Chapitre 5
La maison semblait déserte ; l’oculus rectangulaire en verre brouillé, au milieu de la porte, ne lui permettait pas d’inspecter l’intérieur de l’habitation. Fletch, à l’aide de son courageux index, remit une petite dose de « dring dring ». Un chat vint se frotter contre son pantalon ; il le chassa d’un coup de pied en lâchant un juron. Le matou gueula avec son langage à lui : en chatois.
Une ombre traînante se dessina à travers l’oculus. La porte s’ouvrit. Avant que Fletch n’eût dit quoi que ce soit, le vieil homme grogna : « J’en veux pas ! »
— De quoi ? demanda Fletch.
— De c’que vous vendez !
— Mais je ne vends rien.
Nowski laissa passer quelques secondes et embraya : « Ce serait plutôt moi qui serais acheteur… »
— J’n’ai rien à vendre non plus ! le coupa le vieil homme.
Il s’apprêtait à refermer sa porte d’entrée ; Nowski glissa son pied dans l’entrebâillement.
— Si vous me laissiez entrer, monsieur Charbonot, ce serait plus simple.
À l’évocation de son patronyme, le vieil homme releva un sourcil. Comment connaissait-il son nom ? L’étiquette de sa boîte aux lettres était vierge de toute signalisation.
— Qu’est-ce que vous me voulez ?
— Vous parlez de Georges de La Tour.
La tête du vieil homme, avec ses cheveux blancs ébouriffés, dodelina d’incompréhension et son visage dissimula mal sa surprise. Il se retourna en laissant la porte ouverte, Nowski lui emboîta le pas. Charbonot se dirigea vers une pièce qui, à l’origine, devait servir de salle à manger et avec le temps s’était transformée en atelier de peinture. Une âcre odeur de tabac flottait dans l’atmosphère. Le vieil homme portait une chemise à carreaux à demi sortie de son pantalon de velours côtelé, retenu uniquement par ses bretelles. Le bouton supérieur, au niveau de la braguette, pendouillait par un fil à côté de la boutonnière.
Un vieux buffet Henri II, sans portes, abritait palettes, pinceaux, tubes de peinture, chiffons et tout un tas d’outils, identifiables uniquement par son propriétaire. À côté, près de la fenêtre, trônait un chevalet en hêtre huilé. Charbonot fit signe à Nowski de s’asseoir. Il sortit du buffet magique une bouteille de Chinon et en remplit deux verres à pied à l’aspect douteux.
— Alors ? dit le vieux en s’asseyant à son tour.
Nowski se trouva fort dépourvu, il sentit qu’il fallait trouver les bons mots afin de ne pas froisser son hôte… Après, il lui resterait toujours l’intimidation.
— Vous avez une bonne réputation de…
— Pas de flagorneries ! Qu’est-ce que vous voulez ?
— Je voudrais vous acheter des tableaux.
Charbonot se fendit d’un grand rire.
— Il y a longtemps que je ne vends plus, jeune homme… Je peux vous appeler jeune homme ? Quel âge que vous avez ?
— Trente-huit, mais ça n’a rien à voir… Je me suis laissé dire…
— Eh bien, ne vous laissez plus rien dire.
Charbonot saisit son verre et l’adressa en direction de Nowski : « À la vôtre ! C’est moi qui le mets en bouteille, en direct des caves d’un château près de Chinon, qu’est-ce que vous en pensez ? » Nowski commençait à le haïr. Fletcher était un obsessionnel ; depuis qu’il avait eu cette idée de casse, rien d’autre ne comptait. Aux faits, rien qu’aux faits, et le plus rapidement possible. Ce vieux con l’emmerdait.
— Je voudrais que vous me peigniez des de La Tour.
— Nan !
— Je sais qu’actuellement vous possédez une copie du Tricheur à l’as de carreau, je ne devrais même pas dire copie… Mais un faux, puisque vous l’avez peint aux dimensions originales sans lui apporter la moindre modification. Vous avez poussé le vice jusqu’à calligraphier la signature latinisée3 du maître, comme sur l’original, dans la pénombre du tapis vert de la table de jeux… Je me trompe ? J’ajoute que vous avez monté vous-même le châssis à l’identique. Et comme vous savez si bien le faire, vous l’avez vieilli à votre façon. Qui, je dois le dire, est inégalable, et inégalée puisque vous n’en avez jamais divulgué le secret, ni à la police ni lors de vos procès.
Charbonot avait blêmi, mais semblait serein. Il avait été un faussaire prestigieux, un faussaire pris en flagrant délit et condamné par la justice. À trois reprises. Vingt-trois ans derrière les barreaux. Il avait payé le prix fort. Maintenant il était libre, avec son Chinon, ses Camel, son cancer, et il emmerdait la terre entière.
Fletcher Nowski estima que le vieil homme avait bien encaissé le coup. Il poursuivit :
— Monsieur Charbonot, je ne suis pas de la police et je ne viens pas vous embêter. Je veux juste parler d’affaires avec vous… D’affaires honnêtes.
— Je ne voudrais pas vous vexer, mais quand on vous voit avec votre costard labellisé Al Capone et votre belle gueule de faux-cul, on n’imagine pas que vous puissiez faire des affaires honnêtes.
— C’est pourtant le cas… Je vous achète votre tableau.
— Pas à vendre. C’est clair ?
Nowski se plia en avant sur sa chaise vers son interlocuteur et, la voix mi-doucereuse, mi-menaçante, insista :
— Je vous achète votre tableau… plus quatre autres que vous allez exécuter pour moi.
— Monsieur, vous allez apprendre que je suis retiré des affaires et que je ne travaille plus que pour mon plaisir.
Doté néanmoins d’un tempérament curieux et de gènes de frondeur, Charbonot ne résista pas à la tentation d’en savoir plus.
— Les quatre autres tableaux que vous me demandez, c’est de qui ?
— De La Tour, également.
Le vieux siffla entre ses dents et se mit à rire.
— C’est du n’importe quoi ! Donnez-moi les noms, que j’me marre.
— Avant de vous donner la liste, dites-moi que vous acceptez.
— Nan !
— Bien, bien, dit Nowski, je vais quand même vous faire une fleur, voici la liste.
Il sortit de la poche de sa veste une feuille de papier pliée en quatre et la tendit à Charbonot. Le vieux se leva, ouvrit un des tiroirs du buffet Henri II et en extirpa une paire de lunettes demi-lunes.
Il énuméra à haute voix :
Le Vielleur aveugle, du musée de Nantes,
Le Nouveau-né, du musée de Rennes,
Saint Jérôme pénitent, du musée de Grenoble,
Le Songe de Saint-Joseph, du musée de Nantes,
Le Tricheur à l’as de carreau, du Louvre.
En silence, Charbonot alla s’asseoir, posa la feuille sur la table et ferma les yeux. Fletch craignit que le vieux ne fasse une attaque. Il l’entendit murmurer : « Mon Dieu », puis le vieil homme se reprit et fixa Nowski. Il bredouilla :
— Je ne connais pas votre nom, mais je devine vos intentions. Vous êtes fou à lier. Ce sont les cinq tableaux qui seront exposés dans quelques mois à Rennes. Je comptais m’y rendre. Admirer ces chefs-d’œuvre réunis, les plus beaux diurnes, Le Vielleur et Le Tricheur, ainsi que les plus beaux nocturnes, Le Songe de Saint-Joseph et Le Nouveau-né. Une merveilleuse idée que ce rassemblement. Qu’est-ce que vous voulez faire ?… Tricher ?
— Qui de nous deux est le tricheur, monsieur Charbonot ? Vous, qui avez peint un faux Tricheur, ou moi qui veux vous l’acheter ?
— Vous êtes cinglé, monsieur ! Monsieur… comment déjà ?
— Nowski ! Fletcher Nowski.
— Ça ne me dit rien…
— C’est normal, je suis quelqu’un d’honnête, je ne fréquente pas les mêmes milieux que vous.
— Sortez !
Charbonot se leva en désignant la porte d’entrée du doigt.
— Non, attendez ! On va s’arranger, vous allez voir combien je suis foncièrement honnête. Asseyez-vous, monsieur Charbonot, nous allons régler nos différends et vous allez tout comprendre.
— Le dernier qui vous a compris ne doit pas être encore né, vous êtes un vrai charlatan. J’ai deviné votre manège, Nowski. Vous voulez ces cinq tableaux pour les substituer à ceux de Rennes. Ce que vous ne savez pas, c’est que la technique vous a dépassé, tous les chefs-d’œuvre sont radiographiés dans tous les sens. Vous pouvez faire illusion cinq minutes, mais c’est tout. Il existe maintenant des logiciels qui, à l’aide d’une photo du tableau, pénètrent au cœur de la toile et en révèlent tous les secrets. Tout ça est fiché, répertorié et prêt à l’emploi. Raisonnez-vous, Nowski, vous n’avez aucune chance.
Fletch approcha sa chaise de celle de Charbonot pendant que celui-ci s’envoyait une lampée de Chinon au goulot de la bouteille. Quelques gouttes de vin dégoulinèrent à travers les poils non rasés de son menton et s’écrasèrent sur le parquet.
— Monsieur Charbonot, je ne veux pas que vous me peigniez des faux, mais des copies.
— Des copies ? fit le vieux, étonné.
— Oui, de simples copies.
— Vous voulez dire par là que je peux les peindre aux dimensions que je veux et y changer quelques détails ? Comme par exemple enlever l’aigrette qui orne le turban de la servante, sur Le Tricheur ? Aigrette ajoutée par un connard de restaurateur ? Habiller le Saint Jérôme d’un marcel en coton blanc ? Remplacer la vielle par une guitare électrique sur Le Vielleur de Nantes ?
Nowski se gratta la tête. Les bons mots, nom de Dieu, les bons mots.
— Exactement… hum… enfin presque.
— Presque quoi ?
— Vous faites de l’humour, là, monsieur Charbonot. Votre conscience artistique n’irait pas jusque-là.
— Vous ne pouvez pas vous imaginer où ma conscience peut se nicher. Vous fumez ?
Nowski, en plein sevrage tabacologique, refusa poliment. Charbonot, les doigts jaunis, alluma une Camel. La fumée chatouilla les narines de Fletcher. L’air absent, il lâcha à la sauvette :
— Je voudrais que vous peigniez les tableaux à l’identique et aux mêmes dimensions.
Des cendres tombèrent sur le pantalon en velours.
— Cinglé ! Je vous l’ai dit : vous êtes cinglé. À lester et à jeter dans la Loire. Tendez bien l’oreille, jeune homme : je ne ferai plus JAMAIS de faux.
— Ce ne seront pas des faux, puisqu’ils ne seront pas signés de La Tour.
Le vieux se fendit d’un nouveau rire.
— Encore heureux, parce qu’à part la signature calligraphiée du Tricheur, aucun des autres tableaux ne porte de signature. Comme la majorité de ses œuvres, d’ailleurs.
— Justement, c’est là que je veux en venir : vos tableaux SERONT SIGNÉS d’une autre signature que celle de Georges de La Tour. C’est pourquoi ce ne seront pas des faux, mais des copies.
Éberlué, incrédule, Charbonot dévisagea Nowski. Ce type était plus que fou à lier, non seulement il parjurait de La Tour, mais il se foutait de la gueule de l’art en général.
— C’est non pour tout. Adieu, monsieur Nowski.
Fletcher, pensif, se gratta la nuque.
— Je ne voulais pas en arriver à ces extrémités, monsieur Charbonot… Si l’on évoquait les trois tableaux des frères Le Nain, qui font la fierté de certains de nos musées. C’est votre modestie qui vous a poussé à ne jamais révéler que vous en étiez l’auteur. b****r les conservateurs, les experts de toute engeance… Vous devez bien vous marrer que l’on s’extasie devant ces toiles.
Les épaules du vieil homme se voûtèrent. Il écrasa son mégot dans une soucoupe à café et cracha à la face de Nowski :
— Bon Dieu de s******d ! Comment savez-vous cela ?
— On a fréquenté les mêmes lieux ; les soirées sont longues en zonzon, alors on discute, on se confie, de compagnon de cellule en compagnon de galère. Vous avez dû apprendre beaucoup de choses en vingt-trois ans, monsieur Charbonot ?
Le silence du vieux apporta beaucoup d’espoir à Fletcher Nowski. Veni, vidi, vici, pensa-t-il, Charbonot a un genou à terre. Ne pas lui laisser de répit.
— Je vous offre mille euros par toile. Je les veux dans trois mois…
— Dix mille euros pour les cinq tableaux, baragouina le vieil homme.
— Non ! Cinq mille !
— Alors, j’les fais pas.
— Pensez aux Le Nain…
— Fumier ! Ordure…
— Pas de gros mots entre nous, monsieur Charbonot. Je vous fais une fleur : six mille euros, dont la moitié payable tout de suite.
Nowski extirpa de sa poche les devises tassées en liasse de la banque « Ben & Baudouin-Baudouin & Venceslas ». Banque généreuse, si rare de nos jours. Il tendit les billets à Charbonot qui, soudain dédaigneux, tourna ostensiblement la tête vers son chevalet.
— Trois mille ! Vous pouvez compter.
— Posez ça sur la table, je ne veux pas toucher à de l’argent sale.
Nowski repoussa une boîte remplie de tubes de couleurs et abandonna ses billets près de la bouteille de Chinon. Charbonot jeta un regard furtif sur l’argent : et ses pensées s’évadèrent vers Clara la charnue, la p**e et la patronne en titre du Lotus Blues. Il se versa un nouveau verre de vin, sans en proposer à Nowski.
— C’est bon, le Chinon, dit Fletch.
— Celui-ci particulièrement, j’le bouche moi-même…
— Vous me l’avez déjà laissé entendre.
Nowski se leva. Charbonot lui fit signe de se rasseoir : « On n’a pas terminé, jeune homme. Et la signature ? »
— Je vais vous la donner. Vous signerez tous les tableaux en haut à gauche, d’une écriture calligraphiée de couleur blanc cassé. Les lettres minuscules devront faire huit millimètres de hauteur environ…
— Mais de La Tour ne signait jamais ses tableaux en blanc.
— Avec moi, si !
— Qui me dit que vous n’allez pas les effacer ?
— N’ayez aucune crainte, incrustez-les dans la matière de vos pigments si vous avez des doutes. Ah ! j’y repense : vous encadrerez les cinq toiles avec de la moulure M 123A. Maintenant, montrez-moi Le Tricheur à l’as de carreau.
En allant chercher sa toile, le vieux pensa aux cinq œuvres de La Tour avec leurs signatures blanches. Ce Nowski les connaissait bien, car le coin supérieur gauche des cinq tableaux était dans la pénombre, presque la nuit. Il revint avec Le Tricheur, une grande toile de cent quarante-six centimètres de largeur par cent six centimètres de hauteur. Nowski, qui s’était levé, retomba le cul sur sa chaise. C’était fantastique, il mâcha des mots qui ne sortirent pas de sa bouche. On aurait dit la patte du maître de Lunéville, ou pour le moins une copie d’atelier de la même époque. « Merveilleux », balbutia-t-il. Ce Charbonot était un génie.
— Maintenant, accouchez votre signature !… Il faut que je sorte et j’ai une douche à prendre.
Nowski se leva, ses yeux quittèrent le tableau. « Vous allez les signer : Ducon-Lajoie ! » Charbonot tituba et, en prenant appui sur le châssis de la toile, s’écroula sur sa chaise, abasourdi. Ce type était fou à lier, à lester et à jeter dans la Loire.
— Vous avez bien entendu, monsieur Charbonot : « Ducon-Lajoie » ; comme ça, terminés vos soucis. Vous ne serez pas inquiété par la police. Vous n’irez pas en prison pour faux. Et vous pourrez continuer à aller aux putes. (Il prit l’accent allemand.) C’est une Kolossaale Blaissandeerie ! Ce Dugon-Lachoie !
Fletcher claqua des talons et rit aux éclats. Le vieux le regardait avec des yeux grands comme des soucoupes. Quand on se réveille le matin, on ne sait jamais de quoi la journée sera faite. Mais celle-ci resterait gravée dans sa mémoire.
— À dans trois mois, monsieur Charbonot, ne me décevez pas !
À nouveau seul, le vieil homme déboucha une bouteille de Chinon et but au goulot : « Il a raison, ce con : c’est bon, le Chinon, et je l’emmerde. » Puis il pensa à Clara, du Lotus Blues : « Tu vas voir, ma s****e, si j’suis un vieux chnoque. Renifle mes biftons ; hein, ça sent bon, ça commence à te couler entre les cuisses, la démangée du cul. Alors maintenant, je veux la spécialité maison. »
Nowski regagna le 4 x 4. Il aperçut, garée derrière à quelques longueurs, la Mercedes noire. Elle n’avait pas bougé d’un pouce. Il esquissa un sourire. Ça sentait la cage aux lions à l’intérieur du véhicule. Fletch baissa sa vitre. Baudouin-Baudouin venait manifestement de s’envoyer une nouvelle lampée de Jack Daniel’s, il puait le whisky à plein nez. Ben avait les mains sur le volant et l’oiseau de proie jouait avec la culasse d’un flingue, un vieux Walther allemand P-38 fabriqué sous licence au Japon en 1972. Nowski détestait les armes ; aussi, par le moyen de communication habituel, il balança son poing droit dans l’appuie-tête de Venceslas, qui rangea immédiatement son joujou dans la boîte à gants.
— Alors ? hoqueta Baudouin-Baudouin.
— Alors, t’arrêtes de picoler, sinon je te vire du coup…
— T’oublies que j’ai investi mes vaccins, le coupa Baudouin-Baudouin, et que par conséquent je suis actionnaire dans cette entreprise. Et de ce fait, je dispose même d’un droit de veto dans le conseil d’administration de notre petite société.
— Bau-Bau, ne m’énerve pas, s’il te plaît, sinon je vais devenir v*****t.
Venceslas se racla la gorge et déclama, sur le ton de celui qui s’en fout un peu, mais qui regrette quand même :
— Je suppose que tu n’as plus notre oseille ?
— Bien deviné !
— Toi aussi tu as investi mille euros ?
— Tu en douterais ?
— Non non, je disais ça comme ça. Histoire de parler.
— J’aime mieux ça !
— Donc, tu viens de filer quatre mille euros à quelqu’un dans le quartier ?
— Tout juste.
— Et pourquoi ? Il a à voir avec les de La Tour ?
Malgré lui, Fletcher Nowski dut se résigner à donner de la pâtée aux chiens. Ils pouvaient devenir enragés.
— Nous avions besoin, pour continuer cette aventure, d’un spécialiste de Georges de La Tour. Il se trouve que, par un pur hasard, il se trouve justement à Tours. En général, ses résidences secondaires sont plutôt du côté de Fleury, de la Santé ou de Fresnes. Ce faussaire génial va nous peindre les cinq toiles qui seront présentes en Bretagne…
— Ce seront des faux ? le coupa Ben.
— Évidemment, puisque les vrais seront exposés à Rennes.
— Les vrais, que nous piquerons ? demanda Baudouin-Baudouin, perplexe.
— Bien sûr, affirma Nowski.
— Alors pourquoi dépenser du pognon dans des faux ? argumenta le gros à carreaux. À moins que tu ne veuilles faire une substitution.
— Impossible ! Les tableaux arriveront des quatre coins de France, et pas tous en même temps. Par ailleurs, je suppose qu’il y aura une armée de gardes, rendant toute substitution impossible.
Nowski jeta un froid dans l’habitacle. Il s’en aperçut et demanda à Ben de démarrer et de jeter un œil dans le rétroviseur.
— Ils nous suivent, dit laconiquement Ben.
Venceslas prit la parole :
— Je vais vous expliquer ce qui va se passer : ces mecs-là vont pas nous lâcher jusqu’à c’qu’on fasse le coup. Ensuite, ils voudront tout le gâteau et nous descendront pour ramasser le butin. Nom de Dieu, Fletch, si t’avais pas causé au petit Nardelli !
Nowski s’énerva :
— C’est vrai, j’ai jacté un peu. Que j’étais sur un coup, tout ça. Mais c’est tout, ils ne savent ni où, ni quoi, ni comment. La meilleure preuve, c’est qu’ils nous suivent. Avec ce que j’ai préparé, quand nous passerons à l’action, ils n’y verront que du feu. Mais humblement, je reconnais que c’est un souci supplémentaire dont on se serait bien passé… N’oubliez pas que nous allons être millionnaires en euros. Si vous savez gérer, c’est le dernier boulot de votre vie. Alors merci qui ? (Il dut répéter.) Merci qui ?
— Fletch ! firent trois voix à l’agonie.
— Merci de votre enthousiasme. Une fois rentrés à Paris, chacun reprend ses activités, médicales ou autres. Sachez que, personnellement, je continuerai à travailler sur cette affaire ; quelques détails à régler. Dans trois mois environ, je vous contacte et en route pour la Bretagne.
Le gros à carreaux leva le doigt.
— Tu veux dire quelque chose, Bau-Bau ?
— Y’a un truc qui me chiffonne. C’est avec des histoires de faux tableaux que j’ai enquillé le plus de jours de zonzon…
— Je vais te rassurer, Bau-Bau, l’interrompit Fletch, ce ne sont pas des faux mais des copies.
Devant la stupéfaction du gros, il précisa :
— Ils porteront une signature qui éliminera toute équivoque.
— Ah bon ! laquelle ?
— Ducon-Lajoie !
Ben faillit lâcher le volant et renverser un cycliste. Venceslas déplia un Kleenex pour se moucher. Baudouin-Baudouin porta la main au revers de sa veste pour saisir sa flasque, mouvement interrompu par le bras ferme de Nowski : « Arrête de boire, Bau-Bau ! »
3. Georgius De La Tour Fecit.