– Qu'est-ce que j'entends ?
Piétinant de colère, Kaya débarqua subitement dans le lieu où s'était regroupé une dizaine de combattants de Vanupas discutant vivement entre eux. Quand ils entendirent sa voix, ils se turent et la fixèrent avec appréhension, craignant que sa fougue ne soit dirigée malencontreusement vers eux.
– Un intrus a pénétré le camp sans que nous en soyons informés à temps. Comment et pourquoi avez-vous laissé une chose pareille se produire ?
Un adolescent d'environ 14 ans prit les reines et s'élança dans une explication brève, qu'il espère, essuiera le malentendu. Il détestait s'attirer les foudres de sa cheffe et forte heureusement, sa voix ne trembla pas une seule fois.
– Nous sommes désolés de n'avoir rien pu faire ! Nous avons voulu riposter, mais l'ancien s'est interposé et nous a interdit formellement de lever l'arme.
Un jeune homme, de la même tranche d'âge qu'Akkun intervint à sa suite :
– Nous les avons laissé passer sous ses ordres également... Et tu sais qu'en ce qui concerne ce genre de décisions, c'est lui qui a le dernier mot.
Kaya semblait moins tendue et le feu qui se lisait dans ses yeux s'adoucit sans toutefois apaiser son ardeur :
– Rassure-toi Isaac, ça je le sais !
Elle soupira puis croisa ses bras :
– Mais leur permettre de s'introduire au milieu de nous sans connaître leurs intentions, c'est... Attends ! Ils sont plusieurs ?
– C'est exact et pas qu'un peu, répondit Isaac la mine grave. En ce moment, ils surveillent les alentours de la cabane de l'ancien et interdisent à quiconque d'approcher.
« Qu'est-ce qu'il se passe dans la tête de l'ancien ? En laissant une chose pareille se produire, il nous expose. Nous traiter de misérables ne leur suffit pas, qui sait de quoi ils sont capables ? » songea Kaya amèrement en serrant les poings.
Elle n'en revenait pas. Pourquoi tout ça doit arriver maintenant, de tous les jours ? Elle en a assez des injustices. Elle va mettre au propre cette perfidie au plus vite. Hors de question que son anniversaire soit plus que gâché.
C'est malin ! Elle ne pouvait pas faire marche arrière et à cause de sa précipitation, elle a oublié de se munir de ses lances. Mais peu importe.
– J'ai besoin d'une arme, n'importe laquelle fera l'affaire.
Elle sera fermement l'arme qu'on lui tendit et déclara d'un ton revêche, en parfait contraste avec la Kaya enfantine, fraîche et accueillante qu'ils ont l'habitude de côtoyer. Elle avait revêtue sa cape de leader.
– Maintenant, tenez-vous prêts à riposter à n'importe quel moment !
Ils hochèrent la tête avec une résolution ferme et inébranlable.
– Compte sur nous !
.
.
.
Non loin de la hutte de l'ancien, étaient postés quelques gardes qui avaient reçu l'ordre de surveiller les alentours pour empêcher quiconque de rôder trop près. À leur arrivée, personne n'avait voulu s'approcher d'eux, les habitants étaient tous emprunt à l'indignation et à la colère, leur présence ici était pour eux une ignominie avec une impression d'être crachés au visage pour la deuxième fois.
Les festivités battaient toujours leur plein quand tout ceci se produisit, ils ont dû arrêter les réjouissances pour se mettre immédiatement sur leur garde. Cette b***e de scélérats de la ville principale n'était point la bienvenue.
– ATCHOUM !!! Snif ! Bon sang, on se les gèle ici ! Pesta un garde malheureusement peu vêtu pour le climat. Qu'est-ce qui était si urgent pour que le grand sage mette ses pieds dans ce trou paumé ?
– Qu'est-ce que tu veux que j'te dise ? Rétorqua son collègue d'un ton cinglant, va lui demander si tu y tiens ! Ça ne m'étonnera pas si on retourne dans la ville sans toi.
Un autre ajouta pensivement en se frottant les bras :
– À mon avis, c'est sûrement une inspection de routine. Notre présence est juste pour assurer la protection du grand sage.
– Une inspection de routine ? C'est possible ça ?
– Encore une fois, tu t'adresses aux mauvaises personnes, nous sommes juste des soldats qui obéissent aux ordres quelque soit le motif. Nous n'avons pas le temps de s'occuper des détails.
– Pff ! Ne me fais pas la leçon non plus, je suis juste curieux, c'est tout... Mon corps est tout engourdi, si je n'articule pas un muscle dans les dix secondes, je gèle... Tsk ! Comment ils font pour survivre dans cet enfer ?
– Pour ça, je suis d'accord avec toi. Ça pue la misère, tout est insupportable. Le temps, le lieu, les animaux, de vrais fléaux pour une mort certaine... Vous voyez ça ? Y'a plein d'enfants en plus des familles.
– J'imagine que la plupart sont des orphelins, le chef ne lésine pas sur ses moyens pour faire respecter la loi quitte à impliquer des gamins, répliqua l'un d'eux en haussant des épaules. Enfin, tant que ça nous épargne du malheur.
Le dit-garde était accroupi tandis qu'il essayait d'allumer un petit feu avec des branches et des feuilles séchées. Ces damnés avaient éteint le grand brasier au milieu de la cour à leur arrivée et s'étaient engouffrés dans leur taudis, les laissant en plan pour affronter ce temps maudit.
« De vraies pourritures ! Ils n'ont qu'à se plaindre de leur sort ou crever peu importe, ils ne valent rien ! »
– C'est des plus-que-maudits, déclara-t-il avec indifférence. Jusqu'à preuve du contraire ce sont des cadavres ambulants. Je ne les donne pas deux ans pour résister à tout ça et jusque-là, je pense que d'autres condamnés auraient déjà foulés le seuil. C'est toujours un bon débarras.
– Au fond, tu es vraiment quelqu'un de rude, ricana son confrère. Tu pourrais être à leur place, tu sais ?
– Moi, un paria ? Peuh ! Je préfère encore mourir d'une flèche dans le cœur que de devenir un damné plus-que-maudit...
Slash !
Le bruit d'un objet filant bourdonna dans ses oreilles. Avant qu'il ne se demande ce qu'il se passe, il ressentit une douleur aiguë transpercé son épaule.
Tous les regards rivèrent à présent vers leur camarade qui croassa de douleur en tenant son épaule saignante, un poignard fermement planté dans le muscle deltoïde. Ils se mirent à rechercher activement la cause, mais ne vit rien, ni personne.
– Hé ! Qui a fait ça ?
À l'instant, un individu émergea de l'ombre et s'avança lentement. Les rayons de la lune éclairèrent sa silhouette à la vue de tous, ses iris brunâtres brillèrent avec dangerosité.
– C'est qui cette fille ?
L'esprit enragé, le blessé vit l'arrivante se diriger vers eux d'un pas lent et assuré. Elle tenait en main un poignard très semblable à l'arme incriminée.
– Ngh ! Elle n'a quand même pas osé ? POUR QUI TU TE PRENDS SATANÉE PARIA ?
Il grogna de douleur alors qu'il arracha le couteau de sa chair faisant jaillir plus de sang. L'un d'eux s'empressa de faire pression sur la plaie, heureusement pour lui peu profonde, tandis que les autres se mettaient en garde.
– Oh ! C'est juste vous, de simples hommes, exprima-t-elle sans la moindre trace d'émotion. J'ai cru apercevoir l'ombre d'un animal sauvage, ce qui est très courant ici à Vanupas et... J'ai juste agi par instinct.
Quand elle fut assez proche, elle se stoppa et les dévisagea avec mépris :
– À ce que je constate vous n'avez pas de très bon réflexe même un enfant de dix ans aurait fait mieux.
– Ne t'approche pas plus-que-maudite ! Recules maintenant au risque de le regretter !
– Je n'ai pas d'ordre à recevoir de vous, sordides mécréants ! Maintenant, ôtez-vous de mon chemin ! Sachez que je n'ai pas de temps à perdre !
Elle appuya ses mots en tendant son arme dont la lame argentée affichait une lueur aussi aiguisée que ses pupilles ambres.
Manipuler ce type d'objet était un jeu d'enfant quand on a passé toute sa vie à manier des armes. Il lui suffisait juste de calculer la bonne trajectoire et d'appliquer la force nécessaire à la propulsion. Atteindre son cœur n'était pas réellement un défi.
Ses yeux se posèrent ensuite sur le blessé. En vérité, elle n'avait pas l'intention d'attenter à sa vie, n'étant point une meurtrière comme eux et plus que jamais, elle ne s'abaissera à leur niveau. Un peu de souffrance ne lui fera pas de mal et au moins, il se mettra à carreaux pendant un moment.
– Tu as déclaré de toi-même que tu préfères mourir d'une flèche dans le cœur que de te savoir condamné, eh bien, j'ai voulu t'aider avec ça. C'était un test pour voir jusqu'où va ta loyauté, ce qui est pitoyable, je te le confirme !
Avec un éclat d'avertissement, elle ajouta :
– Ceci étant dit, si tu élèves encore des propos aussi désobligeants à notre égard alors que je suis dans les parages, tu peux être sûr que je ne raterai pas mon coup. Il en va de même pour vous !
Accablés par le culot de cette fille, ils grognèrent et claquèrent leurs armes en signe de mécontentement :
– Non mais que crois-tu ? Tu penses qu'une sauvageonne aussi fragile que toi peut nous intimider ?
– Retourne dans les jupons de ta mère avant que nous ne te donnions une leçon !
Tout à coup, il eût un bruissement venant de la porte qui s'ouvrit en vrac. Un homme trapu, vêtu d'une cuirasse, armé d'un sabre attaché à sa ceinture et tenant à sa main une chope, en sortit. Il balaya les alentours d'un regard inquisiteur.
– Que se passe-t-il ici ? Vous en faites du raffut ! Persifla-t-il de sa voix bourrue. Le fait que vous montiez la garde ne vous autorise pas à piailler comme des oiseaux !
Ses petits yeux perçants firent halte sur une jeune fille de taille moyenne, d'une assez belle carrure pour son âge, aux épaules étroites et au joli visage, toutefois peu vêtue, mais semblant ne point s'en soucier de par sa posture.
– Que vois-je ? Une importune ?
Il fronça les sourcils alors qu'il se creusait la tête pour savoir où il l'avait déjà vu. Lentement, un sourire presque béat se dessina sur son visage rond et barbu :
– Et que dirais-je, pas n'importe laquelle... Il s'agit bel et bien là de la fille unique d'Edréï... Rah ah ah ah ! Je savais que j'avais déjà aperçu ce minois quelque part.
.
.
.
.
.
♦‡♦