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Paris et les Parisiens en 1835

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Extrait : "Ma chère amie, En me disposant à visiter Paris, j'ai bien certainement eu l'intention de publier mon opinion sur ce que je verrais ou entendrais dans cette capitale; et afin d'être aussi fidèle que possible dans ma description, je m'étais proposé de suivre mon ancienne habitude et d'inscrire dans mon journal tout ce qui me paraîtrait offrir quelque intérêt, les grandes choses comme les petites."

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Lettre première
Lettre premièreDifficulté de rendre compte systématiquement de ce qui se passe aujourd’hui en France. – Plaisir de revoir Paris après une longue absence. – Ce qu’il y a de changé. – Ce qui est reste de même. Paris, 11 avril 1835 Ma chère amie, En me disposant à visiter Paris, j’ai bien certainement eu l’intention de publier mon opinion sur ce que je verrais ou entendrais dans cette capitale ; et afin d’être aussi fidèle que possible dans ma description, je m’étais proposé de suivre mon ancienne habitude et d’inscrire dans mon journal tout ce qui me paraîtrait offrir quelque intérêt, les grandes choses comme les petites. Mais la tâche que je me suis imposée m’effraie. Il n’y a encore que peu de jours que je suis arrivée ici, et déjà je m’aperçois que mon journal s’étend bien plus que je ne l’aurais voulu. Je me vois embarrassée dans un tel labyrinthe de sujets intéressants, que si je voulais les décrire avec un ordre et une règle quelconque, je me verrais entraînée dans une entreprise bien au-dessus de mes forces. Tout ce que je pourrais me flatter de faire serait d’effleurer les objets, et en vous écrivant j’aurai du moins cet avantage, que je me dissimulerai à moi-même la présomption qu’il y aurait de ma part à vouloir écrire un ouvrage sur la France, et il me semble que je ne fais que jeter mes notes dans une forme un peu moins familière. Je m’entretiendrai donc avec vous, comme je le pourrai, des choses qui auront fait le plus d’impression sur moi au milieu des innombrables objets qui frappent de tous côtés mes yeux, et des sons qui retentissent de toutes parts à mon oreille. Si plus tard, nous nous décidons, d’un commun accord, à faire passer ces lettres sous les regards du public, j’ose croire que mes lecteurs ne seront pas assez exigeants pour prétendre que je les instruise en détail de tout ce qui a rapport aux destinées passées, présentes et futures de ce remarquable pays. Il faudrait en effet que ma plume fût bien hardie pour essayer d’écrire sur la Jeune France, comme on se plaît à l’appeler, avec un ordre ou une précision quelconque, dans un moment où je suis encore environnée de toutes les singulières nouveautés qu’elle me présente. Raisonner sur ce qu’elle a fait, sur ce qu’elle fait encore, et, ce qui est bien plus difficile, sur ce qu’elle s’apprête à faire, quand on ne s’est pas encore bien rendu compte de ce qu’elle est, exigerait une tête plus forte que n’en possède la généralité des personnes. À dire la vérité, je suis portée à croire que mes descriptions ressembleront beaucoup à ces vers énigmatiques dont on amuse les enfants. J’ai vu un lion avec une queue enflammée,J’ai vu une comète faire tomber de la grêle,J’ai vu un nuage, etc.Or, ces vers offrent des vérités toutes simples et toutes naturelles, et le merveilleux ne gît que dans la manière de placer la virgule. Ce sera donc à vous, et aux autres lecteurs que je pourrai avoir, que j’abandonnerai le soin de ponctuer mon récit, et je me bornerai à dire : « J’ai vu ; » car ce n’est pas d’aujourd’hui que je sais que s’il est assez facile de voir ou d’entendre, il n’est pas toujours sûr que l’on ait bien compris ce que l’on a vu ou entendu. Il y a tout juste sept ans et sept mois que j’ai visité pour la dernière fois la capitale de la Grande Nation. Cet intervalle est long, si on le considère comme faisant partie de la vie de l’homme, mais qu’il est court quand on réfléchit aux évènements qu’il a amenés ! J’ai laissé le blanc drapeau de la France flottant gaiement sur un palais, et je le retrouve arraché, foulé aux pieds. Les lis si renommés, qui pendant tant de siècles furent le symbole de la valeur chevaleresque, sont partout effacés, et l’on dirait que l’écu de saint Louis et François Ier est brisé et renversé pour toujours. Mais tout cela, dit-on, était des vieilleries. La France est rajeunie, et l’on m’assure que, d’après l’état actuel de l’esprit humain, les choses ne devaient pas se passer autrement. La chevalerie, la gloire, les écussons, les bannières, la foi, la loyauté, et autres bagatelles de ce genre, sont toutes passées de mode. On me dit qu’il suffira que je jette les yeux autour de moi pour me convaincre que la génération actuelle des Français sait parfaitement bien s’en passer ; et l’on ajoute que cette occupation sera beaucoup plus profitable et plus divertissante pour moi que de pleurer sur les vieux souvenirs de leur ancienne grandeur. La sagesse de cette observation m’a paru si évidente que j’ai résolu d’en profiter ; je me rappelai qu’étant Anglaise ce n’est pas précisément à moi qu’il convient de porter le deuil de la gloire déchue de la rivale de ma patrie. Dorénavant donc je tâcherai, tant que je pourrai, d’oublier le drapeau tricolore qui me déplaît, quand ce ne serait que parce qu’il jure singulièrement avec les règles du blason, et je ne songerai qu’à m’amuser, affaire à laquelle on ne se livre nulle part aussi facilement qu’à Paris. Depuis que j’ai quitté Paris, j’ai fait le demi-tour du globe, mais rien de ce que j’ai vu dans mes voyages n’a pu affaiblir le sentiment de plaisir avec lequel je rentre dans cette ville gaie, brillante, pleine de bruit et de mouvement, dans cette ville que, plus que tout autre, on peut appeler la Cité des Vivants. Et, en effet, où trouver un lieu dont le souvenir fasse paraître triste l’air de joie perpétuelle qui règne à Paris ? Y a-t-il dans le monde entier des assemblages d’objets d’arts aussi jolis et aussi variés que ceux qui s’y rencontrent à chaque pas ? Quel est le pays où l’âme, oppressée de chagrins, puisse avec plus de facilité oublier un instant ses peines ? Il doit vraiment être froid, usé et mort, le cœur qui ne bondit pas de plaisir en revoyant Paris après une longue absence. Car, quoique un trône ait été renversé, les Tuileries restent encore ; quoique le principal tronc d’un arbre, vraiment royal, ait été déraciné, une pousse qui restait et qui s’était égarée au loin a été soigneusement barricadée, arrosée, cultivée, afin de le remplacer. Les boulevards sont toujours les mêmes ; et il n’est point de révolution, si violente qu’elle soit, qui puisse faire disparaître cette légère et précieuse essence des attraits de Paris. Les fondements de la société se sont ébranlés, et les vieux ormes des boulevards continuent à jeter leur ombrage sur une foule bigarrée, que l’on pourrait prendre, si ce n’était pour l’imagination toujours active des marchandes de modes et des tailleurs, pour la même qui se réunissait gaiement sous leur vert feuillage quand ces arbres étaient jeunes encore. Puisqu’il en est ainsi, et puisque divers autres charmes, dont je parlerai à leur tour, continuent à proclamer que Paris est toujours Paris, il y aurait de la folie à passer le temps de notre séjour ici à rêver d’un passé qui n’est plus, au lieu de nous efforcer d’être aussi éveillés que possible pour bien jouir d’un présent qui existe. Adieu

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