleus appartenant à un homme d'un mètre quatre-vingt-dix. Je peux enfin mettre un visage sur cette voix qui m'a tant réconfortée, cette présence sans laquelle j'aurais sombré dans la folie. Nélio est couvert de tatouages, y compris sur le visage, et ses cheveux sont d'un gris argenté. Nos regards se croisent, et il arque un sourcil, l'air perplexe. - Je peux t'aider ? Ne sachant pas comment lui faire comprendre qui je suis, je donne deux petits coups sur mon épaule et lui adresse un sourire. Après quelques secondes d'hésitation, il finit par comprendre et, sans prévenir, me prend dans ses bras. J'ai à peine le temps de lui rendre son étreinte qu'il s'éloigne, me saisissant par les bras tout en chuchotant, visiblement agacé. - Je t'ai dit de ne pas appuyer sur ce p****n de bouton ! Maintenant tous ceux qui ont voulu tenter leur chance sont ici avec nous. Je reste perplexe et le désigne du doigt pour lui faire comprendre qu'il est aussi venu. Il répond par un soupir, levant les yeux au ciel. - J'ai longtemps hésité et puis je me suis dis que ce serait dommage que tu meurs en 2min. Cette plaisanterie me fait rire, et je vois dans son regard qu'il vient seulement de réaliser qu'il n'entendra jamais le son de ma voix. Un hologramme apparaît au milieu de la pièce, attirant l'attention de tous. La femme porte les mêmes vêtements qu'à mon arrivée. - Bienvenus à tous. Je fais un discret signe de la main à Nélio, pointant la femme du doigt avec un air d'incompréhension. Il m'observe, incrédule, et chuchote. - Tu veux savoir qui c'est ? Je hoche la tête. - C'est la régente Valnia. Comment ça se fait que tu ne la connaisses pas ? Je décide d'ignorer sa question. Je ne saurai même pas comment lui expliquer mon passé, et bien que je sois soulagée de sa présence à mes côtés, je n'oublie pas que je ne connais rien de lui. Je finis par recentrer mon attention sur Valnia. - Vous êtes au nombre de 7. Il y aura donc huit épreuves à passer avant votre libération finale. Valnia disparait laissant place à un décompte affichant cinq minutes. Nélio revient vers moi et je ne m'étais pas rendu compte de son absence. Il me tend un verre d'eau, des fruits et quelques morceaux de poulet que je n'ai aucun mal à avaler. Il en mange également. Il me semble déceler de l'inquiétude dans son regard, alors je presse ma main contre son bras. Il me regarde et me sourit. - T'inquiète pas ça va aller. Sa voix sonne faux, mais un cri d'agonie résonne à nouveau dans la pièce, me tirant de mes pensées. L'homme au poignet lacéré est au sol et se tient le visage ans une marre de sang. La fillette lui assène un dernier coup de pied dans ses parties génital avant de lancer nonchalamment son arme ensanglanté au sol. - C'est qui cette singlée ? Je donne un coup d'épaule à Nélio qui me regarde désabuser. - Sérieusement ? Elle a un sacré problème et si tu veux mon avis reste loin d'elle. Je repense à son conseille de ne pas appuyer sur le bouton et esquisse un sourire moqueur. - Ouais je sais ce que tu en penses de mes conseils. Le minuteur arrive à son terme. La pièce est plongée dans l'obscurité, seule une porte au loin reste illuminée, nous indiquant le chemin à suivre. Chacun de nous pénètre dans la pièce d'un blanc immaculé. Je suis la dernière à franchir le seuil, et la porte se referme brusquement derrière moi, verrouillant à l'intérieur le corps inerte de l'homme étendu au sol. La lumière change soudainement, éclatant en un effet stroboscopique qui brouille les contours de la pièce. Nélio s'approche de moi discrètement, son souffle chaud glissant contre mon oreille alors qu'il me chuchote quelques mots. - Surtout reste près de moi. Si l'un d'entre eux tente quelque chose pendant l'épreuve, on est foutu. Je hoche la tête discrètement, restant concentrée, en attente de la suite des événements. Soudain, une comptine enfantine résonne dans toute la pièce, sa mélodie étrange flottant dans l'air glacé. Je peux lire l'incompréhension dans les yeux de chacun, sauf dans ceux de la fillette. Elle, au contraire, semble craindre quelque chose, ses traits crispés par une terreur silencieuse. Au moment où le refrain débute, la fillette enfonce ses dents dans son avant-bras jusqu'à ce que le sang coule. Je n'ai pas le temps d'analyser son geste qu'une douleur foudroyante me traverse, me paralysant sur place. Je m'effondre à genoux, mon corps se tordant de souffrance. En ouvrant les yeux, je vois Nélio subir la même agonie, se tordant à son tour. La sensation est insupportable, comme si chaque os de mon corps se brisait lentement, un à un, dans un calvaire interminable. À travers le voile de douleur, j'aperçois la fillette au loin, toujours mordant son bras, ses dents enfoncées dans sa chair, faisant tout pour ne pas émettre le moindre son. Après quelques secondes interminables, je vois son bracelet, ainsi que le mien, virer au bleu. Et soudain, la douleur s'estompe, nous laissant pantelantes, mais vivantes. Je me précipite vers Nélio, encore plié sous l'effet de la douleur, et lève les yeux vers la fillette. Elle me fait signe de garder le silence. Autour de nous, les cris déchirants des autres résonnent, douloureux à entendre, comme des échos de souffrance. Je prends la main de Nélio, son regard se plante dans le mien. Je lui fais à mon tour signe de ne pas crier. Il semble comprendre et serre les dents, jusqu'à ce que sa mâchoire émette un craquement sinistre. Tremblant, il plaque une main déformée sur sa bouche, les yeux toujours fixés sur moi, luttant pour ne pas hurler. Après une éternité de souffrance, son bracelet vire enfin au bleu. Je relâche alors un souffle que je ne savais même pas retenir. J'observe, soulagée, certaines parties du corps de Nélio se remettre lentement en place. Levant les yeux vers la fillette, je la remercie d'un simple signe de tête. Elle ne dit rien, restant silencieuse dans un coin de la pièce, les yeux rivés sur les corps déformés des autres prisonniers, attendant patiemment que leur agonie les emporte. Je donne une légère tape sur l'épaule de Nélio et lui montre du doigt ceux qui se tordent encore de douleur. Il comprend aussitôt où je veux en venir.Ses yeux s'emplissent de résolution et, sans hésiter, il pousse un cri puissant. - Arrêtez d'hurler ! Si vous la fermez ça se finira. Après quelques minutes, deux des trois hommes parviennent à retrouver leur calme, mais le dernier, incapable de se taire, succombe. Sa colonne vertébrale se brise dans un craquement sinistre qui résonne dans la pièce, envoyant un frisson glacial dans mon dos. La lumière blanche immaculée reprend lentement possession de l'espace, et la porte s'ouvre à nouveau, révélant le corps sans vie de l'homme gisant à côté du buffet. Nous regagnons la salle principale. Le compte à rebours avant la prochaine épreuve s'affiche désormais : il ne reste que cinq minutes. Nélio s'assoit dans un coin de la pièce, tandis que les deux hommes chuchotent entre eux, nous observant à tour de rôle. Mon regard se pose sur la fillette, qui mange une pomme en solitaire dans un recoin. Décidée à la rejoindre, je m'approche d'elle.Elle me fixe, méfiante, alors que je prends place à ses côtés. Je lui souris, mais elle détourne son attention vers sa pomme. Par réflexe, elle s'éloigne légèrement lorsque je tapote doucement son épaule pour attirer son regard. Je fais signe, tentant de lui demander comment elle a su ce qu'il fallait faire. Elle hausse les épaules et me répond la bouche pleine, une lueur d'impertinence dans ses yeux. - C'était ma t*****e. Mon sang se glace à ses mots. Comment quelqu'un peut-il infliger une telle t*****e à un enfant d'à peine dix ans ? Elle me scrute de haut en bas, une expression interrogative sur le visage. - C'est quoi toi ? Je m'efforce de mimer la noyade, ce qui finit par la faire rire, et moi aussi. Mais son regard s'assombrit, trahissant une méfiance soudaine. Je me tourne alors vers Nélio, qui vient de nous rejoindre. Je fais un geste apaisant vers la fillette, lui indiquant qu'elle n'a pas à s'inquiéter. Mais elle ne semble pas convaincue. Nélio se présente alors, tendant la main avec une méfiance palpable.- Moi c'est Nélio, c'est quoi ton nom ? La fillette hésite un instant. - Charlie. Elle me fixe avec attention. Je fais des gestes pour épeler mon nom, et elle répète chacun d'eux avec soin. - Z..O..E Je hoche la tête en souriant, et je remarque que Nélio affiche une expression curieuse. - Alors Charlie depuis combien de temps tu es coincée ici ? Elle réfléchit avant de répondre. - Ça fait un mois maintenant. Nélio et moi échangeons un regard surpris. - Un mois à endurer ça tous les jours ? Charlie hausse les épaules. - Le truc c'est de pas crier dès le début Je l'observe, et un sentiment de peine m'envahit. Je me demande ce qu'elle a bien pu faire pour se retrouver ici. Tout à coup, le sol se met à trembler, et la pièce oscille autour de nous. Je croise le regard de Nélio, et une prise de conscience me traverse, nous sommes en train de monter.
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