Chapitre 1-1

1436 Words
1 Dans le présent — Yachats, Oregon : Le cœur de Jenny Ackerly lui disait que sa meilleure amie n’était pas morte — même si sa tête soutenait le contraire. La longue route sinueuse à travers les séquoias le long de la côte de l’Oregon ressemblait beaucoup à sa vie au cours de deux dernières années, depuis la disparition de Carly : un tortueux voyage sans fin. Elle était prête à voir la route de la vie se redresser afin qu’elle puisse voir où elle pouvait bien la mener. — Elle n’est pas morte. Je le saurais, bon sang ! jura-t-elle entre ses dents. La brûlure dans ses yeux et le soudain besoin d’éternuer prévinrent Jenny qu’elle était sur le point de se mettre à pleurer. C’était toujours le cas lorsqu’elle se trouvait à moins de cinq kilomètres du parc d’État de Yachats. Elle garda les yeux sur la route tandis qu’elle se penchait vers le siège passager pour ouvrir la boîte à gants de sa Subaru Outback et en sortir une poignée de serviettes qu’elle avait prises dans différents restaurants. Les derniers mouchoirs qu’il lui restait après sa dernière venue, trois mois plus tôt, avaient déjà tous servi. Elle essuya les larmes qui s’échappaient sur ses joues avant de se moucher bruyamment dans la serviette humide. La serviette usagée finit dans la boîte de mouchoirs vide. Elle tourna ensuite le bouton de la radio et augmenta le volume. Un autre grand juron tremblant lui échappa quand une nouvelle chanson commença et qu’elle reconnut que c’était l’une des préférées de Carly. Il va sans dire que cela remit la fontaine en route. Elle appuya sur le bouton et éteignit la radio. Prenant une autre serviette, elle tamponna les larmes qui menaçaient de l’aveugler. Si elle se mettait à trop pleurer, elle allait devoir s’arrêter sur le bas-côté de la route. Ce ne serait pas la première fois qu’elle était forcée de se garer jusqu’à ce qu’elle se ressaisisse. Malheureusement, pleurer avait pour seuls effets de la rendre toute rouge et de grignoter un temps précieux qu’elle pourrait mettre à profit pour découvrir ce qui était arrivé à Carly. Se mouchant une dernière fois, elle fourra rageusement la serviette usagée dans la boîte, qui s’emplissait rapidement. — Je te jure, Carly, quand je trouverai qui t’a fait ça, je vais les carboniser. Je vais les démembrer avant de les réassembler et leur demander ce que ça fait, et tout recommencer, jura Jenny en agrippant si fermement le volant que ses jointures étaient blanches. S’ils ont osé te faire sou… souf… souffrir, je les enterrerai dans une fourmilière au milieu du désert et je regarderai les fourmis de feu les dévorer, tout en buvant une limonade bien fraîche. Bon, d’accord, elle ne le ferait pas vraiment, mais elle pouvait l’imaginer. Oui, elle pouvait devenir légèrement sanguinaire quand quelqu’un faisait du mal à ses amis. Jenny décréta que c’était ainsi lorsque l’on avait les cheveux roux. Elle était connue pour avoir un bon tempérament et être calme… jusqu’à ce que quelqu’un fasse quelque chose pour la mettre en rogne. Alors le caractère qu’elle avait hérité de son père se révélait dans toute sa splendeur. Jenny ralentit et mit son clignotant dès qu’elle vit la sortie un peu plus loin. Elle tourna à gauche à l’entrée du parc d’État de Yachats et suivit la route jusqu’à la cabine du ranger. Une légère bruine s’était mise à tomber, mais cela ne l’empêcherait pas de remplir sa mission. Qu’il pleuve ou qu’il vente, elle suivrait le dernier sentier emprunté par Carly. Elle en fouillerait le moindre centimètre carré dans l’espoir que les intempéries et le temps avaient exposé des indices que la police et tous les volontaires avaient peut-être manqués lorsqu’elle avait déclaré la disparition de son amie, deux ans plus tôt. — Combien ? demanda le ranger une fois qu’elle se fut arrêtée au niveau de la fenêtre. — Juste une, répondit Jenny en lui tendant son pass annuel. Le ranger l’étudia un moment avant de la regarder. Jenny sentit son regard passer sur son visage. Il ne mit pas longtemps à la reconnaître. — Vous êtes la fille qui continue de chercher celle qui a disparu, non ? demanda-t-il en s’appuyant sur le rebord de la fenêtre. Jenny grimaça avant d’acquiescer. — Elle s’appelle Carly Tate. Est-ce que quelqu’un a trouvé quoi que ce soit ? demanda-t-elle en tendant la main pour reprendre le pass. — Non, rien. Il y a quelques personnes qui viennent encore à l’occasion pour chercher, mais ça fait un bail, répondit le ranger avec un sourire engageant. Je finis à trois heures si vous voulez que je vienne avec vous. Jenny pinça les lèvres et secoua la tête. — Ça ira. Je n’ai pas beaucoup de temps aujourd’hui, mentit-elle. Le sourire du ranger retomba et il haussa les épaules. — Soyez prudente. Le sentier qui mène à la baie est un peu érodé, dit-il en lui donnant le pass et une carte de stationnement. Faites attention aux brusques changements de temps. Le brouillard et la pluie peuvent arriver rapidement à cette période de l’année, et ça limite la visibilité. — Je serai vigilante, merci. Jenny n’attendit pas d’entendre le reste de son baratin mémorisé. Ayant grandi dans le coin, elle était consciente que le temps pouvait changer soudainement et savait comment y faire face. Elle actionna le bouton pour remonter la vitre, puis appuya un peu plus fort que prévu sur l’accélérateur et ressentit la secousse du dos d’âne. Avec une grimace, elle leva légèrement le pied et s’éloigna lentement. Lorsqu’elle fut hors de vue du ranger, elle accéléra à nouveau. Elle suivit la longue route sinueuse et tourna au bon moment sans avoir besoin de lire les panneaux ; elle savait où elle allait. Alors qu’elle se garait sur le parking, elle remarqua avec satisfaction qu’une seule autre voiture était stationnée et ses propriétaires semblaient sur le point de partir. Jenny resta dans sa voiture et attendit pendant que l’homme et la femme se disputaient au sujet de la carte qu’ils regardaient. Tapotant sur le volant du bout des doigts, elle résista impatiemment à l’impulsion de sortir pour demander au couple s’ils avaient besoin d’aide. Elle coupa le moteur, détacha sa ceinture de sécurité et se tourna pour attraper sa veste sur le siège arrière. Se redressant sur son siège, elle cligna des yeux pour chasser les larmes qui menaçaient une fois encore et poussa un grand soupir tremblant quand la voiture d’à côté finit par s’en aller. Elle ouvrit la portière, sortit, enfila sa veste, la ferma et referma la portière. Par habitude, elle regarda autour d’elle avant de verrouiller la voiture et de mettre les clés dans sa poche. Depuis la disparition de Carly, deux ans plus tôt, Jenny ne se sentait plus en sécurité. Elle avait déménagé de la petite communauté côtière de Yachats, Oregon, un peu plus d’un an auparavant, dans le but de passer à autre chose. Pour le moment, elle devait reconnaître qu’elle n’y arrivait pas très bien. * * * * Jenny gravit lentement le chemin et marqua une pause à une bifurcation. Le sentier qui s’étendait devant elle faisait une boucle à travers la forêt et longeait la montagne. Celui à sa droite menait à la crique et à la plage. Elle écarta rapidement cette zone. Carly avait laissé dans sa voiture une carte du parc sur laquelle le plus long sentier était surligné en vert avec les mots « Je peux le faire » écrits à côté. Jenny sourit en se remémorant la note « glace » entourée en noir au bout du sentier. Enfonçant ses mains dans ses poches, elle passa devant le panneau indiquant la plage. Tandis qu’elle marchait, elle inspira les riches odeurs des plantes à feuillage persistant, du sol humide et de l’air marin glacé. Elle scruta le sentier pendant que son esprit se concentrait pour imaginer comment cela avait été pour Carly. — Elle aurait beaucoup grommelé, songea Jenny à haute voix après plus d’un kilomètre le long du chemin. Elle s’arrêta pour regarder autour d’elle et soupira. De grands arbres, des fougères denses et des ravins pentus accueillirent son regard intense. Il était possible que Carly ait trébuché, roulé sur le côté dans les fougères et se soit cogné la tête sur une pierre avant d’être engloutie par l’épaisse végétation. Carly était connue pour sa maladresse. Il est possible que la malchance ait été le seul crime commis ici, reconnut silencieusement Jenny. — Si c’était arrivé, quelqu’un l’aurait forcément trouvée, murmura-t-elle avant de continuer son ascension de l’étroit sentier.
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