Chapitre 5

2729 Words
Chapitre Cinq Je détecte sa présence avant même de la voir. Les sens en alerte, je sens un frisson me parcourir l’échine. Je relève les yeux de mon steak chateaubriand, tâchant de rester stoïque. Elle est aussi ravissante que tout à l’heure, seulement maintenant, depuis mon siège, je suis pleinement en mesure d’apprécier ses formes que la dentelle noire épouse à merveille. Sa robe est simple, presque sage avec son col droit et ses mancherons discrets, mais sur elle ça frise l’indécence. Elle est terriblement sexy. Foudroyé de désir, je sens mon sexe tressaillir. Elle m’adresse un léger sourire, un brin sardonique, tout en effleurant la nappe en lin. — Croyez-moi : un Pauillac Mouton-Rothschild 1998 serait nettement plus approprié, dit-elle en désignant d’un geste du menton mon verre de Van Winkle. C’est ça, son angle d’attaque ? Les réponses se bousculent dans ma tête par dizaines. Tenter un Voulez-vous vous joindre à moi ? Lui expliquer pourquoi je préfère le whisky au vin ? Aucune option ne me convainc. Je me lève et tire la chaise à ma droite. — Quel plaisir de vous revoir, Beauté. Ses yeux se braquent sous l’effet de la surprise, et, l’espace d’un instant, je perçois une lueur d’hésitation dans son regard. Mais elle se reprend vite, retrouve son aplomb et me sourit. Elle a visiblement une idée derrière la tête, et, bien que la soirée ne fasse que commencer, je ne suis pas dupe au point d’imaginer qu’elle veut flirter. D’ailleurs, la chaise vacante ne semble pas l’intéresser. — C’est quoi le problème avec votre frère ? La question me prend de court. Dans mon milieu, on apprend aux femmes à soigner leur apparence, à éviter la confrontation, certainement pas à orchestrer une attaque avant l’étape des civilités. Je ris et lui désigne la chaise inoccupée. — Venez vous asseoir là. Pas question de me fourrer dans un guêpier pareil. Alors qu’elle se faufile devant moi, je détecte des notes d’agrume et de bergamote, me rappelant le bouquet d’une triple IPA. Tout aussi grisant, effervescent. J’incline la tête en poussant sa chaise, humant son parfum qui flotte encore dans l’air. À peine me suis-je rassis qu’elle reprend. — Leur vin est plutôt réussi, non ? — C’est un assemblage exclusif. Je fais signe à Miles qui s’affaire non loin, mais pas assez près pour nous entendre. — Ça pourrait redorer votre image. — Notre image se porte très bien. Elle renâcle, mais je n’ai pas le temps d’enchaîner : Miles s’est rapproché. Nous nous lançons en même temps. — Un cabernet réserve 2006, domaine Case, s’il te plaît. — Pour moi, un Pauillac Château Mouton Rothschild, 1998. Miles arbore un sourire narquois. Que se passe-t-il, bordel ? Pourquoi semble-t-il prendre un malin plaisir à me voir galérer ? Il est censé m’aider à conclure, pas m’enfoncer. — Un verre de chaque, lui dis-je en grognant. Il disparaît aussi rapidement qu’il est arrivé, et dans la foulée, un serveur armé d’une carafe d’eau vient remplir le verre de Beauté. — Dites-moi votre nom, au moins. Si on doit parler de ma famille, c’est normal que je sois curieux. Qui est donc cette femme sublime qui cherche à défendre mon frère ? Elle me lance un regard noir. — C’est censé me flatter ? J’examine sa silhouette. Consciencieusement. Le temps que je relève la tête, je remarque que ses joues se sont teintées. — C’est que vous êtes vraiment splendide, Beauté. Elle en reste bouche bée, et dans son hébétude, sa langue vient aplanir le creux de sa lèvre inférieure. C’est sexy à en crever. Je n’ai aucune envie de croiser le fer avec cette bouche ; au contraire, je ne pense qu’à l’embrasser, la mordiller, l’inonder de sperme. Pris d’une bouffée de chaleur, je sens ma bouche s’assécher comme de la sciure de bois. Elle me tend la main, et sans réfléchir, je recueille ses doigts filiformes entre les miens. La décharge qui m’électrise le bras est si forte que je resserre la pression malgré moi. Étonnée, elle écarquille les yeux, prend une grande inspiration. La ressent-elle aussi ? Cette fournaise entre nos paumes, comme une violente réaction chimique capable de dissoudre la chair ? — Macey. Sa réponse me parvient voilée, entêtante comme de l’eau de vie. Un sourire se forme sur mes lèvres. — Austin. Mais je crois que vous le savez déjà. Elle fait oui de la tête, les yeux dilatés, le souffle si court que je distingue les soulèvements de sa poitrine. Je presse de nouveau sa main, puis la relâche avant de faire une connerie, comme l’attirer contre mes lèvres pour l’embrasser. Alors qu’elle attrape son verre d’eau pour se désaltérer, je fixe sans scrupule les ondulations de sa gorge. Le sait-elle, au moins, qu’elle est parfaite ? — Vous avez faim, peut-être ? Je vous commande quelque chose ? J’ai beau être un peu s****d, je n’envisage pas de manger devant quelqu’un qui n’a rien à se mettre sous la dent. — J’ai touché deux mots à Miles avant de m’asseoir. Mon plat devrait arriver en même temps que le vin. — À ce propos, comment vous êtes-vous rencontrés ? Une moue s’inscrit sur ses lèvres. J’aurais mieux fait de me taire, car je vois à son regard que j’ai perdu la main. Si je tiens à ma réponse, je vais devoir la mériter. — Oh, ça remonte. Quelque chose dans sa voix m’indique que ça fait des années. Voire des décennies. Miles n’a que quarante ans, et le fait que ce type ait un passé avec Beauté, et pas des moindres apparemment, me crible de jalousie. Je hausse les sourcils pour l’inciter à m’en dire plus, mais elle se contente de me regarder, placide, un sourire à la Mona Lisa plaqué sur les lèvres. — Si vous le connaissez si bien, comment ça se fait que je ne vous ai jamais vue ? — Je ne suis que de passage. Si je comprends bien, sa rencontre avec Miles ne date pas d’hier, Dieu sait ce qu’il s’est passé entre eux, mais elle n’est pas du coin ? — Où vivez-vous, alors ? Elle hausse les épaules. — Peu importe. Ce que j’aimerais comprendre, c’est pourquoi vous vous acharnez contre votre frère. En un simple claquement de doigts, elle s’est encore débrouillée pour retourner la situation. C’est frustrant, mais je dois bien reconnaître qu’elle est douée. — Ça, c’est Nico qui s’en charge. — Parce que vous n’êtes là que pour profiter du voyage, bien sûr… Le mépris dans sa voix m’est presque douloureux. J’ai l’impression de la décevoir, comme si je valais mieux que ça, que je n’étais pas à la hauteur de ses attentes. — Jason peut faire ce qu’il veut de sa vie, dis-je dans un élan. Mais pas question qu’il se serve de sa famille pour arriver à ses fins. — Parce que ce n’est pas ce que vous faites, vous, peut-être ? En dilapidant votre héritage jusqu’au dernier centime ? — Ce que je fais avec mon fric ne vous regarde pas, Beauté. — Il n’empêche que Jason a tous les droits d’exploiter le raisin familial, rétorque-t-elle, les yeux durs. N’est-ce pas ? C’est un Case après tout. Elle marque un point, mais je refuse de céder. — Qu’est-ce que ça peut vous faire ? En la voyant s’attendrir, mon estomac se noue. Merde alors. Elle ne serait pas amoureuse de mon frère, quand même ? Telle une bête sauvage, la jalousie me prend aux tripes. Mais Macey se penche alors, me rappelant davantage une maman ours qu’une femme sensuelle. — Jason est un bon ami à moi. Et après tout ce qu’il a traversé, il mérite d’être heureux. Sa logique est imparable. Mais avant que je n’aie le temps de contre-attaquer, voilà que Miles se pointe avec une desserte. Il soulève la cloche d’argent du plateau, et c’est avec surprise que j’y découvre un deuxième chateaubriand. Qu’il est rafraîchissant de dîner avec une femme qui mange autre chose que des salades ! Sans souffler mot, Miles dispose les deux verres devant nos assiettes, nous présentant le vin comme un pro. Soulevant mon cabernet, je propose de trinquer : — À la beauté qui se cache là où l’on s’y attend le moins. Macey rougit et baisse les yeux avant de déguster son bordeaux. Elle le conserve un long moment en bouche pour mieux en extraire les saveurs, et peu à peu, son visage se décrispe. La vue de sa sensualité, de sa gourmandise, me transit. Je me penche vers elle. La voir ainsi m’excite autant que des préliminaires, et je ne peux m’empêcher de me demander quelles autres pratiques ont le pouvoir de déformer ses traits d’extase. Lorsqu’elle les rouvre, ses yeux sont à ce point brouillés de plaisir que je b***e dur comme fer dans mon pantalon. — Il vous arrive souvent de sourire comme ça, Beauté ? Elle soutient mon regard malgré la tension qui monte, et laisse quelques secondes filer. Puis elle retrouve son sourire de Mona Lisa. — Vous aimeriez bien le découvrir, je me trompe ? Effectivement. À quoi bon le nier ? — C’est vrai. Ses yeux brûlent fiévreusement, tandis que l’air, chargé de non-dits, semble prêt à s’embraser à la moindre étincelle. Cependant, ma proposition est vite balayée. Beauté s’empare de sa fourchette pour entamer son repas. Elle découpe un petit morceau de viande qu’elle mâche lentement, avant de reprendre une gorgée de vin. Je suis passablement irrité qu’elle ait préféré commander le vin français plutôt que le cabernet familial, pourtant renommé. Il y en a qui feraient la queue pour le millésime 2006. Mais mon agacement s’envole lorsque je la vois avaler de nouveau. La même vague de plaisir s’inscrit sur son visage. Je suis déjà accro à ce spectacle. Tant pis si c’est pervers, car pour être franc, je suis loin d’être un ange. La regarder manger comme ça suffirait à me faire jouir. Et il est possible qu’elle s’en doute, à en juger par l’air triomphant qu’elle affiche. — Votre repas refroidit. — Je n’avais pas remarqué. Elle sourit d’amusement avant de soulever son verre. — Vous voulez goûter ? Ça se marie très bien avec la viande. La question qui me taraude m’échappe alors. — Pourquoi ne pas avoir pris le cabernet ? À la manière dont elle m’examine, je sens qu’elle pèse ses mots. Un blanc s’installe. — Ce n’est pas mon style de vin, finit-elle par répondre. — Allez, vous pouvez faire mieux que ça. Ne vous retenez pas. Une flamme de défi danse dans son regard. — D’accord… Si vous y tenez. On dirait du jus de cougar. — Du jus de cougar… Je lâche ma fourchette et la dévisage, interloqué. — Attendez… quoi ? Du jus de cougar ? Elle a un haussement d’épaules. — Ce vin est flasque, surchargé de parfum et trop alcoolisé. Elle ne manque pas de culot ! — Et bien trop cher, ajoute-t-elle. — Ne vous arrêtez pas en si bon chemin, dis-je avec sarcasme. Elle se penche vers moi. — Disons que si je dois boire quelques verres de trop et finir au lit avec un inconnu, je vais avoir besoin de quelque chose d’un peu plus sophistiqué que l’équivalent d’un étudiant de fraternité qui porte sa casquette à l’envers. Ignorant sa pique, je me penche si près d’elle, cette fois, que je sens à nouveau son parfum citronné, et je dis à voix basse pour qu’elle seule m’entende : — Mes conquêtes, je les préfère sobres. Comme ça, elles savent exactement qui remercier pour le moment de plaisir insoutenable que je leur offre. À ces mots, son regard se charge d’intensité. — Tu es si doué que ça, hein ? L’appât fonctionne ; sans me poser aucune question, je mords à l’hameçon, interprétant son tutoiement comme un bon signe. — Tu n’as qu’à vérifier par toi-même. Il me serait si facile d’oser une approche sur le champ, d’enfin goûter sa bouche et ce vin si raffiné sur sa langue ; seulement, elle recule, et cet air fragile et vulnérable que je lui ai vu à notre première rencontre refait surface – comme si elle se livrait à un combat intérieur. Mon instinct se récrie, tire la sonnette d’alarme, mais il est trop tard : je suis dedans jusqu’au cou, et quoi qu’il en coûte, je ne compte pas baisser les bras avant de découvrir si le jeu en vaut la chandelle. — Comment savoir si je peux te faire confiance, Austin ? — Je te donne ma parole… de gentleman. — Mais tu n’as rien d’un gentleman ! Je souris comme un Méphistophélès, fier de lui offrir sur un plateau d’argent l’occasion de réaliser ses fantasmes les plus inavouables. — Tu as raison. Qui suis-je pour prétendre avoir le droit de lécher tes jolis petits pieds, Beauté ? Mais sache juste que mon truc, c’est le plaisir, pas la douleur. Tandis qu’elle serre les lèvres, je crois percevoir le vacarme de ses méninges qui turbinent. — Promis, il te suffira d’un mot pour que j’arrête. Tu pourras partir quand bon te semble. C’est pas un piège. Et si malgré tout tu te sens flouée, tu n’auras qu’à en parler à Jason. Rien ne lui ferait plus plaisir que de me réduire la face en bouillie. Il le ferait sans hésiter, crois-moi. Ma réponse semble la satisfaire. Elle fait machinalement glisser son pouce, son index et son majeur le long de la tige de son verre, et aussitôt ma queue frémit. Bordel, je donnerais n’importe quoi pour qu’elle me branle comme ça. Elle se lèche les lèvres et lâche un soupir. — Ça me va, tant qu’on en reste aux caresses. Caresses au sens large, j’entends. La note aiguë sur laquelle elle termine sa phrase trahit sa nervosité. De nouveau, j’entends retentir une sirène d’alarme, mais la victoire est trop proche, et si c’est elle qui fixe les conditions, je suis partant. — Je prévois d’aller beaucoup plus loin que de simples caresses, Beauté. Je compte bien te b****r. Fort, et plusieurs fois d’affilée. Mais d’abord, on va commencer par s’embrasser. Je marque une pause pour jauger sa réaction. Désarmée, elle me fixe, les yeux de plus en plus brûlants. J’ajoute : — Chaque centimètre carré du corps d’une femme mérite d’être recouvert de baisers. — J’espère que tu embrasses bien, au moins. — Tu ne seras pas déçue. Ça te ruinera l’expérience pour tous les suivants. Mon insolence lui arrache un rire. — Tes chevilles n’enflent pas trop, ça va ? — Je connais mes points forts, dis-je avec un haussement d’épaule. — Et après ce soir, on ne se revoit plus jamais, OK ? Parfait. S’il y a bien une chose dont je suis fier, c’est mon titre d’As du premier rendez-vous. La dernière fois que j’ai pris le petit-déjeuner avec une femme, c’était le matin de mon bal de promo. Et seulement parce qu’on était en groupe. Cela dit, maintenant que j’y pense, elle connaît mon frère… — Mais il y a Jason… — Seulement ce soir, me coupe-t-elle d’un ton ferme. Et dans l’éventualité hautement improbable où nos chemins se recroiseraient, je pense qu’on saura gérer. Je fais reculer ma chaise et l’aide avec la sienne, tout en m’imprégnant une fois de plus de son parfum. Je rapproche alors mes lèvres de son oreille. — Ça marche, lui dis-je dans un murmure. J’en profite pour lui mordiller le lobe. Je vois la peau de ses épaules frémir et se hérisser au passage d’un frisson. Elle finit par se lever. Je pose alors ma main dans le creux de son dos, mes doigts dangereusement proches de la courbe de ses fesses. Malgré le tissu de sa robe, je suis une nouvelle fois électrisé à son contact. Par chance, on parvient à s’éclipser sans recroiser Miles. Il n’approuverait sans doute pas, mais après tout, il n’est ni mon chaperon, ni le sien. — C’est le dernier ascenseur à gauche. Sitôt que l’ascenseur privé a reconnu ma carte magnétique et activé la fermeture des portes, je fais volte-face et la coince contre le mur de la cabine, la bloquant en plaquant mes mains de part et d’autre de son corps. Et c’est d’une voix ferme, presque brutale, que je lui assène : — Dis-moi d’arrêter, si ça te chante.
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