Ses yeux se ferment lentement, sa respiration se fait plus faible, puis cesse enfin. Un dernier souffle, et le silence envahit l’air. Seuls les murmures du vent dans les arbres et le chant lointain des oiseaux viennent briser cette tranquillité glaciale. Allongé devant moi, mon père a trouvé la paix. Une paix qu’il a tant méritée… et que je lui envie. Je fixe son bracelet métallique, qui passe du vert au rouge, signalant la fin.
Je retiens un sanglot, inclinant la tête en arrière, laissant des larmes silencieuses se mêler à la poussière sur mes joues. Le souvenir d’une enfance à l’écart de tout, dans un monde que seuls lui et moi partagions, m’envahit. Je me souviens de ses mains, si grandes et pleines de douceur, m’apprenant la langue des signes. Nos rires résonnant dans le calme des collines, loin des bruits du monde.
Un bruit assourdissant, soudain, me fait sursauter. Je tourne la tête. Une voiture blanche fonce à toute allure à travers les champs, brisant la quiétude du paysage.
Je reste là, assise aux côtés du corps de mon père, l'esprit engourdi par la douleur. Chaque seconde qui passe est un dernier adieu, chaque souffle un instant volé à ce qui semble déjà trop loin. Mes yeux se posent sur l'immense chêne sous lequel il a choisi de se reposer pour toujours, un endroit qu'il aimait.
Soudain, une main robotique m’agrippe brutalement le bras, me tirant de mes pensées. Je relève les yeux et vois l’androïde, immobile et froid, me fixer d’un air sans émotion.
- Mademoiselle Williams, vous avez été reconnue coupable de trahison envers notre nation. Veuillez nous suivre.
Je n’oppose aucune résistance, mes gestes lents et lourds d'une résignation que je n'avais pas conscience de porter. Je me laisse guider vers le véhicule, le cœur serré, m'installant silencieusement à l’arrière. À travers la fenêtre, je vois les champs, mes champs, s'éloigner, engloutis par l’immensité de la ville qui m’attend. Je suis fascinée par ce que je vois. Les immeubles s’élèvent si haut qu’ils semblent percer le ciel, formant un enchevêtrement labyrinthique qui m’écrase. Là-bas, un cours d’eau que mon père m’avait décrit, serpentant à travers l’immensité de la ville. Le paysage défile devant mes yeux, d’une beauté glaçante. C’est un spectacle à couper le souffle, mais je n’ai pas le temps de m’y attarder.
La voiture plonge soudainement dans un tunnel sombre, l’obscurité m’engloutissant. À peine un faible éclairage pour guider notre chemin. La fumée envahit rapidement l’habitacle, dense et suffocante. Mon cœur s’accélère, et mes mains tremblent en cherchant les poignées des portières, mais elles restent figées. Prisonnière. Je tente de rester calme, mais l’air se fait de plus en plus lourd. Alors, dans un élan de résignation, je m’adosse contre le siège, ferme les yeux, et laisse mes pensées se dissoudre dans un sommeil profond.
Je me réveille lentement, l’esprit embrouillé, un mal de tête lancinant, comme si tout mon corps avait été comprimé. Je cligne des yeux plusieurs fois, tentant de faire disparaître la brume qui envahit ma vision. La pièce autour de moi commence à se dessiner, l'éclairage faible ne me permettant qu'à peine de discerner les murs de béton froid, le plafond bas, et le sol dénué de caractère. Assise sur un vieux lit de camp, l'odeur de moisi m'envahit. Mon esprit peine à s'accrocher à la réalité.
Un bruit sourd retentit, et une silhouette surgit devant moi, aussi inattendue qu'intrigante.
- Bienvenue, Zoé Williams. Vous avez été incarcérée pour trahison envers notre nation. Comme vous le savez, nous faisons en sorte que chacun soit puni à la hauteur de ses actes.
Je la fixe sans vraiment comprendre, l'esprit encore trop embrouillé. Mais c'est l'hologramme, cette technologie vivante et presque magique, qui capte toute mon attention. Un frisson de curiosité parcourt ma colonne vertébrale. Mon père m'avait toujours éloignée de tout ça, me protégeant des dangers technologiques qui régissent cette société. Mais il m’en parlait parfois, avec un air mêlé de peur et d’admiration.
Je détourne mon regard de l’hologramme, mais une curiosité étrange me pousse à écouter la suite.
- Dans votre cas, un code blanc de niveau deux a été décrété, d'une durée d'une semaine.
Mon corps se raidit à l'instant même où la sentence tombe. Une vague de froid m'envahit, un frisson glacé qui me fige sur place. Je me rappelle alors les mots de mon père, m’avertissant des différents codes : le bleu pour les adultes, le blanc pour les jeunes. Le niveau un, c’était l’enfermement en soi, une privation simple, mais le niveau deux… c’était bien pire.
L'hologramme disparaît aussi soudainement qu'il était apparu, me laissant seule dans un silence oppressant. Le vide de la pièce semble se resserrer autour de moi, et le poids de la réalité m’étouffe. Je me redresse, prête à chercher une issue, mais soudain, l'alarme retentit. Un bruit assourdissant, comme une détonation, me fait sursauter. Je me bloque les oreilles, tentant d’échapper à cette cacophonie.
Je baisse les yeux, et un frisson d'horreur me saisit. De l'eau s'est infiltrée sous mes pieds. Je suis dans une pièce qui se remplit rapidement, submergée par la réalité de ma situation. Mon regard descend ensuite sur mon accoutrement : un uniforme blanc, trop large, flotte autour de mon corps, des chaussettes sans protection contre le froid. Je suis à la fois vulnérable et piégée.
En quelques secondes, l’eau envahit la pièce. La froideur m'envahit alors que je lutte pour retenir mon souffle. Mon esprit s’emballe, cherchant une échappatoire, mais il n’y en a aucune. Mon corps se débat, emporté par la montée inexorable du liquide. Je pense à mon père, à sa douleur, à ses souffrances quotidiennes. Et moi, je suis là, punie pour l’avoir aidé à partir. Comment peuvent-ils me faire ça ? Je n’arrive même plus à raisonner, la panique envahissant mes pensées.
La douleur de l'eau qui me serre la gorge devient insupportable, et, malgré mes efforts, je finis l'inhaler. Mon estomac se serre, mes poumons brûlent, mais c’est un automatisme, un réflexe de survie. Je suis emportée par la douleur qui me traverse. Je me débats, dans un dernier effort désespéré pour me libérer de cette sensation d'étouffement, mais mes forces me trahissent.
L’eau semble se déchaîner, m’engloutir, et je perds tout repère. Les bords de la pièce disparaissent, tout s’éteint dans une brume glacée. La vision m’abandonne peu à peu, je vacille, mon corps s’alourdissant à mesure que je me laisse sombrer. Puis, aussi brusquement qu’elle est arrivée, l’eau s’évacue. Je me retrouve sur le sol humide, à genoux, mes mains plongées dans l’eau résiduelle. Je rends l'eau, haletante, une grande bouffée d’air coincée dans mes poumons. Ma gorge me brûle, mes muscles tremblent sous l'effort. Je tousse frénétiquement, chaque goutte d’eau expulsée me coûtant un effort monumental.
Je m'effondre sur le côté, un frisson glacé me parcourant alors que la douleur s'apaise enfin.
En haletant, mon regard se pose sur mon bracelet, qui vient de passer du bleu au vert. Je ferme les yeux, les dents serrées. C'était donc ça, la pire des punitions. Une douleur plus insidieuse, plus psychologique. L’enfermement, la privation de tout, la perte de contrôle. Un frisson glacé me parcourt en pensant à ce qui m'attend pour les prochains jours. L’espoir de sortir intacte s’éteint peu à peu.
Soudain, une voix, amusée, brise mon abattement.
— Alors toujours en vie ?
Intriguée, je tourne la tête dans sa direction. En observant la pièce, je remarque une minuscule bouche d'aération.
Je me rapproche de cette ouverture, m'assieds dos au mur, tentant de respirer calmement.
— Je t'ai entendu tousser, alors on va dire que oui.
Je lève les yeux vers lui, mais je ne parle pas. Les mots sont prisonniers dans ma gorge.
— Tu verras, une semaine, ça passe vite. Moi, ça fait un mois que je suis dans cet enfer.
Un mois... Ça me semble irréel. Comment a-t-il pu tenir aussi longtemps ? Est-ce qu'on l'oblige aussi à se noyer ?
— Je m'appelle Nélio, dit-il, brisant le silence. Puis il ajoute, d'un ton presque désinvolte : Je ne sais pas si ça t'intéresse, mais après un mois seul, c’est agréable d'avoir quelqu’un à qui parler.
Je secoue doucement la tête, ne sachant pas comment répondre. Je me contente de rester là, dans le silence qui m'enveloppe. Derrière son ton sarcastique, je décèle une sincère tristesse. J'aimerais lui répondre, lui apporter la compagnie dont nous avons tous les deux besoin. Je cogne ma main contre le mur, mais je m'aperçois qu'il est trop épais pour émettre un son. Je regarde le sommier en métal du lit et réitère mon mouvement deux fois, ce qui semble l'amuser.
— C'est quoi ça, du morse ?
J'esquisse un sourire et frappe une autre fois ce qui le faire légèrement rire.
— Ok alors si tu veux pas parler on a qu'à dire un coup pour non et deux coups pour oui ça te vas ?
Je tape deux fois de suite et esquisse un sourire, car après la perte de mon père et avoir échappé de peu à la noyade, je suis finalement heureuse d'avoir quelqu'un avec qui passer ma semaine à venir.
...
Dans mon sommeil, je revois mon père, sa positivité et son rire si contagieux. Nous travaillons dans les champs, profitant des rayons du soleil. Un bruit sourd me réveille en sursaut. Soudain, les événements de la veille me reviennent en mémoire, et je prends conscience de mon triste environnement. Cela fait maintenant cinq jours que je suis enfermée.
— Bon appétit !
Je frappe deux coups sur le sommier en métal et m'approche du plateau qui sort du mur de ma cellule. Je m'assois sur le lit, regardant ce repas avec autant de dégoût qu'au premier jour.
Il se compose d'une bouillie grisâtre et nauséabonde, accompagnée d'un quart d'eau. J'entends Nélio parler la bouche pleine
— Ce n'est vraiment pas si terrible... Je trouve même ça bon avec le temps !
Je grimace et frappe à nouveau le sommier, ce qui le fait rire.
Après quelques bouchées, je dépose mon plateau au sol et remarque une faible lumière près de la porte. En m'en approchant, je constate qu'il s'agit d'un simple bouton.
— Qu'est-ce que tu fais ?
Nélio a dû m'entendre marcher jusqu'à la porte, où je frappe deux coups pour lui indiquer ma position.
— Tu regardes le bouton... Ils le font apparaître quand tu es à mi-parcours. Quoi que tu fasses, surtout n'appuie pas dessus.
Intriguée, je m'assois près de la bouche d'aération et frappe trois fois sur le métal du lit. J'entends Nélio soupirer.
— Ces tarés te font croire que si tu appuies sur ce bouton, ta peine sera réduite et que tu pourras sortir plus tôt, mais ils font tout pour te pousser à bout et te tuer.
Je ne comprends pas vraiment de quoi il s'agit, mais l'idée de sortir plus tôt de cet enfer est séduisante.
— Promets-moi que tu n'appuieras pas sur ce foutu bouton.
Je réfléchis un instant. Si je sors d'ici, il ne me restera plus rien. J'ai perdu la seule personne qui a toujours été là pour moi. Nélio est un bon soutien tant que je reste ici, mais il est encore loin d'avoir purgé sa peine.
Finalement, je me lève et prends une grande inspiration. Mes pensées s'emmêlent alors que j'avance vers la porte. Je veux sortir de cet endroit, recommencer à vivre, retrouver ma maison. Je veux juste en finir avec cet enfer, cette t*****e qui pèse de plus en plus sur ma santé mentale.
Je me tourne et observe la bouche d'aération avant d'appuyer sur le bouton.
Une alarme assourdissante retentit, me clouant au sol. Je tombe à genoux, les mains plaquées contre mes oreilles, essayant désespérément d'étouffer le bruit. Au milieu de ce chaos, la voix de Nélio m'atteint, pleine de reproches, mais je ne peux distinguer ses mots. Puis, une voix robotique résonne à travers la prison, froide et implacable : "Une personne a enclenché l'interrupteur. Toutes les portes des cellules sont ouvertes. Vous avez une minute." Le décompte affiche une minute.
Je sors en titubant de ma cellule, ne sachant pas ce qu'il se passe exactement. La minute s'écoule et soudain, l'alarme s'arrête. La porte se referme derrière moi. Je me retrouve plongée dans une obscurité totale, entourée d'un silence oppressant.