∞ Dana
J'ai eu une enfance heureuse... ou disons plutôt que j'ai eu une petite enfance heureuse, ce qui n'est pas tout à fait la même chose!
Jusqu'à mes six ans, j'étais une petite fille qui respirait le bonheur et la joie de vivre, j'avais des parents qui s'aimaient et qui m'aimaient tout autant.
Je fais parfois des rêves de cette douce période où mon père me portait sur ses épaules pour me montrer quelque chose que je n'aurais pas pu voir autrement; où ma mère me bordait dans mon petit lit après m'avoir raconté une histoire ou fredonné une berceuse; où je me blottissais en toute tranquillité dans les bras de mon père; où j'étais prise en sandwich entre eux alors qu'ils dansaient dans le salon; où nous riions tous les trois...
J'oublie parfois à quoi ressemble le visage de mon père depuis mais je me souviens encore très bien de son odeur, de sa chaleur, de la sensation de sécurité que j'avais quand il était avec nous.
J'ai aussi oublié à quoi ressemblait ma mère lorsqu'elle me souriait...
Pendant longtemps, j'ai cru qu'elle ne m'avait aimée que parce que papa m'aimait, qu'elle ne m'aimait plus, ou pire encore: que son amour pour moi n'avait existé que dans mes rêves!
J'ignorais alors ce qu'était un Soumis ou un Dominant. J'ignorais même que j'étais différente des autres enfants car ceux avec qui je vivais à Silvercreek, étaient comme moi.
J'ignorais ce qu'était une Meute, un territoire ou être change-forme car je ne connaissais rien d'autre.
Tout ce que je comprenais à l'époque c'est que papa n'était plus là, qu'on l'avait mis dans une boîte qui avait été ensevelie sous mes yeux ébahis.
On avait bien tenté de m'expliquer qu'il était mort mais... allez donc faire comprendre à un enfant aussi jeune ce qu'est la mort quand il a grandi avec des cartoons où les personnages passent leur temps à mourir de toutes les façons possibles avant de se relever encore et encore!
En plus, la boîte dans laquelle papa avait été mis me rappelait celle d'un spectacle de magie que mes parents m'avaient emmenée voir, une boîte où la belle assistante du magicien avait été coupée en deux avant de se relever normalement quelques instants plus tard en saluant le public avec un grand sourire et un grâcieux geste du bras.
Bref, à la fin de l'enterrement, j'avais refusé de quitter le cimetière en pensant que – comme dans le spectacle – papa allait sortir de son cercueil et me prendre dans ses bras pour me dire que c'était magique.
Marcus, l'homme qui allait devenir mon beau-père, et accessoirement celui qui avait défié et tué mon père, m'avait alors violemment tirée par le poignet pour me faire quitter les lieux. Il y avait été si fort qu'il m'avait démis l'épaule.
J'avais beau avoir hurlé de douleur, il ne m'avait pas lâchée.
Et personne dans l'assistance n'avait rien dit, rien fait pour l'en empêcher, pas même ma mère qui, les yeux baissés et les épaules voûtées, nous avait suivis en silence.
Pendant quelques temps, nous nous sommes retrouvées uniquement toutes les deux à la maison mais Marcus passait tous les jours, il s'enfermait alors avec ma mère dans le bureau de papa et je l'entendais lui parler, puis lui crier dessus, sans comprendre de quoi il retournait. Lorsqu'ils ressortaient de là et que Marcus s'en allait enfin, maman évitait mon regard, mes tentatives de câlins et partait s'enfermer dans sa chambre où je l'entendais sangloter sans pouvoir rien faire pour la réconforter.
Déjà à l'époque, juste parce qu'il la faisait pleurer, je le haïssais, par la suite, même elle j'ai fini par la détester!
Et puis, un jour, Marcus est venu à la maison et n'en est plus reparti.
Il a continué à crier sur ma mère pendant quelques temps, jusqu'au jour où ils se sont Revendiqués puis, à peine quelques jours après, se sont Imprégnés.
Même si je ne savais pas ce qu'était la Revendication et l'Imprégnation, on ne m'a pas demandé mon avis malheureusement.
Ensuite, c'est à moi qu'il à commencer à s'en prendre... pas sexuellement, rassurez-vous!
Marcus est un monstre, mais pas de ce genre, mais il me punissait pour un "oui" ou un "non": Mise au piquet dans un coin du bureau parce que j'avais fait trop de bruit à son goût, ou encore privée de dessert parce que je ne me tenais pas "correctement" à table, parfois, il m'obligeait à rester assise pendant des heures, attachée sur une chaise alors que, derrière la fenêtre, je voyais les autres enfants jouer et courir dehors.
Même nos promenades du samedi, où autrefois toute la Meute se retrouvait sous forme lupine dans la forêt toute proche, étaient annulées pour d'iniques et fallacieuses raisons, toujours à la dernière minute d'ailleurs, et Marcus m'en faisait porter la responsabilité ce qui me rendait encore plus malheureuse et montait contre moi les plus jeunes de Silvercreek.
Je pense que les plus âgés n'étaient pas dupes mais aucun ne prit jamais ma défense.
Et tout était à l'avenant!
Je cherchais bien de l'aide du côté maternel mais jamais elle ne venait.
Le pire pour moi, ce n'était même pas son silence devant ces injustes punitions, c'est qu'elle me refusait désormais le moindre contact physique : fini les câlins, les bisous et les caresses, fini de me brosser longuement les cheveux avant de dormir, même me laver le dos dans mon bain, c'était terminé!
Selon Marcus qui faisait désormais la loi à la maison, "j'étais assez grande pour me laver seule", "je n'avais plus besoin d'aide pour m'habiller", "puisque mes trop longs cheveux étaient si difficiles à entretenir, il n'y avait qu'à les couper" – ce qu'il fit lui-même et qui me fit ressembler à un hérisson doré pendant plusieurs mois – et "j'étais suffisamment âgée pour apprendre à lire" donc les histoires du soir passèrent également à la trappe.
Et à la rentrée suivante, alors que j'aurai dû être fière et un peu nerveuse d'entrer en cours préparatoire à la "grande" école, d'être une élève comme une autre parmi les quelques enfants de Silvercreek, ma mère a préparé une grosse valise et l'a mise dans le coffre de la voiture de Marcus. Elle ne m'a pas embrassée et ne m'a pas dit au-revoir. Elle m'a juste fait asseoir dans le siège enfant qu'elle venait d'installer sur la banquette arrière, a attaché ma ceinture et a fermé la portière.
Je ne savais pas que je ne la reverrai pas pendant plusieurs mois et, qu'à mon retour, Julian aurait pris ma place dans ma chambre comme dans le cœur de ma mère... du moins, c'est comme ça que j'ai ressenti l'arrivée de ce demi frère nouveau-né!
Personne n'avait jugé utile de m'informer que Marcus avait décrété qu'il me fallait une "bonne éducation", que l'institutrice locale ne pourrait jamais suffire à ses yeux et que j'allais donc devenir pensionnaire d'une école privée humaine à plusieurs centaines de kilomètres de chez moi.
"Une école privée"... laissez-moi rire!
Une prison serait plus véridique, oui!!! Surtout grâce aux consignes particulièrement strictes de Marcus à mon encontre qu'il avait laissées au proviseur.
L'endroit où j'étais cloîtrée dix mois sur douze – sans permission de sorties évidemment – était un lieu emmuré, encerclé par une grande ville qui charriait des bruits et des odeurs insoutenables pour moi, pas le moindre are de forêt, de prairie ou de champs à des kilomètres à la ronde pour que ma louve intérieure puisse sortir et s'ébattre à l'extérieur.
En toute logique, j'aurai dû finir par devenir folle, et c'est peut-être ce qu'escomptait mon beau-père, mais Bella – c'est ainsi que j'ai nommée ma louve qui était également ma seule amie à l'époque – est bien plus roublarde que ne l'était le directeur de l'établissement et elle a réussi à contourner le règlement, voire parfois les règles pour sortir du piège tendu par Marcus...
La vérité, je ne l'ai comprise que bien plus tard. Des années plus tard :
Il ne voulait m'avoir ni dans les jambes, ni sous les yeux.
J'étais le rappel vivant de mon père et ma seule présence à Silvercreek aurait pu avoir des conséquences sur sa Dominance et son nouveau poste d'Alpha.
C'est pour cette raison qu'il a fait de moi une Solitaire en m'exilant du territoire et en refusant de m'affilier à la Meute alors que je suis une Lupine-née! Peut-être même imaginait-il que je deviendrai suffisamment dingue pour être abattue comme n'importe quel Renégat.
Mais s'il a partiellement réussi à me soumettre à sa loi, Bella était - et est toujours - bien trop Dominante pour qu'il fasse plus que tolérer ma présence à Silvercreek.
Et lors de ma dernière année de lycée au pensionnat, il a eu une idée pour se débarrasser de moi...
Définitivement!
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