‡Chapter 17 : Farewell‡

2816 Words
– Je commence en avoir vraiment marre de ton entêtement Kaya !... Arrêtes de t'obstiner et fais ce que je te dis pour une fois ! Son ton était lourd d'agacement et son faciès crispé par un flot d'affliction interne comme externe. Kaya sursauta dès l'instant où les mots sortirent de sa bouche, elle le fixa avec un regard embrumé de malaise et d'inquiétude. Il y a longtemps qu'il ne s'était plus adressé à elle ainsi. Akkun inspira profondément avant de poursuivre d'un ton rude et ferme : – Ne te rends-tu pas compte de la gravité de la situation ? Bon sang, mais réfléchis un peu !... Tu sais au plus profond de toi que c'est la meilleure chose à faire... Et plus tu traînes le pas, plus tu mets tout le monde en danger... C'est ce que tu veux ? Qu'ils périssent Tous ? Kaya ravala sa salive et secoua la tête avec véhémence, réfutant ces propos : – Non, il n'est pas question de ça... – Alors quoi ? Interrompit Akkun l'air triste et vaincu, laisse-moi te le dire en langage clair Kaya "Tu perds ton temps !" Il ferma lentement les paupières avant de poursuivre, les sourcils froncés en désapprobation : – Tu veux aussi que je te fasse un dessin pour ça ? Mais à quoi tu penses ? Tss ! Tu parles d'une tête de mule. Kaya ouvrit la bouche pour protester, mais la referma aussitôt, ironiquement, Akkun savait ce qu'elle allait dire : "Tu t'en sortiras ! Avec le temps, tu pourras guérir". Dans un sens, il voulait y croire, malheureusement, la réalité les a rattrapés tellement de fois durant leur misérable séjour à Aroër et plus encore dans les contrées de Vanupas. Et ce soir ne faisait pas exception, n'en déplaise à quiconque. De toutes les réalités, celle-ci est sûrement celle qu'il craignait le plus. Prendre le départ aussi brusquement alors qu'il y avait encore tant de choses à accomplir... Et avec une fin aussi injuste, tant qu'à faire ce qui est juste. « Au diable cette fichue malédiction ! » – Même si tu réussis à me libérer, tout ce que tu feras, c'est me trimballer comme un boulet, je ne serai qu'un poids mort pour toi... Bref, tu saisis. Assez parlé, maintenant vas-y ! Puis c'est tout. Il garda les yeux fermés, refusant d'entrer en contact avec les siens. Il ne cèdera pas. Il ne lâchera rien. Sa décision est prise. Le jeune homme aux portes de la mort lâcha un léger soupir, se laissant, métaphoriquement, bercer par la douce étreinte et invisible, mais surtout déchirante de la mort. Elle est déjà là, tout près. Elle est revenue la chercher. D'ailleurs, il se demande si ce moment de répit n'était pas fait exprès. Sûrement. Quoique, il ne le saura jamais. Un instant plus tard, son œil gauche trembla d'agacement quand il se rendit compte que Kaya n'avait même pas bougé d'un pouce. Elle était toujours assise à ses côtés, ses genoux frôlant subtilement son épaule. Le pire, c'est qu'elle éclata encore plus fort en sanglots. C'était insoutenable à regarder et son cœur se serra. . . . Ce qui semblait être de simples égratignures sur ses paumes saignèrent à présent en gouttelettes fines entre ses doigts, son visage meurtri brûlait au contact de ses larmes, ses muscles étaient complètement endoloris comme à la suite d'une chasse ou d'un entraînement intensif. « Il ne le mérite pas...» Elle se sentait si faible et épuisée qu'elle craignait de ne plus avoir la force de se tenir debout. S'il était possible substituer la douleur de l'un à celle de l'autre, elle le ferait volontiers et prendrait la sienne. « Ce n'est pas lui qui s'est conduit en lâche en tournant le dos à tout le monde. Tout ce qu'il a fait, c'est veiller sur moi... Que faire ? Que faire ? Que faire ? » Le pire dans tout ça, c'est qu'il avait entièrement raison quand il a dit que le camp pourrait être en grave danger, elle partageait le même ressentiment. Le problème résidait sur le fait que... « Je ne suis pas assez forte. Je me sens tellement indigne et je sais que j'éprouverai encore plus cette rancœur si autre malheur s'ensuive et que je ne puis rien faire... Je sais que je ne devrais pas penser ainsi, mais c'est plus fort que moi. J'ai peur... J'ai tellement peur. J'ai la désagréable sensation que, cette fois-ci, nous sommes irrévocablement condamnés. » – Je me déteste... Gémit-elle entre deux sanglots, Quand je pense que tout est ma faute... Si je ne m'étais pas enfuie, tu ne serais pas là... à lutter contre la mort... Et les choses se seraient déroulées autrement... Je ne suis qu'une idiote, je me déteste. Il a toujours été question qu'ils s'en sortent ensemble. C'était leur promesse à trois. Pourquoi les choses ont dû se passer ainsi ? Le jeune homme leva une main tremblante et caressa sa joue humide. Depuis la réalisation de ses sentiments et jusqu'à maintenant, Akkun avait réprimé toute envie d'en faire plus, se contentant de ces touches subtiles, non loin d'être affectueux, mais signifiant tellement de choses pour lui. Des choses auxquelles il n'a jamais pu recadrer par mots afin d'en extirper le plus de sincérité. – Hé ! Sèches tes larmes... C'est touchant de te voir pleurer pour moi, mais reprends-toi. Akkun fit un sourire en coin après que cette dernière empauma sa main d'une manière protectrice et ferma les yeux sans cesser de couler des larmes. – De toute façon, je suis toujours là Kaya, je ne bouge pas. Dans une déferlante de vifs remords et de chagrin incommensurable, il se sentit aux abords de la noyade. Néanmoins, il accepta son sort, prêt à être emporté dans l'oubli. Le moment était venu de se séparer, pour de bon cette fois-ci. – Pour être franc... C'est peut-être ici que nos routes se séparent, c'est plutôt brusque et inattendu, je sais... Mais crois-le ou non... Je ne regrette rien. Dès qu'elle ouvrit les yeux, ceux-ci avaient repris leur teinte normale. Il était satisfait de cette vision, c'était celle-là qu'il voulait graver dans sa mémoire pour toujours. – J'ai aimé chaque moment passé ensemble, même si quelques fois, tu agissais comme une cognée, ce qui est toujours le cas d'ailleurs... Après que ton premier coup de poing m'a fait voir les étoiles, j'ai commencé à visualiser les choses autrement... Tu me considères peut-être toujours comme un simple ami ou même un frère, je peux t'assurer c'était aussi le cas pour moi... Jusqu'à un certain moment. –... – Désolé de te l'avouer au cœur de cette terrible et inévitablement tragique situation... Je me rends compte que j'ai été injuste envers moi-même de l'avoir gardé aussi longtemps. . . . Un jour, en présence de Zuri, Kaya s'était fait la promesse qu'elle lui avouera enfin tout quand elle aura accumulé assez de courage pour le faire. Elle avait toujours dépeigné cet instant comme fabuleux et adorable, un peu comme une toile d'emblée enchanteresse qu'on rêverait d'illustrer et dont la vision procurerait inlassablement un sentiment de fierté et de bien-être. Il n'y a pas de sentiment plus euphorique que de se sentir aimé encore plus par la personne qu'on aime, lui avait dit sa mère. Ce lien, qui avait déjà pris forme dans l'âme, sera unifié pour toujours. Tout se résumera en ce seul instant. Toute appréhension qu'ils ont quant à leur avenir sera bannie. Leur voie sera certes semée d'embûches et tant que ce sera, ils affronteront le danger ensemble... Ensemble pour toujours. . . . . Quelle naïveté ! Elle ne s'en rend compte que maintenant. Il n'existe pas de fin heureuse, pas pour eux, les plus-que-maudits. À ce jour, entendre ces mots tellement attendus de sa part était incroyablement injuste et cruel envers eux. – Akkun... Elle se courba et posa doucement son front sur le sien. – Tais-toi, tu ne mourras pas, tu m'entends ? Peu importe le fait que cela sonnait insensé, elle voulait profondément y croire. En réponse, Akkun fronça les sourcils avant de fixer un point invisible de côté : – Ouais, c'était juste une blague, déclara-t-il sans humour avant de refaire tomber sa main de fatigue. Maintenant, files ! Rassure-toi d'en sauver autant que tu peux, je t'attendrai, tu peux en être sûre. Il l'attendra toujours sachant que le plus important de tout ça, c'est le fait que... – Kaya, je ... – Oui, moi aussi. Elle le fit taire en posant délicatement ses lèvres sur son front dont elle se serait attardée plus longtemps dans d'autres circonstances. Quand Akkun croisa une dernière fois son regard, celui-ci était doux et les larmes avaient cessé de couler, toutefois ses yeux brillaient cette fois-ci d'une douce lueur de tendresse. – Attends-moi, je t'en supplie, implora-t-elle tout doucement. Je reviendrai avec de l'aide. Akkun hocha faiblement la tête, se retenant de gémir de douleur pour ne pas la retenir plus longtemps. Ensuite, il retira péniblement un tissu de sa poche et pointa un objet en particulier du doigt. Dieu merci, ils n'avaient pas été ensevelis. – Prends mon sabre... Afin, il appartient à un garde, mais tes lances sont vraiment fichues... Ainsi que ceci, on ne sait jamais, il pourrait t'être utile. Kaya s'empressa de retenir les objets puis verrouilla une dernière fois son regard plein de désarroi avec le sien. – Fais attention à toi et surtout veilles sur Zuri. – Oui, souffla-t-elle avant de se lever et de reprendre la route. Un peu plus loin, elle se retourna une dernière fois et lui fit un petit sourire qui semblait plus crispé que rassurant. Elle se détourna rapidement alors que ses glandes lacrymales picotèrent une fois de plus. Lorsque Akkun vit sa forme en retraite, il ne put décrire ce qu'il ressentait, se laissant lâchement envahir par des myriades de souvenirs enchevêtrés qui défilèrent sous ses yeux comme des pages d'un livre secoués par le vent. Avec un effort surhumain, il tendit sa main vers sa silhouette éloignée comme s'il était possible d'être attiré par sa brillante lumière. Une lumière qui le propulsera et le fera tenir à ses côtés. Pour toujours. – Adieu Kaya. C'est avec une profonde amertume qu'il se rendit compte que jamais plus, il ne pourra lui courir après. . . . . Kaya voulait se pincer dans un espoir vain de cauchemarder au vu l'irréalité des récents événements. Et malheureusement, elle ne fut pas au bout de ses peines. À sa grande consternation, elle fut accueillie sur le chemin par un spectacle plutôt effroyable d'une dizaine de corps sans vie et en piteux état jonchés partout, tandis que d'autres étaient, pour une raison quelconque, en état de décomposition. – Quelle est cette odeur ? Ce n'était pas que l'émanation de la chair calcifiée ou en état de décomposition, non, il y avait quelque chose d'autre. C'est avec cette pensée qu'elle enfila rapidement le masque et bien que celui-ci était d'une grande efficacité, il ne filtrait pas assez la puanteur. De surcroît, d'autres monstres s'étaient rapprochés sans crier gare et l'attaquaient de tout côté. Pour la première fois, elle se sentit telle une proie. Kaya fronça les sourcils et serra son arme. – Vous pouvez être sûrs que je vous ferai payer toutes les atrocités que vous êtes en train d'infliger à ma terre, quitte à me battre jusqu'à la mort. Elle brandit le sabre avec ténacité, pourfendant sans pitié chaque bête se dressant sur sa route. Comme les autres, ils déjectaient de l'acide provenant de leur gosier et leurs ailes grotesques étaient constituées de griffes acérées dont ils usaient pour déchiqueter ou transpercer toute matière. Ses compétences en combat étaient très utiles pour éviter d'être touchée, ceci dit, les attaques à longue distance auraient été plus efficaces, mais elle n'y pouvait rien. Elle espérait que ces compagnons s'en sortaient mieux qu'elle. Elle ravala une boule d'amertume en repensant à Akkun mais se reprit bien vite. Ce n'était pas le moment de se laisser distraire, du moins, jusqu'à ce qu'elle se rassure que tout le monde est en sécurité. Pourrait-elle espérer autrement ? Absolument plus, maintenant que de loin, elle pouvait déjà faire le constat des dégâts. Son cœur fit plusieurs soubresauts dans sa poitrine en observant, au-dessus des remparts du camp, de la fumée noire s'échapper en masse épaisse sur tout l'étendu du camp malgré l'obscurité de la nuit. Le silence qui y régnait même de loin, était sûrement le plus dur à supporter et sans aucun doute le plus inquiétant : pas de cris, ni de hurlements, absolument rien ne dénotait d'un semblant de vie à l'horizon. Quand elle posa le pas en dessous de la palissade, une vision d'horreur s'étendit devant elle et tout autour. C'est avec effroi qu'elle ne put que témoigner de l'état morbide des lieux : tout semblant de végétation était inexistant ; les bâtisses de fortune cramaient et s'effondraient comme de la paille ; l'atmosphère était encore plus lourde et aigre, en partie à cause de l'odeur plus intense du brûlé, du soufre et de la putréfaction. Elle suffoqua et faillit s'évanouir à plusieurs reprises. Toutefois, ce qu'il lui coupait littéralement le souffle, c'étaient les tas de cadavres éparpillés dans ce lieu maudit, dont la plupart étaient brûlés vifs, la chair tombante et les os exposés sous l'effet de l'acide. Elle n'en reconnaissait aucun pour la simple et bonne raison qu'ils étaient tous méconnaissables. Elle mit sa main sur sa bouche pour empêcher toute régurgitation. Du dégoût, de la nausée encore et encore, ça ne s'arrête pas... Malgré tout, elle devait se ressaisir et ce, même si l'espoir tarissait au fur et à mesure de son avancée. D'ailleurs, pourquoi n'avait-elle encore croisé personne ? Il doit bien y avoir quelques survivants. « Je ne veux pas croire que tous ont... » – Hé ! Il y a quelqu'un ? Isaaac ! Pacooo ! Les matières calcinées ayant des formes humaines en disaient long sur le c*****e qu'il eût lieu. Elle ne veut pas imaginer l'immense douleur que les regrettés ont dû ressentir. Ce degré de cruauté envers des humains portait une empreinte destructrice et démoniaque. Kaya comprenait enfin que c'était le but. – Zuriiiiii ! Il y a quelqu'un ? « Au moins une personne, juste une seule... » – Y a-t-il quelqu'un ?... Où que vous soyez, faites juste un signe, s'il vous plaît ! À son grand dam, ses appels demeurèrent sans réponse. Se laissant submerger par une frayeur angoissante et paralysante, elle eût un énième haut-le-cœur et vomit en jet le contenu de son estomac, bile en remorque. Après cela, elle traîna encore son corps déjà faible qui tendait à se relâcher dans les minutes qui allaient suivre. – Juste... Pitié... Pas âme qui vive. – B... Baba ? Fit-elle exténuée alors qu'elle se tenait devant les décombres calcinés de ce qui était autrefois sa maison. . . . . À bout de forces, elle n'avait guère de choix que de se mettre à quatre pattes afin de trouver un abri quelconque pour reprendre son souffle, perdre connaissance n'importe où n'était pas une option. Quoiqu'en fin de compte, à qui cela importe-t-il ? Que ces monstres viennent et l'achèvent, ne changera absolument rien. Pour autant qu'elle sache, le seul sur qui elle pouvait compter est probablement mort, de surcroît par sa faute. « Comme tout le reste. » Un instant plus tard, son propre corps ne répondait plus, réticent à engager un quelconque mouvement. Il lui parut soudain indéniable, que depuis le début, ils menaient une bataille perdue d'avance. La preuve était imprimée en elle et tout autour d'elle. Et même, ça fait toujours aussi mal de le reconnaître, ils n'y ont jamais été préparés telle une foudre frappant sous un ciel clair et dégagé. Elle qui n'aspirait qu'à un avenir meilleur pour les siens, comment aurait-elle su que tout ça se terminera ainsi ? Au vu de tout ce qu'elle a traversé, la mort est sûrement la destination la plus digne qu'il soit, car, au final, elle n'a pas pu protéger qui que ce soit, sa conduite en lâche n'avait pour mérite que cette fin. Kaya ferma les yeux pour embrasser la solitude que procurait la noirceur des ténèbres, emportant remords et culpabilité qui la tourmenteront à jamais dans ces fosses ardentes dont on n'en ressort jamais. La dernière chose qu'elle vit avant de rendre l'âme fut l'apparition la plus étrange de toute sa vie. Oui, elle était inouïe, fascinante au plus haut point et malheureusement, elle aurait en voir plus. La vision aurait été brève, mais largement suffisante pour décrire cette créature comme un de ces êtres majestueux venu tout droit d'un fabuleux conte imaginaire, se déroulant dans un monde dans lequel est donné, à qui le veut, de tracer sa propre voie. . . . . ♦†♦

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