‡Chapitre 3 : Vanupas (1)‡

2005 Words
Entre cordillères aux cimes abruptes s'étendant du nord à l'est, en passant par la forêt noire au midi jusqu'aux dunes écarlates à l'ouest, se trouve la plaine de Vanupas, terre isolée du territoire d'Aroër qui est, depuis des siècles, occupé par le peuple de la tribu portant le même nom. Le camp de Vanupas est le lieu où sont exilés les parias de la tribu d'Aroër, ceux dont les actes ont été jugés comme signe de rébellion vis-à-vis de la tribu ou comme actes diffamatoires à l'égard de l'être céleste, le Divin Suprême. Après avoir été marqué d'un sceau de distinction sur le dos : le sceau de culpabilité, les coupables, souvent accompagnés de leurs familles, sont immédiatement retranchés du milieu du peuple pour cette terre d'exil en signe de pénitence jusqu'à trouver une mort certaine et bien sûr naturellement cruelle. La loi prohibe fortement l'exécution directe, c'est pourquoi les parias sont condamnés à croupir dans cette prison au cœur de la nature. Les malheureux sont abandonnés à eux-mêmes, coupés du reste de la civilisation. Ils portent le nom de plus-que-maudits, car la tribu d'Aroër en elle-même est un peuple maudit et cette conjoncture dure depuis 770 ans selon le calendrier Ari. . . . Le soleil brillait ardemment au-dessus de leur tête aussitôt que Kaya et Akkun émergèrent des sombres collines ombrageantes. Peu importe la distance parcourue, ces derniers ne présentaient aucune marque de fatigue, toutefois ils avançaient toujours prudemment et ce même lorsque le camp fut nettement en vue. Bien qu'ils semblaient habitués à la chaleur, le corps humain étant ce qu'il est, ne peut s'adapter aux températures extrêmes sans en subir les conséquences. La sueur perlait à grosse goutte sur leur front et autre partie du corps, donnant à leur peau sombre un aspect luisant, les marques tribales écarlates ornant leur figure ne semblaient pas affectées par le liquide salé, leurs vêtements n'étaient pas épargnés, développant des tâches humides. L'envie de prendre un bon bain suivit d'un repos bien mérité devint une perspective plus qu'alléchante et urgente, surtout pour Kaya. Elle voulait tant bien que mal accélérer le pas, mais devait se tenir auprès de son binôme par pure commodité. Durant ce temps, la jeune fille se perdit dans ses pensées. ... « Les croyances sont telles qu'on estime que dès lors où nous sommes déportés dans la plaine de Vanupas, notre vie s'arrête là. Il est bien vrai que notre existence n'a plus aucun sens ; car vivre dans une prison en ne comptant que sur son instinct de survie est différent de vivre librement où les possibilités de s'épanouir sont infinies. Toutefois, n'est-ce pas là, la beauté de l'adaptation humaine ? Depuis des siècles, à force de se forger un mental à toute épreuve, l'espérance de vie dans les plaines de Vanupas est allée sans cesse croissante : En élevant des remparts pour éloigner tout animal sauvage, en délimitant des lieux où le danger était plus proéminent, en bâtissant des foyers à l'épreuve des tempêtes impétueuses en provenance des dunes. Nous avons riposté autant que nos forces nous l'ont permis... Malgré toutes ces prédispositions, l'on n'a jamais pu prédire le prochain malheur et ce qui doit arriver arrive. C'est le moment le plus redouté des habitants de Vanupas car la terre vient nous engloutir un à un du jour au lendemain. Quand la mort frappe à ta porte ici à Vanupas, tu deviens pour de bon de l'histoire ancienne. En tant que survivants, nous déplorons la perte de nos biens aimés, mais en même temps, nous savons que nous n'y pouvons rien. Toujours est-il que jamais oh ! Grand jamais, je ne m'y ferais ! Pourquoi nous faire vivre autant dans la peur ? Pourquoi implanter en nous le doute de notre propre existence ? Sûrement parce que nous sommes maudits avant d'être plus-que-maudits. Mais est-ce pour autant que nous méritons un tel créneau de tourment ? N'appartenons-nous pas aussi à ce monde ? Qui que tu sois Divin Suprême, ce châtiment est trop cruel. C'est notre fardeau, c'est notre malédiction, mais je m'y oppose du plus profond de mon être. Un jour, ce supplice prendra fin et les coupables paieront pour toutes ces successions d'atrocités. Et ce même si je dois entamer une descente aux enfers pour ça ! » . . . Un rempart aux poutres hautes, reliées solidement par des cordes épaisses, délimitait le camp de l'environnement funeste. Une palissade faite de deux montures en bois faisait office de seuil, l'espace était largement ouvert, laissant entrevoir une scène familière : des huttes en terre cuite aux toits de chaume étaient construites en demi-cercle, délogeant un grand espace au centre qui servait de cour principale ou de lieu pour divers rassemblements. Les adultes surtout les plus âgés se prélassaient dans l'ombre ; la fumée s'élevant des cheminées était le signe que d'autres s'activaient pour le souper du soir. Les enfants gambadaient entre les habitations sans se soucier du monde, manipulant de la terre d'argile en moulant des formes quelconques ; un autre groupe couraient derrière un ballon fait de chaume, mais solide. Même si tout ce petit monde semblait occupé, dès leur arrivée, notre paire ne passa pas inaperçue : – Hé les amis ! C'est grand-sœur Kaya et grand-frère Akkun ! S'écria un bambin haut comme trois pommes en pointant du doigt les deux individus franchissant le portail. Il se leva de devant une motte de terre arrondie telle une petite colline et courut vers les nouveaux venus. Ses camarades de jeu se levèrent tout aussi promptement et tous l'emboitèrent avec le même enthousiasme. Ils parlaient tous en même temps, remuant tantôt çà et là des mots dont la signification n'avait de sens que pour eux. Aussitôt que les plus âgés furent encerclés, les hurlements de joie furent remplacés par des exclamations de surprise et de terreur à présent que leur attention dérivait tous en direction de la cargaison que le jeune homme avait en remorque : – Ouah ! Z'avez vu la taille de ce truc ? – C'est é... énorme et monstrueux ! – Et super moche aussi ! Beurk ! Ils étaient ébahis et effrayés en même temps. – Hic ! Je peux pas voir ça... Il me fait trop peur. Une petite-fille recula et se tint à l'écart sans toutefois quitter le cercle, son geste fut repris par trois autres enfants approuvant ses dires. – Oui, à moi aussi... Dis grande-sœur, il est mort pour de vrai hein ? Malgré son état cadavérique, la bête sauvage semblait toujours imposante, ses poils rêches étaient dressés avec une incroyable vivacité et la noirceur de celles-ci brillait encore plus sous la lumière du soleil ardent, des tâches pourpres étaient parsemées sur son cou, du sang frais coulait le long de sa mâchoire entrouverte. En effet, même mort, ce gibier avait l'air plus vivant que nature. Riant quelque peu d'amusement, Kaya s'accroupit pour se tenir à leur niveau. – On est encore fleur bleue à ce que je constate, ce n'est pas grave maiiis... qu'ai-je dit à propos de la peur ? Elle émit un petit bruit réprobateur et fit non de la tête. Le visage de certains enfants se voila d'une innocente culpabilité. Kaya soupira en fermant les yeux et quand elle l'ouvrit, ses prunelles ambre brillaient d'un éclat doux et gentil. Elle tendit sa main et frotta tendrement la tête d'un petit enfant. – N'oubliez pas où nous sommes, car oui le plus dur reste à venir. La peur n'a pas sa place dans notre monde, il faut la bannir ! Mais là encore, vous êtes encore très jeunes, alors devenez forts afin d'être les protecteurs du camp et vivre très longtemps. Cette bête n'est rien comparée à tout ce qui vous attend là-bas. Demain, c'est vous qui porterez ces armes et irez à la poursuite des créatures moches et répugnantes comme elles. Avec un sourire resplendissant, elle se redressa et se dirigea vers le monstre tiré par Akkun et donna sans prévenir un coup de pied ludique à sa caboche. – Et aussi je peux vous assurer que celui-ci ne vous fera pas de mal, du moins, plus maintenant vu qu'on l'a passé au trépas avec une efficacité totale grâce à nos incroyables talents. Elle termina sa phrase en tournoyant, d'une main maîtresse, une de ses lances au-dessus de sa tête. Appréciant la démonstration, les enfants acclamèrent, incroyablement fascinés. – Wouah ! Trop bien ~ Moi aussi, je veux faire ça... Dis tu m'apprends ? – Oui oui, moi d'abord, silteuplait~ Et c'était réparti pour un tour. Un Akkun à l'air très mécontent marmonna des jurons inintelligibles dans sa barbe. – Hé ! Tu n'es vraiment d'aucune aide, tu sais ça non ?! Rala-t-il aussi phonétiquement que possible. Il soupira ensuite de lassitude avant de reprendre sa besogne. – Quoique ce soit, continue de jouer à la bonne marraine pendant que je m'épuise à la tâche si ça te fait plaisir mais, je te prierai de ne plus me gêner ! Sa voix devenait de plus en plus enrouée à cause de l'irritation de son gosier, au moins il arrivait encore à parler malgré cette inflammation grotesque. Il lâcha un autre éternuement et se racla la gorge avec frustration. Kaya en réponse, gonfla les joues et plaça ses mains sur ses hanches. «Raah ! Ce qu'il peut être grossier ! Ça le tuerait d'éviter de jouer les rabat-joies de temps en temps ? Il a de la chance que je m'efforce continuellement à prendre soin de lui.» Avec cette pensée, Kaya se rapprocha de lui et tapota doucement son épaule. Le nez coulant, Akkun lui épargna juste un coup d'œil pour savoir ce qu'elle le voulait. Kaya voulait en rire, mais se retint. – D'accord, j'ai compris le message, tu peux me passer le relais, proposa-t-elle d'une voix douce et compatissante. Je vais te donner un coup de main, vu que tu n'arrêtes pas de te plaindre, oh ! Et la recette de baba est très facile à réaliser, tu l'auras en moins d'une heure, je te le promets. Akkun la dévisagea comme s'il sondait son âme, plutôt incertain quant à ses intentions. N'ayant duré que quelques secondes, mais cela suffit à arracher un battement de cœur à la jeune fille. Il coupa le contact visuel en refermant ses paupières sur ses iris sombres aux nuances grisâtres, ensuite ajusta la solide corde sur son épaule avec un sourire en coin. – J'te jure que parfois tu m'en fais voir de toutes les couleurs, mais bon, t'es pas un cas désespéré vu que tu peux être gentille quand ça t'arrange... Ça va, je me débrouille déjà comme je peux. D'ailleurs, tu peux considérer tout ça comme une autre gracieuseté de ma part pour ce jour particulier. Il grommela ensuite eux enfants qui observèrent toujours l'animal comme une fabuleuse bête de foire. – Dégagez le passage ! Ordonna-t-il d'une voix rauque. Kaya, quant à elle, bouda en croisant les bras. Voilà pour avoir montré un peu de sympathie. Les hommes sont-ils tous des imbéciles sans cœur ? Se demanda-t-elle. Quoique, comparé aux mâles d'une certaine tribu, son ami d'enfance vaut mille fois mieux. « Mais le plus bel homme, parmi tous, sera toujours lui. » Son père, son mentor, celui qui lui a tout appris. Un homme pour lequel elle portera toujours une grande dévotion et une admiration considérable. – Je n'ai fait que t'embêter aujourd'hui alors que tu n'as fait que m'apporter ton soutien, reconnu celle-ci d'une voix étrangement calme avant de reprendre avec enthousiasme, donc pour me faire pardonner, je vais te fournir un peu de motivation. Le jeune homme sourcilla. Une motivation ? De quel genre ? Se trouva-t-il en train de se demander. Et puis... Eh bien, pas qu'il s'en souciait de toute façon mais alors... Pourquoi son prochain mouvement lui fit un peu perdre espoir quand celle-ci se tourna vers les enfants, qui les suivaient toujours, les bras grands ouverts ? . . . . . . . ♦‡♦
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