Chapitre Un-1

1914 Words
Chapitre Un Pavel Je glisse mes doigts tatoués autour de la gorge du bon à rien et je fais glisser la lame de mon couteau sur sa peau. — Ne fais pas de paris que tu ne peux pas payer, lui dis-je. J’ai aiguisé ma lame avant de venir, et elle l’entaille légèrement, faisant couler un filet de sang le long de son cou gras. Assez pour lui faire peur, s’il est du genre sensible. Nous ne sommes pas là pour estropier ce type, seulement pour le faire pisser dans son froc. Nikolaï, notre bookmaker, est tout proche, les bras croisés sur la poitrine dans un geste réprobateur. À ses côtés, Oleg, notre gigantesque homme de main, fait craquer ses articulations couvertes de tatouages. Il a déjà pas mal secoué ce connard. Le type aura des contusions pendant deux ou trois semaines, c’est certain. Voilà ce qui arrive quand on emmerde la bratva de Chicago. — S’il vous plaît. Je trouverai l’argent. Promis. Il se met à pleurnicher. Le briser n’aura pas pris longtemps, mais j’ai déjà perdu assez de temps ici. Non que je voie mon travail comme une perte de temps. J’ai bien de la chance de faire partie de la cellule de la bratva de Ravil. Mais après ce type, j’ai quelqu’un d’autre à torturer. Une personne bien plus délicieuse et consentante. Malheureusement, elle vit dans une autre ville, ce qui signifie que j’ai un avion à prendre. Je croise le regard de Nikolaï, et il hausse les épaules, me laissant décider. Je nettoie la lame de mon couteau sur la chemise du mudak. — Tu as deux semaines. Paye, ou on te prendra tout ce que tu aimes. Pigé ? — C’est compris, gémit-il. Je vous donnerai cet argent. Je vous le promets. — Tu avais cet argent, lui rappelé-je. Et au lieu de nous l’apporter, tu as décidé de faire un nouveau pari avec les Tacone. Le type baisse la tête. — Je sais, geint-il. — Alors je te préviens : c’est nous que tu payes en premier. — Oui. Je vous payerai d’abord. Promis. — Et ne crois pas être encore le bienvenu à ma table, lui dit Nikolaï. Il le prend mal, quand des joueurs décident de traiter avec les Italiens plutôt qu’avec nous. Les Tacone ne sont pas nos ennemis ; nous avons convenu de rester chacun dans son coin quand il est question de crime organisé dans cette ville. Ce qui signifie que nos parties de poker ne devraient pas coïncider. Je lève le menton en direction d’Oleg, qui donne un dernier coup de poing au type pour faire bonne mesure, puis je coupe les cordes qui le ligotent à la chaise. Il commence à se lever maladroitement, mais je pointe ma lame vers son œil gauche, et il se fige. — Assis. Compte jusqu’à quatre cents. Ensuite, tu peux partir. — Quatre cents. D’accord. Quatre cents, bafouille-t-il. Je ramasse ma veste et l’enfile alors que nous quittons l’entrepôt abandonné que nous avons choisi pour notre petite séance de torture. Du gravier crisse sous nos pieds alors que nous rejoignons le SUV d’Oleg. — Tu n’étais pas aussi bon que d’habitude, me dit Nikolaï alors que nous marchons. Tu n’as plus le goût à torturer ? — Si. Je ne lui confie pas que mes goûts ont tout simplement changé. J’ai trouvé un exutoire beaucoup plus sain à mon sadisme. Il le sait sans doute déjà. Je vis avec ces types. Difficile de garder des secrets, même si nous venons tout juste d’apprendre qu’Oleg nous avait caché des choses importantes au sujet de son passé. — Sérieux, mec. J’ai failli intervenir et lui donner quelques coups de poing pour compenser, insiste Nikolaï. Je jette un regard à Oleg, car il communique plus qu’avant, désormais, et il hausse les épaules et agite son poing de bas en haut, le signe pour oui. — Da poshel ty. Je leur ai dit d’aller se faire foutre. Nous montons dans le véhicule d’Oleg, et il démarre pour nous ramener. — Ravil va te remplacer, si tu ne fais pas ton boulot, me dit Nikolaï d’un ton léger. Un frisson le long de ma nuque me dit d’être attentif. J’ignore s’il me taquine, ou s’il est sérieux. Ravil est notre pakhan, le chef de la bratva de Chicago. L’idée qu’il puisse être déçu de mon travail me perturbe. J’ai vachement de chance d’avoir ce boulot, et je suis ambitieux. J’espère faire mes preuves pendant que je suis ici. Comme ça, quand je rentrerai à Moscou, je pourrai grimper les échelons de l’organisation. — Qu’est-ce que tu racontes ? réponds-je d’une voix cassante. Nikolaï se retourne dans le siège passager pour me regarder. — Ce matin, il a fait une remarque parce que tu partais encore en week-end. Sans lui demander l’autorisation. Blyat. Je n’ai pas demandé la permission à Ravil. Mais je croyais que tout le monde savait que je partais à Los Angeles pour le week-end. J’y passais toutes mes fins de semaine depuis la Saint Valentin, quand Ravil m’avait envoyé dans un club b**m pour affaires, endroit où j’ai revendiqué ma petite esclave. Mais tout de même, partir du principe que tout le monde est au courant, ce n’est pas comme demander l’autorisation du boss. J’aurais dû lui demander congé, mais nous n’avons pas vraiment des horaires classiques. En gros, je fais tout ce que Ravil me demande. Que ça soit légal ou pas. Je suis sous sa coupe, mais je serais prêt à tout pour lui. Je me passe une main sur le visage. — D’accord. Merci de m’avoir prévenu. Nikolaï a beau être un connard, parfois, je sais qu’il essaye de me sauver les miches. — Qu’est-ce que tu comptes faire avec cette fille ? me demande-t-il. Je ne réponds pas. Ce ne sont pas ses oignons. — Vous allez continuer cette relation à distance éternellement ? — Nan, dis-je d’un ton que j’espère désinvolte. Comme si rompre avec Kayla était une perspective facile. En réalité, ce n’est pas du tout le cas. Je sais que je suis une ordure, de l’avoir revendiquée et de la garder rien que pour moi depuis un mois. Kayla a sa vie. Un avenir radieux. Un avenir que je ne pourrais qu’assombrir. Et je ne parle même pas de la douleur émotionnelle que je risque de lui causer. Chaque semaine de cet arrangement insensé me rend l’idée d’une rupture plus difficile. Je ferais mieux d’arracher le pansement un bon coup maintenant, avant qu’elle s’attache encore plus à moi dans mon rôle de maître. Oui, je romprai ce week-end. Pas en arrivant, mais avant de rentrer. Une fois qu’on se sera amusés. Je veillerai à ce qu’elle connaisse les meilleurs orgasmes de sa vie, puis je la quitterai en douceur. Je mettrai ça sur le dos de la distance. Oleg se gare dans le parking sous-terrain de l’immeuble que Ravil possède face au lac Michigan. Le quartier appelle ce bâtiment le Kremlin, parce que seuls les Russes sont autorisés à vivre et travailler ici. Enfin, les Russes et sa fiancée américaine. Et puis la petite amie d’Oleg, Mélodie. L’espace d’un instant, j’envisage d’ordonner à mon esclave d’emménager à Chicago, de s’installer au Kremlin pour pouvoir la dominer vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Mais bien sûr, je ne ferais jamais une chose pareille. Elle est actrice et tente de percer à Los Angeles. La convaincre de déménager ‒ et je ne suis pas sûr qu’elle accepterait, même si elle obéit généralement à mes ordres ‒ mettrait un terme à ses rêves. J’ai beau être un sale égoïste, je ne suis pas cruel à ce point. Je descends et jette un œil à mon portable. Ma valise est déjà rangée dans ma voiture. Si je me mets au volant tout de suite et que je fonce à l’aéroport, j’arriverai pile à l’heure. Mais Ravil... La dernière chose qu’il me faut, c’est me faire engueuler par mon chef. Pas après avoir travaillé si dur pour me rendre indispensable. Blyat. Je suis Nikolaï et Oleg dans l’ascenseur et nous montons au dernier étage, où nous partageons le penthouse du boss. Il est debout devant les immenses baies vitrées qui surplombent le lac, Benjamin, son bébé de cinq mois, dans les bras. Il lui murmure des choses en russe. Pas le moment de l’interrompre. Mais je n’ai pas de temps à perdre. Je vais me placer à côté de lui, et je contemple le lac en silence. — Qu’est-ce qui s’est passé ? Ravil nous parle presque exclusivement en anglais. Quand je suis venu de Russie pour intégrer sa cellule, je n’en parlais pas un mot. C’est ainsi qu’il s’est assuré que nous apprenions la langue : en nous interdisant de parler russe tant que nous ne maîtrisions pas l’anglais. — Rien. On a réglé le problème. Il me glisse un regard curieux, mais n’insiste pas. Ravil est doux. Super intelligent. Il garde la tête froide. Ce n’est pas le genre d’homme que l’on peut se permettre de sous-estimer ou de trahir. J’ai beaucoup de chance qu’il m’ait accueilli ici quand j’ai quitté Moscou. J’ai tenté d’apprendre le plus de choses possible à ses côtés, de calquer mon comportement sur le sien. Je suis un peu brut de décoffrage, mais je deviens de plus en plus sophistiqué. Je fourre les mains dans mes poches. M’excuser, ce n’est pas mon truc. D’ailleurs, je ne me souviens même pas de la dernière fois que je l’ai fait. Mais je dois le respect à Ravil. — J’aurais dû te demander la permission avant de quitter la ville, dis-je. Mon regard tombe sur le visage angélique de son bébé, qui ferme les paupières. — Oui, me confirme Ravil. Merde. Nikolaï avait raison. Je lui en dois une, pour m’avoir prévenu. — Je suis désolé. — Tu es pardonné. Il dit ça d’un ton nonchalant, mais il ne nie pas que mon comportement nécessitait un mea culpa. Je prends une grande inspiration, mais je ne sais pas quoi dire ensuite. Devrais-je lui demander la permission en retard ? Peut-être, mais je ne veux pas lui donner une chance de me refuser ce week-end. Un petit morceau de paradis m’attend en Californie, et j’ai l’intention d’en profiter à fond avant de rompre. Je commence à lui dire que ce sera mon dernier voyage, mais même ça, je ne peux pas le promettre. — Tu es un peu perdu, résume Ravil à ma place. Pour une raison inexplicable, mon cœur se met à battre à tout rompre. Il vient de dire à voix haute ce que je me dis tout bas. Mais comment y voir plus clair ? Kayla est à Los Angeles. Moi, je suis ici. En plus, je compte rentrer en Russie quand les choses se seront tassées. J’ai mis assez d’argent de côté pour y monter ma propre entreprise. Rester aux États-Unis est inenvisageable. Ma mère est toute seule en Russie. Mais Ravil a raison. Je n’arrive clairement pas à me décider, sinon je n’irais pas à Los Angeles ce week-end. Mon arrangement d’un mois avec Kayla s’achevait la semaine dernière. — Oui, réponds-je. — Préviens-moi quand tu sauras où tu en es. Il tourne les talons et s’éloigne, me laissant la boule au ventre. Merde. Encore une bonne raison de conclure mon aventure avec Kayla ce week-end. Pourtant, alors que je quitte l’appartement pour me rendre à l’aéroport, je suis presque certain que je n’en ferai rien.
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